Dossier
P-au-P, 03 déc. 2014 [AlterPresse] --- Les violences entre les gangs pour le contrôle des marchés, les morts par balles, les braquages et les accidents récurrents de la route semblent annoncer l’arrivée d’une éventuelle ambiance délétère pour cette fin d’année 2014, selon des témoignages rassemblés par l’agence en ligne AlterPresse.
Pour le troisième trimestre 2014, plus de 80 personnes sont mortes par balles à Carrefour, indique l’unité observation à la commission épiscopale (catholique romaine) Justice et paix (Jilap), qui considère la municipalité de Carrefour comme « une zone très rouge ».
Plusieurs habitantes et habitants de Carrefour confient à AlterPresse être inquiets d’une remontée observée des cas de braquage et d’insécurité globale, dont ils n’étaient pas coutumiers dans la municipalité.
Ils indiquent réfléchir à des techniques particulières pour prévenir les nouvelles formes d’actes d’insécurité, auxquelles ils commencent à être exposés ces derniers temps.
Pour le troisième trimestre de l’année 2014, 50 personnes sont mortes par balles à Cité Soleil et au boulevard La Saline, respectivement au nord et à l’ouest de Port-au-Prince.
Par ailleurs, plus de 400 accidents de la route sont déjà signalés au niveau national pour l’année 2014, selon un décompte partiel de la Jilap.
Les marchés publics contrôlés par des gangs
Il existe une situation terrible à La Saline, où des blessés sont souvent enregistrés, suite à des conflits entre groupes rivaux armés pour le contrôle du marché public Croix des Bossales, le plus grand centre d’approvisionnement en produits alimentaires dans la zone métropolitaine de la capitale.
Un grand nombre de ménages ainsi que d’associations et d’institutions préfèrent se rendre à Croix des Bossales, malgré les risques encourus, pour pouvoir s’approvisionner en gros et obtenir de meilleurs prix pour différents produits alimentaires.
Les gouvernements qui se sont succédé ont essayé divers types d’aménagements du marché de la Croix des Bossales.
Cependant, une structure pertinente de gestion fait défaut. Il n’y a pas de douches, ni de toilettes. La collecte des déchets se fait irrégulièrement par les services publics concernés.
D’où une faiblesse patente en structure d’assainissement, dans un espace qui mériterait des équipes de voirie et de nettoyage en permanence.
La circulation de personnes et d’automobiles est souvent difficile à l’intérieur du marché de la Croix des Bossales, tant les marchandises sont exposées dans un désordre généralisé.
La municipalité de Port-au-Prince, transformée depuis début 2012 (à l’instar de l’ensemble des conseils municipaux sur le territoire national, après entente avec des parlementaires) en structures d’agents exécutifs intérimaires, semble faire peu de cas des besoins des marchandes et acheteuses, particulièrement en ce qui a trait à la sécurité globale de l’espace.
Malgré son importance dans l’économie nationale, le marché Croix des Bossales ne dispose pas d’unités policières de prévention. Livrées à elles-mêmes, les marchandes et madan sara (grossistes) subissent la loi de bandits, qui les rançonnent à tout bout de champ.
Les mois d’octobre et de novembre 2014 (les chiffres sur le nombre de victimes ne sont pas encore disponibles) ont été particulièrement sanglants dans les parages du marché Croix des Bossales, en raison d’affrontements entre gangs armés rivaux, qui essaient d’avoir une mainmise sur les activités commerciales, à l’instar des menées de mafias.
Généralement contrôlés par des gangs, les marchés publics dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, sont vus par les bandits comme un espace pour se procurer de l’argent, relève Jilap, constatant une impuissance de la police face à l’ambiance de violences régnant au bas de la ville de Port-au-Prince.
Comment se fait-il qu’un espace, aussi riche en activités économiques, ne puisse pas avoir un climat de sécurité stable ?
« C’est grave. La police a échoué dans l’exécution de son plan de sécurité pour le bas de la ville (de Port-au-Prince) », critique Jilap, soulignant une inconstance dans l’application des mesures de sécurité.
Le braquage, un fléau persistant
Ces derniers temps, des cas fréquents de braquages armés sont recensés, en plein jour, sur différentes artères, partout dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince.
Les braqueurs utilisent toutes sortes de stratagèmes pour s’emparer de l’argent, de clientes et clients de banques commerciales, de bijoux ou d’autres biens.
Très souvent, ils dissimulent leurs armes et usent de motocyclettes, sans plaque d’immatriculation, pour commettre leurs forfaits. Parfois, ils se font passer pour des parents ou des connaissances des personnes qu’ils guettent, pour les rançonner par la suite.
Toute personne, qui s’avise de faire le tour des communes dans la zone métropolitaine de la capitale, constate seulement la présence d’agents de circulation.
Les unités (comme les agents de la Brigade d’intervention motorisée / Bim) de la Police nationale d’Haïti (Pnh), qui seraient préposées à la prévention des actes d’insécurité, se font rares.
Chacune et chacun tente leurs propres stratégies de survie pour faire face aux menaces et agrssions.
Alertés par les victimes, les policiers nationaux, affectés à différents sous-commissariats, déclarent toujours ne pas disposer de moyens appropriés pour poursuivre les bandits armés qui venaient de les dévaliser.
La population de la ville des Cayes, chef-lieu du département du Sud, vit une situation de terreur depuis plusieurs semaines. Des actes de braquage et d’assassinats sont enregistrés en plein jour.
Des bandits, qui étaient incarcérés, auraient été libérés, en prévision des prochaines élections, signalent des habitants des Cayes.
Dans ce contexte, Jilap rappelle le cas d’une jeune ingénieure, de 30 ans, Marie Georgia Pamphile Guirant, abattue froidement par des bandits à Delmas 32, après avoir effectué une transaction dans une banque commerciale. Deux des bandits ont été appréhendés par la police.
Le samedi 29 novembre 2014, après être sorti d’une banque commerciale à Turgeau (vers l’est de Port-au-Prince), un employé d’une institution de communication a été dépouillé de son argent par des bandits, circulant sur une moto sans plaque d’immatriculation.
« S’il y avait un plan de sécurité normale, une personne ne devrait pas être dévalisée à quelques mètres d’une banque commerciale, sans que des policiers ne puissent pas repérer l’auteur de l’action », fustige Jilap.
Jilap appelle les autorités concernées à un renforcement de la sécurité dans les banques commerciales et une plus grande vigilance de la police sur la circulation des gens.
« Les gangs constituent une grande industrie. Le banditisme est un cas en Haïti. Nous avons l’impression qu’ils sont mieux organisés que la police », relève la commission épiscopale catholique romaine.
« L’insécurité n’a pas de lieux, n’a pas de ports », avance, pour sa part, l’Association yeux ouverts pour une sécurité durable (Asyosed).
Ce problème touche le pays en général, pas seulement les quartiers populaires, souligne Asyosed, dénonçant le laxisme et la négligence des autorités qui tendent à banaliser la sécurité nationale, notamment dans les quartiers populaires.
Des efforts, consentis par la police pour créer un climat de sécurité dans les quartiers populaires à risque, sont, dans bien des cas, réduits à néant par certains juges, qui trancheraient, souvent, en faveur des coupables ayant des accointances au sein de la justice.
D’aucuns évoquent, en ce sens, la distribution d’armes, dans des quartiers populaires, par des potentats, qui planifieraient des coups politiques dans la perspective de prochaines joutes électorales, attendues pour 2015 en Haïti.
« La circulation et le port des armes ne sont pas contrôlés en Haïti par l’Etat. Aucun désarmement n’est opéré », dénonce Jilap, recommandant la création d’un cadre légal pour réglementer cette question.
Entre-temps, comme à l’accoutumée, le secrétariat d’Etat à la sécurité publique a annoncé le déploiement de 2,000 policiers dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, en prévision de la période traditionnelle des fêtes de fin d’année.
Plus d’une centaine d’arrestations et la saisie de trois armes à feu, de 67 motocyclettes et 13 kilos de marijuana, ont été effectuées.
En dépit des dispositifs de sécurité, mis en place par l’institution policière, en prélude à la période de fin d’année, la situation d’insécurité demeure sur fond de crise politique, d’augmentation des prix des produits pétroliers et de dépréciation de la gourde face au dollar américain.
Un plan de sécurité sera bientôt opérationnel, en vue de protéger la population, dans la zone métropolitaine de la capitale, durant les fêtes de fin d’année, laissent entendre des autorités policières.
Une annonce, qui ne tend pas à rassurer la population, laquelle exige un plan permanent de sécurité, à tout moment, pendant toutes les périodes de l’année.
Le dimanche 10 août 2014, 329 détenus, dont beaucoup sont réputés « dangereux criminels » s’étaient échappés, de manière étrange, de la prison civile de Croix des Bouquets (municipalité au nord-est de la capitale).
Aucune information ne filtre à date (début décembre 2014) sur le nombre exact de « criminels dangereux », récupérés depuis l’évasion du 10 août.
Dimanche soir 30 novembre 2014, 34 détenus se sont évadés de la prison civile de Saint-Marc (département de l’Artibonite). Seulement 4 d’entre eux ont été repris par la police le lundi 1er décembre.
La dépréciation de la gourde encore au rendez-vous
Depuis le début de l’exercice 2014-2015, est observée une dépréciation accélérée de la gourde face au dollar américain.
Le taux de change est à 47.00 gourdes, soit une valorisation d’environ 2% du dollar américain par rapport à la monnaie nationale.
« Avec le prix du dollar américain, qui augmente, en considérant, sur le marché, que près de 55 % de produits alimentaires disponibles viennent de l’extérieur, il y a un danger », alerte Gary Mathieu, directeur de la Coordination nationale de la sécurité alimentaire (Cnsa).
La hausse du dollar américain entraînerait des ajustements, par les importateurs, des prix des produits alimentaires. Ce qui sera défavorable aux consommatrices et consommateurs, anticipe la Cnsa.
Recommandant une stabilisation des produits du panier de la ménagère, la Cnsa demande au gouvernement de jouer sur le prix du dollar et le prix des produits à importer.
Même si la Banque centrale peut jouer sur le prix du dollar américain, en injectant plus de dollars américains sur le marché haïtien - pour faire baisser le taux de change gourde / dollar, dans une logique de l’offre et de la demande -, cette situation d’augmentation du dollar américain (par rapport à la gourde) est liée à la faiblesse de l’économie nationale, explique la Cnsa. [emb kft rc apr 03/12/2014 9:55]