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Jean-Claude Duvalier, funérailles nationales ? La Constitution a déjà tranché

Par Lis Bell *

Soumis à AlterPresse le 8 octobre 2014

Le débat sur l’accomplissement ou non de funérailles nationales pour Jean-Claude Duvalier divise. Pourtant, la Constitution qui reste notre première boussole, est bien explicite sur tout ce qui est lié à l’ex-dictateur en matière de législation.

En effet, l’article 297 de la Constitution dispose : « Toutes les lois, tous les décrets restreignant arbitrairement les droits et les libertés fondamentaux des citoyens notamment :

a) Le décret-loi du 5 septembre 1935 sur les croyances superstitieuses

b) La loi du 2 aout 1977 instituant le tribunal de la sureté de l’Etat

c) La loi du 28 juillet 1975 soumettant les terres de la Vallée de l’Artibonite a un statut d’exception

d) La loi du 29 avril 1969 condamnant toute doctrine d’importation ; sont et demeurent abrogés. »

De ces 4 alinéas, trois se référent au règne des Duvalier, et deux directement a celui de Jean-Claude Duvalier.

Ainsi, l’ex-président a vie, en 1977, avait introduit dans l’infrastructure judiciaire traditionnelle, un Tribunal de Sureté, autrement dit, un tribunal d’exception qui lui donnait le pouvoir d’exil ou de mort à l’encontre de tout apprenti-contestataire ou opposant du régime. En outre, le dictateur avait maintenu en vigueur la loi promulguée par son père condamnant toute doctrine d’importation, autrement dit l’expression d’idées autres que celles prônées par la dictature.

En somme, la Constitution de 1987, à travers cet article, rappelle le caractère répressif et violateur des libertés et droits fondamentaux, exprimé par le régime du président a vie Jean-Claude Duvalier.

Une question s’impose. Un ex-violateur de droits humains peut-il représenter un modèle pour la jeune génération au point qu’on puisse l’honorer à travers des funérailles nationales, c’est-à-dire des funérailles censées exprimer la ferveur et la haute considération de toute une nation ?

L’actuel président haïtien, qui a prêté serment sur la Constitution de 1987, peut-il se lancer dans cette direction sans renier la même Constitution qui a chanté les funérailles de tous les textes de lois qui faisaient de Jean-Claude Duvalier un violateur permanent de droits humains ?

Sans doute, la nation a beaucoup de leçons à tirer du passage de Jean-Claude Duvalier sur cette terre d’Haïti et de sa présence en terre étrangère. Ses expériences doivent servir à éclairer notre chemin de peuple souffrant et humilié.

En effet, le passage de l’ex-dictateur a mis en pleine lumière l’étroite complicité des "Grands" de l’Internationale avec nos dirigeants quand ils se montrent délibérément anti-haïtiens.

Ainsi, la France des Droits de l’Homme, socialiste, républicaine, a opéré des déportations sans pitié de pères de famille haïtiens sur son territoire, de la Guadeloupe a la Martinique en passant par la Guyane. Au point que des réseaux associatifs en France métropolitaine ont lancé et lancent régulièrement des alertes pour la défense de ces migrants-es. Pourtant, de Mitterand (dont le gouvernement Fabius avait promis que Duvalier fils ne resterait en France que 8 jours) a Nicolas Sarkozy en passant par Jacques Chirac, l’establishment français a toujours trouvé fort agréables la compagnie de Jean-Claude Duvalier et….ses sous. Après tout, l’ex-président à vie, pendant 15 ans, n’avait causé l’exil, le viol ou la mort à Fort-Dimanche qu’à des citoyens et citoyennes haïtiens. Et puis, il s’appelait Duvalier et non Amaral Duclona. Car la France sait bien juger. Et elle a jugé équitablement : 25 ans de réclusion pour Amaral Duclona et 25 ans de tranquilles promenades et de protection pour l’ex-dictateur spoliateur Jean-Claude Duvalier.

Par ailleurs, l’ex-président a vie, contrairement aux dires de l’Exécutif haïtien, n’a pas pu et n’a pas su se dépasser et se montrer un fils digne du pays. Au plus fort de l’indignation nationale et internationale vis-à-vis de l’arrêt scélérat du Tribunal Constitutionnel dominicain, à l’encontre des descendants des coupeurs de canne haïtiens dûment Dominicains au regard de la loi, l’ex-président à vie ne s’est jamais prononcé.

Qui d’autre que Jean-Claude Duvalier, savait le mieux, que ces braceros étaient rentrés de manière parfaitement légale en République Dominicaine ? Pour au moins 4 raisons :

1- C’est lui qui validait les accords d’embauche des coupeurs de canne avec son homologue dominicain.

2- C’est son Ministère de la Santé qui leur délivrait le certificat de santé avant la traversée

3- C’est son Bureau des Contributions qui leur octroyait une carte d’identification

4- Enfin, ce sont ses consulats établis en République Dominicaine à proximité des plantations de canne qui octroyaient une carte d’enregistrement aux braceros. (Source :Nacionalidad dominicana y los Dominicanos y Dominicanas de ascendencia haitiana, entre normas juridicas y realidades/CCDH/septembre 2011)

Il est regrettable qu’à entendre les dirigeants dominicains crier à tue-tête à "l’illégalité" du statut des pères des Dominicains d’ascendance haïtienne, que Jean-Claude Duvalier, l’ex-dictateur résident en Haïti, eût décidé de se taire jusqu’à son dernier souffle. En tout état de cause, il n’aura pas été un fils authentique du pays sensible au sort des humiliés.

L’actuel gouvernement voudra t-il, en offrant à Jean-Claude Duvalier, l’honneur suprême, cracher sur la mémoire des centaines de milliers de braceros vendus et réduits en esclavage avec la complicité active de l’ex-dictateur ? Voudra-t-il ternir l’histoire du pays en envoyant un message regrettable à l’Etat voisin qui avait hébergé maints tontons macoutes espions de Duvalier dans les bateys sucriers et occasionné la disparition de braceros apres la zafra ? (Source : Un monde à part, l’immigré haïtien en République Dominicaine, J.P.Lamothe). Voudra t-il encore envoyer un message de non-solidarité avec Haïti, aux réseaux du monde, comme la société anti-esclavagiste (ASI) de Londres, qui, a la fin des années 1970, avait considéré que « les conditions de recrutement, de transport, de travail et de vie des coupeurs de canne haïtiens étaient similaires aux formes contemporaines d’esclavage ». (GARR, 2008)

Funérailles nationales ou pas ? Les funérailles nationales sont des hommages rendus de manière officielle. Rendrons-nous donc hommage à Jean-Claude Duvalier quand la Constitution s’est déjà prononcée ? Quand l’Idéal national nous impose l’exemple aux jeunes générations des valeurs morales de liberté et de dignité humaine ?

Funérailles nationales ou pas ? D’aucuns diront que l’actuel président haïtien a habitué la nation à bien des étrangetés, voire des petitesses. N’est-il pas allé saluer avec fierté le président américain Barack Obama alors que ce dernier plus de 3 ans après l’immense désastre du 12 janvier, n’avait pas daigné fouler le sol haïtien pour s’incliner, en ‘bon ami’ d’Haïti, sur la disparition des 300 mille victimes du tremblement de terre. Le Protocole made in Martelly a donc voulu que ce n’est plus à l’ami fidèle de payer avec respect une visite à la famille des défunts. C’est plutôt à la famille des défunts de s’enorgueillir d’aller visiter "le grand ami fidele" !!?

Jean-Claude Duvalier, funérailles nationales ? La Constitution a déjà tranché. Notre texte majeur comporte le vocable de Président et non celui de Président a vie. Assumant le Pouvoir a 19 ans, il aurait eu 44 ans de présidence a vie, aujourd’hui, a sa disparition. En outre, la présente Constitution ne fait pas de Duvalier fils un innocent comme l’atteste l’article 297 susmentionné. Faut-il souligner, en outre, que notre charte constitutionnelle représente au regard de maints pays du monde, un texte d’avant-garde car elle fait de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, un texte fondateur.

En résumé, la loi-mère, a travers son article 297, nous rappelle que l’ex-président à vie Jean-Claude Duvalier ne saurait avoir droit à des funérailles nationales car, à travers des lois et décrets-lois de son régime, il avait chanté officiellement, pendant 15 ans, les funérailles des DROITS HUMAINS.

Contentons-nous donc de reprendre l’expression consacrée : Paix a son âme !

* Militante de Droits Humains

Port-au-Prince, Haïti
8 octobre 2014