« Dans les conditions actuelles de fonctionnement du système haïtien, il est tout à fait possible que l’écart, déjà existant, s’agrandisse entre le nombre d’enfants qui terminent l’école obligatoire et ceux qui parviennent effectivement à maitriser un minimum de compétences cognitives. Les politiques publiques ne peuvent pas, par conséquent, se borner à remplir d’enfants les salles de classe si ces écoliers n’ont pas la chance de vivre l’expérience d’un apprentissage réel.
De plus, l’école haïtienne, à cause des nombreuses contraintes, tant d’ordre physique que pédagogique, qui pèsent sur son fonctionnement, est encore loin de réunir les conditions de préparation des enfants à une citoyenneté responsable, intégrant les compétences, les valeurs et attitudes capables d’en faire des agents de développement et des citoyens créatifs, actifs et responsables » [1].
Enquête
Deuxième partie
P-au-P, 21 juillet 2014 [Ayiti Kale Je / AlterPresse] --- « Nous devons travailler fortement sur l’aspect [qualité]. Quand il y a ces types d’efforts [avec beaucoup plus d’enfants qui ont accès à l’éducation avec le programme], nous devons les utiliser pour exiger beaucoup plus de qualité. Il y a des avancées importantes [pour encourager] l’accès, mais nous devons travailler davantage sur ce que vont apprendre les élèves », considère Reynold Telfort, coordonnateur général, depuis mai 2014, des Programmes de scolarité universelle, gratuite et obligatoire (Psugo).
En dépit des progrès constatés et des perspectives annoncées en matière d’accès à l’école primaire, il y a lieu de se préoccuper quant à la qualité de l’éducation offerte par l’école haïtienne, lit-on dans un document du Ministère de l’éducation nationale et de la formation professionnelle (Menfp) [2]
Quid de la formation des maîtresses et des maîtres ? Y a-t-il vraiment une disponibilité de manuels pertinents, dépouillés de stéréotypes ? Qu’en est-il du cadre approprié d’inspection des établissements scolaires ?
D’aucuns se demandent est-ce que le gouvernement, comme il l’a fait depuis 2011, ne va pas se trouver un nouveau biais pour ne pas commencer la nouvelle année académique à la date du 8 septembre 2014.
Durant les trois dernières années, le Menfp a décidé de reports non justifiés (de la rentrée des classes) pour masquer la non préparation de ses équipes et le manque de planification des activités académiques, suivant le minimum requis de jours annuels de classes.
« Le nombre de jours scolaires est le plus faible de la région (moins de 180 jours) et les écoliers haïtiens bénéficient, en moyenne, d’un temps d’instruction, inférieur au temps annuel de 850 heures à 1,000 heures, considéré comme la norme internationale minimale », reconnaît le Menfp dans un document.
Des statistiques alarmantes
85.4% des enseignants de l’École fondamentale ne possèdent pas les qualifications requises pour exercer leur métier d’enseignant. Les enseignants, majoritairement non qualifiés, utilisent des méthodes pédagogiques obsolètes.
56% des écoles fondamentales fonctionnent dans des installations précaires (églises, maisons particulières et tonnelles), non conçues pour organiser de véritables apprentissages. La majorité d’entre elles (76.8%) fonctionnent sans électricité, selon des chiffres du Menfp.
Plus de 70% des écoles privées fonctionnent sans la licence de fonctionnement du ministère de l’éducation.
Seulement 33% des élèves, entrant en première année fondamentale, atteignent la cinquième année fondamentale.
A la réalité de l’insuffisance et de l’inadaptation de manuels scolaires et de matériels didactiques, ainsi que de ressources pédagogiques dans les écoles, se greffent beaucoup de faiblesses dans le système de supervision scolaire (inspectrices et inspecteurs ainsi que conseillères et conseillers pédagogiques désinvoltes) et d’encadrement des maîtresses et des maîtres.
Contradictions entre les discours et les faits
Malgré ce constat, les responsables de l’éducation nationale n’hésitent pas à parler de « virage vers la qualité » pour la 2e année (2012-2013) de mise en œuvre du Psugo.
Ce « nouveau départ » ambitionnait d’aboutir, en 2013-2014, à la formation de meilleurs professeurs, à la dotation de matériels scolaires aux enfants qui bénéficieraient d’un processus d’apprentissage approprié.
La Confédération nationale des éducatrices et éducateurs d’Haïti (Cneh) assimile le dit « virage vers la qualité » plutôt à un slogan.
« Quel type d’enseignantes et d’enseignants met-il devant les élèves ? Qui sont les responsables des établissements scolaires : des personnes, qui n’ont même pas une formation initiale ; des gens qui n’ont même pas une base pour pouvoir suivre une formation initiale. Ce qui veut dire que le problème persiste ».
Beaucoup de facteurs sont déterminants. De nombreux problèmes doivent être résolus avant d’évoquer un « virage vers la qualité. Ce n’est pas aussi simple », souligne la Cneh.
Cela ne saurait se résumer à l’organisation de deux séminaires ou de deux journées de sensibilisation.
« La façon dont le programme [Psugo] est mis en œuvre cause plus de dérives et de dégâts dans le système. La question de la qualité n’est nullement prise en compte. N’importe quelle personne est placée devant les élèves comme professeur. Des écoles sont créées dans n’importe quelle condition. Des gens ont [rapidement] mis sur pied une école à l’évocation du programme », critique la Cneh.
Ce que confirme Dasly Destiné, responsable d’un établissement scolaire dans le département de l’Artibonite.
« Avec la question d’école gratuite, n’importe qui pense être capable d’avoir une école. N’importe qui devient professeur… », dit-il.
Dans le cadre du Psugo, des professeurs ont bénéficié de sessions de mise à niveau, d’autres n’ont pas été invités à ces séances de formation, rapportent des directeurs d’écoles.
« Le programme [Psugo] vient affaiblir davantage les écoles privées qui consentent beaucoup d’efforts pour offrir un enseignement de qualité. Il y a des écoles qui ont rempli tous les critères, pour intégrer le programme. Mais elles n’ont pas reçu de subventions, alors que leurs élèves sont là. Ces écoles sont dans la merde. Vous imaginez ce qui se passe quand une école ne peut pas payer ses professeurs ? Les professeurs ne seront pas réguliers. Ils finiront, un jour, par abandonner », craint la Cneh.
Parallèlement, les visites d’inspecteurs et d’enquêteurs ne touchent pas tous les établissements scolaires concernés. Des interrogations planent sur le processus d’encadrement véritable des maîtresses et des maîtres.
« Dans le budget d’exécution du Psugo, on compte des millions [de gourdes] qui sont écoulées en termes de supervision scolaire et de visites de terrain. On dit plein de choses, mais, dans la réalité, cela reste à vérifier et à mesurer », analyse la Cneh.
Or, l’Etat gagnerait de préférence à construire davantage d’écoles publiques, à les renforcer et à leur permettre d’accueillir le plus d’enfants possible. Certains établissements auraient besoin de soutien et d’encadrement, appropriés à un processus pertinent de recrutement des enseignantes et enseignants.
« Le programme [Psugo] doit être révisé complètement. Une révision, qui impliquerait véritablement le renforcement des écoles publiques et l’appui aux écoles existantes ».
A rappeler que plus de 80% du parc scolaire est privé (non public et service payant).
De même, plus de 70% des écoles non-publiques ne seraient pas accréditées dans le programme lancé depuis 2011, selon les chiffres disponibles.
« Avec les sommes gaspillées durant la première année d’implémentation du Psugo, l’Etat aurait pu construire des écoles au niveau des sections communales (surtout dans celles qui en sont dépourvues). L’Etat aurait pu former une cohorte de professeurs ainsi que des jeunes qui ont terminé leurs études classiques. Au cours de la deuxième année, des écoles seraient alors inaugurées et remplies d’enfants. Il y aurait, de nos jours, de meilleurs résultats ».
Ce qui n’a pas été le cas, déplore la Cneh.
329 écoles nationales ont été créées dans le cadre du Psugo, selon le Menfp.
Par contre, le programme lancé en 2011 n’a nullement permis de consolider les établissements scolaires qui existaient déjà.
Au contraire, le Psugo a fragilisé beaucoup d’écoles, contribuant à affaiblir davantage le système éducatif haïtien, observent plusieurs directeurs d’établissements scolaires et des dirigeants syndicaux. [akj apr 21/07/2014 18:00]
[à suivre]
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