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Haïti-Carnaval : Sexe et contestation dans les meringues

Par Edner Fils Décime

P-au-P, 15 févr. 2015 [AlterPresse] --- Les meringues à jeux de mots un tantinet sexuel, des critiques du pouvoir en particulier ou de l’ordre social en général constituent la toile de fond d’une bonne partie de la production carnavalesque 2015.

Le Carnaval haïtien est placé sous le thème apparemment fédérateur « Nou tout se Ayiti » (Nous sommes tous et toutes Haiti) même si plus de 90% des groupes retenus pour le défilé ne l’ont nullement traité.

Sexe et société

De plus en plus, les titres à connotation sexuelle prennent de la place dans le carnaval. On dirait que nos musiciens (probablement avec leurs fanatiques) se libèrent d’un brulant désir d’obscénité qu’ils ont dû refouler toute l’année.

Un message dit social, la description de certains problèmes sociaux maquillent à peine la crudité des propos.

Le groupe à tendance « Rabòday » Vwadèzil fait école dans cette façon de traiter des sujets de société en employant des métaphores sexuelles.

Cette année 2015 avec « Ti pati m kanpe », tout en peignant la stratégie de création de partis comme sorte d’entreprises politiques à visée économique, Wadèzil traite également du phénomène d’érection des hommes.

« Chalè », qui en 2014 a saisi l’occasion de l’accentuation du conflit haitiano-dominicain pour sortir « fè bagay pou voye deyò (littéralement produire pour exporter mais allusion à l’éjaculation) » récidive en 2015 avec « Dechay (Deux charges, deux responsabilités) ou tout simplement décharge, allusion à l’éjaculation) ».

Le ténor du rap haïtien, Barikad Crew, fidèle à ses titres débutant par la lettre T, propose « Toutouni (Tout nu) » cette année.

Ce texte traite de la nudité de l’Etat (comprenez l’irresponsabilité), de nos institutions (notamment après le vide parlementaire du 12 janvier 2015), de notre environnement, de la jeunesse (encore une demande d’encadrement).

Cependant, le rappeur Izolan rappelle que la nudité est au propre comme au figuré en scandant « La fille dit à sa mère qu’elle peut la mettre à la porte parce qu’au Carnaval elle ira toute nue ». Ce qui est renforcé dans le clip video de la meringue.

Pastè Blaze finalement n’étonne plus avec ses productions consacrées à faire la promotion du machisme et de l’homophobie.

Le dernier rapport de la plateforme des organisations haïtiennes de droits humains (Pohdh) sur la situation des défenseur (e)s des droits humains en Haïti en 2013 et 2014 montre un degré d’intolérance accentué de la population par rapport aux défenseurs des Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transexuels (Lgbt). Ces chansons n’attisent-elles pas davantage cette haine ?

Les femmes sont traitées de tous les noms à cause de comportements se révélant plutôt d’un problème de troubles de la personnalité tels le blanchiment de la peau et le défrisage des cheveux.

Avec « mal pran mal (les mâles prennent les mâles) », Blaze semble vouloir dénoncer une certaine pratique de marchandage sexuel masculin ou de la prostitution homosexuelle contre du travail.

La contestation, en perte de vitesse

Depuis quelques temps – principalement sous la présidence de Michel Joseph Martelly – la contestation et la critique sont quasiment évacuées des chansons de Carnaval.

Soucieux de leur participation au défilé des trois jours gras, avec l’exemple de la censure de Brothers Posse, les groupes musicaux jouent bons enfants à l’exception de Kanpech, Boukman Eksperyans, Brothers Posse et Guerchang Bastia.

Pour cette dernière année de la mandature du président Martelly, le groupe de rythme Racine Kanpèch avec « Gade moun yo » appelle « le peuple haïtien à se réveiller pour obtenir le départ [du chef de l’Etat] et à ne plus vouloir vivre et dormir avec la présence de la Minustah (casques bleus) Choléra ».

Kanpèch s’étonne ironiquement de la démission du premier ministre Laurent Lamothe en la qualifiant de divorce avec le chef de l’Etat. Par conséquent « le taureau (emblème du parti qui a porté Martelly au pouvoir) a perdu ses cornes ».

Boukman Eksperyans, dans son style traditionnel par le biais de « pèpè yè (marchandises usagées importées) » dénonce ces politiciens corrompus qui se lancent dans les compétitions électorales ou se retrouvent dans l’opposition juste pour « sucer la mamelle du pays (dilapider le trésor public) ».

Le « Otes-toi que je m’y mette » de nos politiciens avec des visées destructrices du pays est pointé du doigt.

Avec Vwadèzil, Boukman Eksperyans forme le petit cercle select de ces meringues qui survivront au Carnaval.

Guerchang Bastia (Samba Rasta) qui se fait porteur « d’une parole rebelle » propose aux classes populaires de s’organiser aux fins de créer un Etat populaire qui ne desservira pas les intérêts de leurs oppresseurs avec « Fè Leta nou ».

« On est tous des Haïtiens, sauf l’Etat qui ne l’est pas », lance-t-il.

Brother’s Posse de Antonio Cheramy dit Don Kato, fidèle à sa ligne anti-Martelly apporte « Bon Bò a »(le bon camp) en faisant une catégorisation manichéenne confuse « Bon vs mauvais » se basant tantôt sur la géographie, tantôt sur les classes sociales.

On s’étonne quand même de retrouver des magnats du commerce dans le même camp que les appauvris.

Kato, comme son compère Fredo de Kanpèch, ironiquement fait le bilan du mandat de Martelly et le trouver « léger comme une paille » et lui dit « Bye bye ».

En somme, il suffit d’écouter les discours de l’opposition et les refrains des manifs pour se faire une idée de ces meringues contestataires. [efd kft gp apr 15/02/2015 9 :55]