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Haïti-Grève : Jusqu’où peut aller le gouvernement dans la baisse des prix du carburant ?

Par Gotson Pierre

Actualisé à 7:00

P-au-P., 10 févr. 2015 [AlterPresse] --- Les secteurs qui ont lancé l’appel à une grève générale de deux jours pour obtenir une baisse des prix des produits pétroliers sont persuadés que le gouvernement dispose de leviers pour diminuer les tarifs sur le marché.

Les syndicats de transporteurs, les responsables politiques de l’opposition et des groupes d’étudiants exigent une diminution de 100 gourdes en moyenne sur le prix de l’essence notamment.

Les prix actuels sont les suivants : le gallon de l’essence est à 195.00 gourdes, celui du diesel est de 157.00 gourdes et celui du kérosène de 156.00 gourdes (US $ 1.00 = 48.00 gourdes ; 1 euro = 60.00 gourdes).

Le ministre de l’économie et des finances, Wilson Laleau, affirme qu’il « est extrêmement difficile » de diminuer davantage les prix à la pompe, arguant que les prix pratiqués dans les autres pays de la région sont plus élevés que ceux en vigueur en Haïti, sauf des pays producteurs comme Trinidad.

Le ministre dément que les prix sur le marché haïtien soient plus élevés que ceux auxquels le carburant est débité en République dominicaine voisine.

Cependant le responsable ne considère pas la différence de prix en relation avec les divers types de carburant disponibles sur le marché dominicain, ce qui tendrait à fausser la base de la comparaison.

Selon les informations recueillies par AlterPresse, les prix des produits pétroliers, dont la tendance était à la baisse, ont subi, ces derniers jours, une légère hausse, due aux fluctuations sur le marché mondial.

En République dominicaine, le galon de gazoline supérieure coute 192,80 pesos (1,00 peso = 1,05 gourde) et la gazoline régulière 170,10 pesos. Le gallon de gasoil supérieur est vendu 166,60 pesos et celui de gasoil de moindre qualité 149,70 pesos.

Des consommateurs qui s’approvisionnent sur les deux marchés ont fait remarquer à AlterPresse que le carburant supérieur n’existe pas sur le marché haïtien. Selon eux toute comparaison ne peut se faire qu’avec les produits pétroliers inférieurs débités sur le marché dominicain.

Sur la base de cette considération le prix du gallon de gazoline régulière en République dominicaine (170,10 pesos = 178,60 gourdes) serait de meilleur marché d’environ 18,00 gourdes par rapport à son équivalent en Haïti (195,00 gourdes).

En ce qui concerne le gasoil, les prix paraissent plus ou moins équilibrés des deux côtés de la frontière : 149,70 pesos (157,18 gourdes) en République dominicaine et 157,00 gourdes en Haïti.

Par ailleurs, aucune information n’est pour le moment disponible sur la formation des prix des produits pétroliers en Haïti. Depuis quelques années la liste des frais et taxes ajoutés au prix de base du gallon de carburant n’est plus rendue publique par le gouvernement.

En outre, les consommateurs relèvent l’incidence négative de la faible qualité du carburant sur les moteurs des véhicules circulant en Haïti à cause de la teneur trop élevée en soufre. L’État ne parvient pas non plus à assurer que la gazoline ne soit mélangée à d’autres substances. Les conséquences sur les véhicules et sur l’environnement sont lourdes. Haïti serait le plus gros importateur de pompes à injection au niveau de la région.

Cette situation a été dénoncée, en avril 2013, dans les colonnes du quotidien Le Nouvelliste, par l’Association nationale des distributeurs de produits pétroliers (Anadipp).

La gestion irrationnelle des finances publiques et la montée du mécontentement

Selon la loi sur les droits d’accise variable, promulguée en 1995, les prix à la pompe devaient être réajustés chaque fois qu’une variation de plus ou moins cinq pour cent (+5% ou -5%) est constatée sur le marché international.

Les syndicats reprochent au gouvernement de n’avoir pas appliqué rigoureusement cette loi durant les dernières années.

Mais le gouvernement soutient avoir absorbé les variations à la hausse des prix du carburant entre 2010 et 2014, ce qui a généré une facture de 19 milliards de gourdes, selon des données officielles.

La situation s’en trouve aggravée également par la baisse des ressources du programme PetroCaribe, induite par la chute des prix du pétrole au niveau international, affectant le Venezuela.

PetroCaribe est un mécanisme de facilité financière mise en œuvre par le Venezuela depuis 2008. Dans ce cadre, Haïti bénéficie de 300 à 360 millions de dollars de prêts à des conditions préférentielles, pour une période de 23 ans au taux d’intérêt annuel de 1%.

Un des arguments mis en avant par les secteurs qui réclament la baisse des prix à la pompe est que les fonds de PetroCaribe ont été dilapidés, mal gérés ou utilisés dans des projets non productifs alimentant le clientélisme.

De ce fait, selon eux, il ne faudrait pas demander à la population de payer la facture de dépenses inconsidérées du pouvoir en place durant les 3 dernières années, alors que la dette de PetroCaribe est aujourd’hui estimée à environ 1,5 milliard de dollars.

Les frictions liées à la gestion des finances publiques ont poussé l’ancienne ministre des finances, Marie Carmel Jean-Marie, à la démission en avril 2013, avant de revenir plus tard au gouvernement.

Jean-Marie avait tenté d’imposer la rationalisation et l’assainissement des dépenses publiques. En décembre 2012, elle avait décidé de geler certaines dépenses de fonctionnement peu utiles telles des voyages sans importance et l’acquisition de voitures de luxe. Une circulaire a été acheminée aux différents pouvoirs de l’Etat pour leur demander de réduire leurs dépenses.

Entre-temps, sous l’administration de Wilson Laleau, actuel ministre de l’économie, qui assurait l’intérim après le départ de Jean-Marie, des dépenses faramineuses ont été consenties pour la célébration des deux ans du pouvoir de Michel Martelly en mai 2014. Des dépenses, dont le montant n’a jamais été rendu public.

Dans le contexte de la montée du mécontentement occasionné par la baisse jugée insuffisante des prix du carburant, le gouvernement promet de prendre des mesures comme « l’interdiction d’achat de nouveaux véhicules, (…) la réduction du nombre de voyages effectués à l’étranger incluant les Per-diem, la réduction des frais liés à la communication (Cartes de recharge, achat de téléphones), la restriction au niveau de l’allocation des bons d’essence, l’utilisation rationnelle des matériels de bureau ainsi que l’achat groupé des fournitures et équipements ».

Le gouvernement envisagerait même « des dispositions restrictives » au niveau des missions diplomatiques à l’étranger.

Mais, ces annonces, de la part d’un gouvernement légèrement replâtré, gardant la plupart des têtes identifiées au pouvoir Tèt Kale de Martelly, sonnent comme un vieux refrain. Il faudrait pouvoir d’abord rétablir la confiance au sein de la population qui semble définitivement gagnée par la perplexité. Tâche herculéenne pour le premier ministre Evans Paul. [gp apr 10/02/2015 00 :30]