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Haïti : La mésaventure littéraire du Chef Suprême

« La réalité est plus étrange que la fiction. » Mark Twain

Satire

Par Castro Desroches*

Soumis à AlterPresse le 17 janvier 2015

C’est dans son souci constant de former et d’informer les générations montantes que le Chef Suprême venait de publier en décembre dernier sa fameuse autobiographie qu’il avait mise à la portée du grand public pour la bagatelle de 50 dollars US. Il venait de confirmer ainsi, de manière irréfutable, le caractère « populire » de son régime. Ce fut une grande surprise au niveau de l’intelligentsia locale et internationale. Un véritable tsunami…littéraire pour répéter, pince sans rire, le mot favori du futur président d’Haïti…Sauveur Pitite-Caille.

L’ambassadrice américaine « Pamla » White, éminence grise et vrai pouvoir derrière le trône, avoua elle-même avoir été surprise à l’annonce de la vente signature. Elle n’était pas au courant à cause des graves problèmes d’électricité qui ravageaient la « vile » de Port-au-Prince. Ah ! Le Suprême jouait au grand malin avec tout le monde. Certes, l’opposition « radicale » l’avait accusé à maintes reprises d’être une pintade rose mais on ne le savait surtout pas… plumitif. Envers et contre tous, il venait de prouver que pour être écrivain, il n’est pas nécessaire d’avoir lu un seul livre dans sa vie et qu’on peut parfaitement créer avec le néant. Le Suprême voulait mettre un terme à la propagande tapageuse et mensongère de YouTube, une chaîne de télévision de l’opposition radicale spécialisée dans la diffusion de fausses nouvelles selon lesquelles le leader bien-aimé aurait avoué en plusieurs occasions avoir été un « crackhead », un ancien voleur de matériaux de construction dont le rêve « inique » était de devenir salement riche aux dépens de la caisse publique.

La vente signature de son autobiographie avait connu un tel succès que les forces de l’Ordre avaient dû lancer, à hauteur d’homme, des gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants qui, armés de leurs billets verts, réclamaient immédiatement leur copie avec la signature du Suprême. Ce livre, ils voulaient l’avoir et le conserver comme relique d’une période de vaches grasses après de longues périodes de vaches maigres qui ne tarderaient certainement pas à revenir après le départ précipité du bienfaiteur de la Nation. Toutefois, contrairement à la politique d’inclusion du chef de l’État et de son option préférentielle pour les pauvres, le protocole formé de petits profiteurs voulait réserver l’admission à la vente signature à un groupe restreint d’ayants droit, de grands mangeurs et de hauts fonctionnaires qui ne tarissaient pas d’éloges envers le Suprême dans le but évident de maintenir ou de consolider leur sinécure dans le gouverne/ment : « C’est avec un grand plaisir que moi, comme Ministre, je viens supporter cet homme, ce grand homme qui est à la tête du pays. » Le ventripotent titulaire de la Propagande qui a certainement besoin de suivre un régime alimentaire strict se laissa encore aller à un lapsus linguae : « Ce livre, je vais le dévorer goulûment. » Enfin, le PDG de la compagnie Photoshop Reconstruction Incorporated ajouta : « C’est un livre que chaque Haïtien devrait avoir dans sa bibliothèque privée. »

Les manifestants qui voulaient envahir l’Hôtel Karibe en cette soirée du 5 décembre, jour de la miraculeuse découverte d’Haïti par Cristóbal Colon, durent rebrousser chemin vers les bidonvilles sous les assauts répétés de la soldatesque policière. Certains se replièrent près de l’Église St Pierre où sans égard pour le St Patron de Pétion-Ville ils se mirent à brûler les pneus usagés qui font partie de l’industrie locale et qui sont devenus les signes avant-coureurs de la fuite prochaine du dernier dictateur en date. Frustrés dans leur désir insoutenable de lire au plus vite l’autobiographie du leader bien-aimé, certains n’hésitèrent pas à jeter au feu les 50 dollars avec lesquels ils s’apprêtaient à acquérir leur copie. En effet, c’était, selon le discours officiel, une grande première dans les annales de la littérature mondiale de voir un chef d’État en fonction trouver le temps pour écrire de ses mains sa « propre » autobiographie.

Au fond, les choses étaient un peu plus prosaïques. Sous les bancs de l’école buissonnière, le Suprême avait vaguement entendu parler d’un certain Jean-Jacques Rousseau et il ambitionnait candidement de rédiger un jour, à son tour, ses Confessions. Le problème, c’est que sa seule et vraie autobiographie, les confessions sincères et authentiques avaient été déjà faites sur YouTube et distribuées à un milliard d’exemplaires gratuits. Toute autre autobiographie allait nécessairement sombrer dans cette large catégorie que Maître Philoctète avait définie pour nous (lorsque j’étais en rupture de ban au Collège Jean-Price Mars) en ces termes : « Tout ce que l’on dit de soi n’est que poésie. »

Néanmoins, cette soirée selecte s’acheva dans l’apothéose, lorsque sous les vivats frénétiques d’une assistance triée sur le « volet », le Suprême de sa voix mél/odieuse interpréta, avec une autosatisfaction tout à fait légitime, une chanson de Gilbert Bécaud :

« Et maintenant que vais-je faire
De tout ce temps que sera ma vie
De tous ces gens qui m’indiffèrent

Et maintenant que vais-je faire
Vers quel néant glissera ma vie

Et puis un soir dans mon miroir
Je verrai bien la fin du chemin

Je n’ai vraiment plus rien à faire
Je n’ai vraiment plus rien, plus rien. »

*Castro Desroches enseigne le français à l’université aux États-Unis depuis dix ans. Observateur attentif de la politicaillerie haïtienne, il a déjà publié de nombreux articles humoristiques sur la folie du Pouvoir. Il s’apprête à lancer en février 2015, aux Éditions Educa Vision, une « lodyans » intitulée : Les Enfants Malades de Papa Doc.