Lettre ouverte de plusieurs associations au président Michel Martelly
Document soumis à AlterPresse le 30 juin 2014
Son Excellence Monsieur Michel Joseph Martelly
Président de la République d’Haïti
Port-au-Prince, Haiti
Monsieur le Président,
Le Collectif du 4 Décembre 2013 et les organismes signataires de la présente sont
vivement préoccupés par la nouvelle loi dominicaine 169/14, portant sur un « régime
spécial » et la naturalisation. Cette nouvelle loi adoptée par le congrès et promulguée
par le gouvernement dominicain respectivement les 22 et 23 mai 2014, en réalité,
n’apporte pas de réponses pertinentes aux graves violations de droits humains
causées par la décision raciste, inhumaine et dégradante du 23 septembre 2013 de la
Cour Constitutionnelle dominicaine (Arrêt TC 168/13).
Cette préoccupation du Collectif du 4 Décembre et des organismes partis à la présente
lettre, devient encore plus accrue lors du constat que le président de la République
d’Haiti, S.E.M. Michel Joseph Martelly, donne ouvertement dans les médias
dominicains un satisfecit à son homologue dominicain par rapport à la nouvelle loi
dominicaine 169/14, tout en tenant des propos très élogieux à l’endroit du président
et du gouvernement dominicains.
Faut-il vous rappeler que cette nouvelle loi n’est rien d’autre qu’un mécanisme
cynique d’application de l’Arrêt raciste TC 168/13 ? Cette nouvelle loi s’inscrit dans
la droite ligne de la politique nazie et remet en cause le fondement même de la Charte
des Nations Unies dans laquelle les États membres non seulement proclament, au
nom de toute l’humanité, leur foi dans le respect de la dignité humaine et des droits
humains pour tous sans considération aucune (préambule de la Charte) mais encore
s’engagent à agir tant conjointement que séparément en vue de favoriser leur
jouissance pleine et effective pour tous (articles 55 et 56).
Pour rappel.- Dans ses deux premiers considérants, la loi dominicaine 169/14
consacre, sans équivoque, et ce de manière expresse, l’Arrêt honteux du 23 septembre
2013, tout en précisant que les décisions de la Cour constitutionnelle, incluant l’Arrêt
TC 168/13, sont définitives, irrévocables et s’imposent aux organes de l’État.
De plus, en instituant un « régime spécial », cette loi fait un distinguo entre les
personnes nées de parents étrangers non-résidents sur le territoire dominicain et qui
sont inscrites de façon irrégulière dans le registre civil, d’une part et celles nées de
parents étrangers non-résidents sur le territoire dominicain mais qui ne sont pas
inscrites dans le registre civil entre 1929 et 18 avril 2007, d’autre part.
La première catégorie de personnes, aux termes de cette nouvelle loi, devrait se
voir restituer la nationalité dominicaine puisque la nationalité dominicaine d’origine
doit leur être reconnue automatiquement. Pourtant, toujours aux termes de cette
même loi, ces personnes seront mises sous l’égide d’un régime spécial qui prête à
équivoque. Ce régime est-il basé sur le Registre des étrangers ? Sur la nationalité
d’origine ou par naturalisation..? Et ainsi donc commence la ritournelle des dilatoires.
Fait corroborant : la première dénationalisée qui s’était vue refuser le renouvellement
de son passeport dominicain et empêcher de quitter le territoire dominicain, Mme
Juliana Deguis Pierre, ne peut, à date, obtenir sa carte d’identité dominicaine malgré
les démarches de ses avocats. Maintenant, elle doit se soumettre à une procédure
spéciale selon le président de la Junte Centrale Dominicaine.
La deuxième catégorie, qui constitue la grande majorité, soit près de 200,000
personnes touchées par l’Arrêt du 23 septembre 2013 n’ont pas de documents,
notamment l’acte de naissance, et ont un délai de 90 jours pour remplir les formalités
d’application au Plan National de Régularisation d’Étrangers (PNRE) en vue de
produire une demande de naturalisation.
Il ne fait aucun doute que les personnes de cette 2ème catégorie ne pourront pas
remplir les formalités dans ce délai. Une réalité qui va certainement créer et
consolider des milliers de cas d’apatridie. D’ailleurs, l’État dominicain refuse toujours
de régulariser leur situation. De plus, les autorités dominicaines insistent et ne
cessent de dire qu’il n’y aura aucune considération pour ceux qui n’appliquent pas à
temps pour le PNRE. Ce ne sera donc que la pratique systématique, légitimée de la
xénophobie et du racisme profond, échelonnée sur le temps.
C’est pourquoi, le Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme de l’ONU, suite à la
promulgation de la loi 169/14, se montrait déjà très inquiet face à cette nouvelle
réalité très préoccupante qui annoncait déjà des jours très sombres. En effet, il s’agit
de milliers de gens empêchés de jouir de leur droit à la nationalité, tous des gens qui
ont automatiquement droit à la nationalité dominicaine, car non seulement ils sont
nés sur le territoire dominicain (jus soli) mais ils y ont tissé leurs liens culturels,
linguistiques et également contribué à l’émancipation économique de la République
Dominicaine… (Nationalité effective).
Nous saluons toutes les organisations internationales des droits humains comme
Amnesty International et Le Centre Robert F. Kennedy, qui ont sévèrement critiqué et
dénoncé l’inefficacité de la loi Medina et ont prôné l’adoption d’une solution
permettant le respect inconditionnel des droits fondamentaux des personnes.
Nous sommes consternés par le fait que le président de notre pays congratulait au
cours de ce mois de juin son homologue dominicain Danilo Medina pour la
promulgation de la loi 169-14 (ref. Le Nouvelliste no.39250 ). Malgré les contestations
de cette nouvelle loi par la société civile haïtienne et des instances internationales, le
président de la République d’Haïti, en marge d’une rencontre avec des investisseurs
dominicains, vante la loi 169-14 dite Loi Medina et apporte son appui au processus
lancé par son homologue dominicain.
Opprobre suprême ! répliquons-nous.
Est-il nécessaire de rappeler que nous sommes concernés à double titre par ce drame
humain qui se déroule en République dominicaine ? En premier lieu, à titre de
membre fondateur des Nations Unies, Haïti a l’obligation d’agir conjointement ou
séparément pour la défense des droits humains ; en second lieu, parce que la majorité
des citoyens dominicains affectés par l’arrêt TC 168/13 est d’ascendance haïtienne.
Votre comportement dans ce dossier, Monsieur le Président de la République, suscite
bien des interrogations :
• Pourquoi le Président de la République approuve-t-il la nouvelle loi 169-14
dont la pertinence, l’efficacité ou le bien-fondé ont déjà été remis en question
par les autres pays et organismes respectueux des droits de l’Homme ?
• Le Président de la République sait-il que la Loi Medina n’est que l’application
de l’ignoble arrêt TC 168-13 condamné par ces pays et organismes ? Sait-il que
cette loi ne bénéficie qu’à une partie (soit 10 à 12%, et encore selon un régime
spécial très équivoque) des candidats à l’apatridie outrageante ?
• Le Président de la République mesure-t-il l’ampleur du génocide civil généré
par l’Arrêt ? Est-il conscient que de par son appui à la Loi Medina, Haïti fait un
manquement grave à ses obligations internationales de défense des droits
humains fondamentaux ?
• Le Président de la République a-t-il choisi de privilégier les relations d’affaires
avec la République dominicaine au détriment de la défense des droits humains
fondamentaux des centaines de milliers de citoyens dominicains victimes de
l’arrêt xénophobe 168-13, dont la grande majorité est d’ascendance haïtienne ?
• En acceptant de servir de caution à la Loi Médina injuste et dégradante,
comment le Président de la République peut-il encore prétendre défendre les
intérêts de la nation haïtienne, les droits fondamentaux de la population
haïtienne ou des citoyens haïtiens en difficulté à l’étranger ? La voix d’Haïti
peut-elle encore être entendue sur la scène internationale en matière de
défense des droits humains ?
Votre comportement, Monsieur le Président, doit définitivement pousser chaque
citoyen haitien, chaque citoyenne haitienne à se questionner sur le sentiment
d’appartenance de ses dirigeants et sur l’avenir d’Haiti, notre pays.
Face à cette réalité doublement préoccupante, le Collectif du 4 Décembre et les
organismes signataires lancent un vibrant appel à toute la société civile haïtienne, au
Secteur Privé haitien, à la société civile internationale, aux institutions internationales
et régionales garantes du respect des droits humains, aux pays qui ont toujours
soutenu la cause de la dignité humaine, à tous les hommes et à toutes les femmes en
vue de continuer la lutte en faveur du respect des droits des milliers de dominicains
visés par une politique rappelant celle du 3e Reich des Nazis sous couvert d’une
nouvelle démarche migratoire.
De notre côté, nous autres citoyens haïtiens, nous devons également prendre la
décision et les dispositions nécessaires en vue de promouvoir une croissance
inclusive, un développement social, susceptibles de créer des conditions de vie
acceptables pour l’ensemble de notre population de telle sorte qu’aucun fils de la terre
d’Haïti n’ait à subir une semblable avanie sur une terre étrangère.
NOUS SOMMES UN PEUPLE FIER !
Nous souhaiterions retrouver cette fierté chez nos dirigeants !!!!!
NOUS SOMMES UN PEUPLE FIER DE PAR NOTRE HISTOIRE ET NOTRE
CULTURE !!!!
Recevez, Monsieur le Président, nos meilleures salutations.
Les signataires
Jean-Robert ARGANT,
Collectif 4 Décembre
Gedeon JEAN,
Centre d’Analyse et de Recherche en Droits Humains (CARDH)
Rosny DESROCHES,
Initiative de la Société Civile (ISC)
Edouard PAULTRE,
Conseil Haitien des Acteurs Non Etatiques (CONHANE)
Philippe JEAN THOMAS,
Groupe d’Appui aux Rapatriés et Réfugiés (GARR)
Pierre ESPERANCE,
Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH)
Sylvie W. BAJEUX
Centre oecuménique des Droits Humains (CEDH)