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Haïti-Culture : Quand des jeunes de quartiers populaires jouent Antigone de Sophocle

P-au-P, 20 oct. 2014 [AlterPresse] --- Des jeunes issus de plusieurs quartiers populaires de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, sous la houlette de la compagnie de théâtre Palto Vanyan, se préparent à présenter au public de Port-au-Prince une adaptation de la pièce Antigone - du poète grec Sophocle - selon la version créole de l’écrivain haïtien Felix Morisseau-Leroy.

Depuis plus d’un an, le metteur en scène Fritz Evens Moïse connu comme John Vanyan mène ardemment les séances de répétitions avec ces jeunes sortis de Solino, de Fort National, de Nazon, de Ravine Pintade, de bas-Delmas et d’Avenue Poupelard.

Ils sont 28 comédiens, comédiennes, danseurs, danseuses, musiciens, musiciennes, chanteurs, chanteuses à participer non sans fierté à cette aventure.

« Une pièce totale agrémentée de monologues, de dialogues, de danses folkloriques, de chants traditionnels haïtiens », promet John Vanyan, ajoutant qu’elle met « l’âme de la culture haïtienne » en exergue en 90 minutes.

Naama Souverain, chorégraphe de la pièce, soutient que les « rythmes du folklore haïtien » traduisent des moments forts de Antigone.

« Le Wangol quand il annonce un malheur. Le Petro du rite rada pour le sacrifice d’Antigone. Yanvalou pour les secours », explique Souverain qui jouera « Erzulie Mapiang » dans la pièce.

Le Roi Créon et Antigone sont les personnages centraux de la pièce.

Symbole de la rébellion à l’arbitraire, à l’autocratie, à la tyrannie, Antigone, amante de Lemon, fils du Roi Créon affronte le souverain refusant sépulture à son frère Polynice, tué dans une prise d’armes contre le royaume.

Antigone et Haïti

Passant outre, les ordres du tyran et avec une complicité des dieux et de la nature, Antigone met en terre le corps de son frère. De là nait l’inéluctable affrontement entre les deux protagonistes, affrontement dans lequel se mêlent devin, houngan, loas, amant, parent pour une véritable tragédie.

« La réalité du pays se prête à l’histoire d’Antigone. Des gens au pouvoir perpétrant des abus et méprisant le droit à la vie des citoyens, se retrouvent historiquement en face de personnes s’insurgeant contre ces pratiques », explique Moïse.

Ici en Haïti, on a connu la présidence à vie des Duvalier dont l’un des derniers « symboles forts de l’injustice », Jean-Claude Duvalier s’est éteint le 4 octobre 2014, terrassé par un infarctus. Ses funérailles ont été chanté le 11 octobre.

« Personne ne peut me rouler dans la farine. Je suis le chef de mon pays et c’est ainsi. Mon métier est de commander un pays que j’ai reçu en don de Dieu » se gargarise le Roi Créon, même si en privé, le monarque se demandera s’il « rêve » en assistant une jeune femme [Antigone] le défier.

Palto Vanyan, jeunesse et quartier populaire

Jacques Sander Séméus qui joue le rôle de Roi Créon dans la pièce reconnait qu’il a « découvert [ses] potentialités » grâce à sa pratique théâtrale dans la compagnie Palto Vanyan.

Sessions de formation sur le civisme, la citoyenneté, les arts dramatiques, conférences sont certains des moyens par lesquels Palto Vanyan recrute ses membres pour faire son travail de « valorisation des jeunes des quartiers populaires », indique le metteur en scène Moise.

En général les pièces montées par Palto Vanyan sont jouées également dans les quartiers d’origine des jeunes, selon Valdano Louis, interprète de Tiresias, hougan grand conseiller du Roi Créon.

« En jouant une pièce de la dimension d’Antigone, nous nous offrons comme modèles aux jeunes de nos quartiers. Mais aussi leur envoyons un message clair pour leur dire qu’ils peuvent davantage que nous » poursuit Louis.

Roxan Ledan, dont la compagnie « Ayiti Bèl » présente la pièce, est très optimiste quant à l’avenir de ces jeunes issus des quartiers populaires dans le théâtre.

« Ils font du théâtre avec un niveau professionnel extraordinaire. Je pense qu’ils peuvent jouer sur n’importe quelle scène internationale. Et c’est mon intention en travaillant avec Palto Vanyan », affirme Ledan.

Michena Venalus, Antigone dans la pièce, s’inspire de son rôle de rebelle pour prendre la défense des enfants en domesticité en proie à la maltraitance dans leurs familles d’accueil.

« Je ne peux tolérer qu’on maltraite un enfant, qu’on ne l’envoie pas à l’école et qu’on foule ses droits aux pieds sans que je n’élève la voix. Me taire signifie que je ne suis pas digne de jouer Antigone » raconte Venalus à AlterPresse.

La compagnie artistique connue aujourd’hui comme « Palto Vanyan » a d’abord été une troupe de théâtre dénommée « Karako Vanyan » fondée en 2007.

A l’actif de Palto Vanyan, la pièce à succès « la dérive du roi » jouée en 2008 en Haïti et en 2009 en Suisse.

En 2013, la Suisse a encore accueilli ces jeunes artistes haïtiens pour la pièce « le balayeur et la rose » en collaboration avec la compagnie Zappar et le groupe musical Pierrot le fou. [efd kft gp apr 20/10/2014 15 :15]