En mars 2014, le gouvernement soumet à l’attention des compagnies privées une proposition de loi minière, malgré les critiques émises sur la méthodologie adoptée. Ludner Remarais, nommé directeur du Bureau des mines et de l’énergie (Bme), vers la mi-2012, avait fondu en larmes à une séance d’audition, en décembre 2012, au sénat de la république, sur les accords et permis délivrés par l’actuelle administration politique quant à l’exploration des ressources minières. Tour d’horizon de la situation aujourd’hui avec la recherche d’Ayiti Kale Je, dont les demandes d’information, sur la question, se sont heurtées, très souvent, à des refus catégoriques de responsables qui ne cachent pas leurs rancœurs vis-à-vis du travail d’information de médias…
Enquête
Première partie
P-au-P, 1 juillet 2014 [Ayiti kale Je / AlterPresse] --- « L’avant-projet de loi [sur les mines] n’est pas encore ouvert à toutes les parties prenantes. Mais, pour le moment, il est entre les mains des compagnies pour les commentaires et suggestions (les suites nécessaires) », indique à Ayiti kale Je (Akj) Ludner Remarais, directeur général du Bureau des mines et de l’énergie (Bme). [1]
9 entreprises auraient entamé des explorations dans des sites spécifiques à travers le territoire national.
Pourtant, depuis 2012, plusieurs voix réclament une consultation générale, en vue d’aboutir à un document qui reflète les aspirations de la population et qui protège souverainement les intérêts de la nation, notamment en matière d’environnement.
« Le document a été transmis au Ministre des Tptc à la fin du mois de février 2014. La proposition de loi minière se veut attractive pour les investisseurs, tout en défendant les intérêts de l’Etat haïtien et des populations concernées », lit-on dans un document du Bme.
Est-ce pour répondre à son leitmotiv « Haiti is open for business » que le gouvernement a décidé de rechercher, d’abord, l’opinion des compagnies privées, préalablement à la consultation des communautés et d’organisations clés sur un sujet capital pour l’avenir d’Haïti ?
Faut-il sacrifier aux gains privés les ressources du sous-sol national, qui doivent, en principe, être appropriées aux tâches de relèvement du pays ?
Depuis février 2014, une firme sud-africaine « Council of Geosciences » réalise, pour le gouvernement haïtien, une contre-expertise du potentiel minier, dont les résultats ne sont pas encore connus.
Au lieu de transparence et de bonne gouvernance, la gestion des ressources minières semble obéir à des velléités d’opacité et de dirigisme.
Groupes locaux, communautés d’implantation des futurs projets d’exploitation, organisations de pressions continuent de réclamer le droit de placer leurs mots sur la planification de mégaprojets, qui auront des impacts irréversibles dans leur vie quotidienne.
Les expériences, conduites non seulement en Haïti (bauxite à Miragoâne / Nippes et cuivre aux Gonaïves (Artibonite), mais aussi à l’étranger (liquidation et dilapidation des ressources du sous-sol en Afrique et Amérique latine, au profit de compagnies transnationales et au détriment des communautés locales), invitent à la vigilance et au questionnement sur la réalité minière, en 2014 en Haïti.
Ce sont de telles interrogations qui semblent avoir poussé le sénat, en février 2013, à demander de cesser toutes les opérations initiées sur les ressources du sous-sol par l’actuelle administration politique.
Quelques éléments tirés de l’avant-projet de loi
Un total de 293 articles forme le cadre général de l’avant-projet de loi, qui prévoit la mise en place d’une nouvelle instance, dénommée Autorité minière nationale (Anm), représentée par le Bureau des mines et de l’énergie ou un autre organisme public appelé à le remplacer.
Au terme de l’article 6, « les substances minérales solides et les substances fossiles, autres que les hydrocarbures liquides ou gazeux, sont classées, pour les besoins de la présente loi, en « substances minières » et en « substances de carrière ».
Une ’’Etude de faisabilité’’ s’entend d’une étude sur les réserves prouvées et probables d’un gisement confirmé par expertise, et comprenant au moins des volets géologique, technique, environnemental et social, financier et commercial, réalisée par des personnes qualifiées dans les matières.
L’article 7 définit différents concepts.
Une ’’autorisation de prospection’’ s’entend de l’autorisation délivrée par l’Autorité minière nationale (Amn) à une personne physique, sur sa demande, travaillant pour son propre compte ou pour le compte d’une entité, et qui s’est inscrite régulièrement au registre de prospection tenu par l’Amn.
Le ’’carré’’ est la configuration géométrique à la surface de la terre qui représente l’unité de base de l’espace, à l’intérieur duquel les droits sont conférés par les titres miniers ou de carrière. Il est indivisible et représente la superficie minimale pouvant faire l’objet d’un titre minier ou de carrières. Chaque carré est la base d’un volume solide en forme de pyramide renversée, dont le sommet est le centre de la Terre ; les côtés du carré sont orientés Nord-Sud et Ouest-Est, parallèlement aux axes de coordonnées Universal transverse mercator (Utm).
La "carrière" constitue tout site d’extraction de substances de carrière, que l’exploitation ait lieu à ciel ouvert ou par galeries souterraines, quel que soit le milieu physiographique (montagnes, plaines, lits de cours d’eau, ravines, rivages, etc.). Est aussi considérée comme carrière toute exploitation de ces matériaux, entreprise par dragage sous l’eau, ainsi que toutes installations nécessaires à l’extraction, au traitement et au stockage de matériaux de construction exploités.
Les titres, qui confèrent des droits d’exploitation des substances de carrière, sont des "permis d’exploitation de carrière" et les substances de carrière extraites sont appelées « produits de carrière »..
Une ’’carte d’exploitant artisanal’’ désigne la carte délivrée par l’Amn à toute personne physique éligible, qui s’inscrit dans le registre des exploitants artisanaux, conformément aux dispositions de la présente Loi.
Un ’’ Certificat de capacité technique et financière’’ désigne le certificat, délivré par l’Amn, attestant de la capacité technique et financière d’une personne morale intéressée à obtenir un ou plusieurs permis d’exploration..
Un ’’concentré" signifie tout produit dérivé du minerai tout-venant, après concassage, broyage, flottation, séparation gravimétrique ou autre, contenant un pourcentage appréciable de métaux et/ou de minéraux, et directement commercialisable sur le marché mondial des matières premières et minérales.
L’avant projet de loi, soumis aux compagnies privées, envisage une "convention de développement communautaire", qui définit les droits et obligations concernant la contribution du titulaire du permis d’exploitation au développement durable des communautés avoisinantes pendant la période d’exploitation minière.
Dans ce sens, une " convention minière " (parfois une convention minière type) est établie entre l’Etat et le bénéficiaire d’un permis d’exploitation conditionné, en vue de la réalisation de grands travaux d’exploitation minière.
Les ’’coûts de production" désignent les frais et dépenses, encourus par le titulaire du permis d’exploitation, depuis les opérations d’exploration jusqu’à la production du concentré, y compris la provision prévue pour le fond de réhabilitation de l’environnement, le coût du plan de développement durable de la communauté, les taxes et redevances à l’exception de l’impôt sur le revenu et de la taxe sur les dividendes.
Une "date de première production" est désignée pour la période de la première vente ou livraison commerciale de produits miniers, réalisée soit en Haïti, soit à l’étranger, à l’exception des opérations effectuées à titre d’essai. L’exploitation atteint alors la phase dite de "production commerciale".
Mais, le document introduit d’autres concepts, dont l’’’exploitation artisanale’’ qui signifie l’exploitation de substances minérales solides par des méthodes manuelles, principalement.
Un ’’exploitant artisanal autorisé" se dit de toute personne inscrite au registre des exploitants artisanaux, détenant la carte d’exploitant artisanal lui permettant d’exercer l’activité d’exploitation artisanale.
Une ’’exploitation mécanique’’ se dit de l’exploitation de substances minérales solides par des méthodes mécaniques, c’est-à-dire par l’utilisation non exhaustive et non exclusive des engins mécaniques.
L’avant-projet de loi entend par "exploitation minière" l’ensemble des activités comprises dans la préparation et la construction d’une mine, l’extraction, la concentration, le traitement, la transformation, le transport et la commercialisation des substances minières et la réhabilitation du site de la mine.
L’ "exploration minière" signifie l’ensemble des travaux géologiques, géophysiques, géochimiques, techniques, financiers et autres, dont l’objectif est d’identifier un gîte de substances minières, de déterminer l’existence d’un gisement et d’évaluer la faisabilité de son exploitation, traitement, transformation éventuelle, et la commercialisation des produits miniers qui en résulteraient.
L’avant-projet de loi désigne par ’’gisement’’ tout gîte, dont l’exploitation à des fins commerciales est économiquement rentable.
Un ’’ gîte’’ s’entend de toute concentration importante de substances minérales solides dans la terre.
De "grands travaux d’exploitation minière" signifient des travaux de construction et d’équipement initial d’un projet d’exploitation minière, dont les coûts sont estimés à cent cinquante millions de dollars américains (150,000,000.00 USD) ou plus par l’étude de faisabilité du projet, nécessitant un investissement dudit montant ou plus, avant la date de première production..
Une mine (tout gisement contenant des substances minières) est dite commercialement exploitable, lorsqu’une étude de faisabilité l’a démontrée comme tel.
Un ’’permis d’exploration’’ s’entend de tout titre, accordé à une personne morale, lui donnant le droit de réaliser des activités d’exploration minière sur un périmètre préalablement délimité, conformément aux dispositions de la présente loi.
Un ’’permis d’exploitation’’ désigne le titre délivré à toute personne morale, lui donnant le droit de réaliser des activités d’exploitation minière sur un périmètre préalablement délimité, conformément aux dispositions de la présente loi.
Un "plan de développement communautaire" désigne le plan pour le développement durable des communautés avoisinantes, auxquelles le titulaire du permis d’exploitation contribuera conformément à la présente loi.
Un "quitus environnemental" est un certificat, délivré par le ministère de l’environnement, au titulaire d’un titre minier, attestant qu’il a rempli ses obligations contractuelles en matière de réhabilitation du site.
Des "ressources réservées" désignent toutes substances qui seront définies comme telles par une décision de l’Etat, prise par arrêté présidentiel, sur proposition de l’Amn fondée sur la rareté des substances et la nécessité de leur préservation pour des raisons d’intérêt public.
Des ’’ zones interdites’’ indiquent les zones géographiques, où les activités minières sont interdites, conformément aux dispositions de la présente loi.
Des ’’ zones réservées’’ indiquent les zones géographiques, réservées par l’Etat pendant un temps déterminé et réservées à des études et/ou des travaux spéciaux, ou éventuellement pour attribution par appel d’offres, conformément aux dispositions de la présente loi.
Par ailleurs, l’avant-projet de loi évoque l’élaboration d’un cadastre minier par une unité spécifique.
L’Unité du cadastre minier (Ucm) a pour attributions la gestion de la cartographie cadastrale, comprenant la localisation des zones géographiques qui sont disponibles pour l’octroi des titres et autorisations miniers, et les zones qui font l’objet de titres ou autorisations miniers ou de demandes de tels droits ou autorisations, ainsi que les zones où l’activité minière est interdite ou restreinte.
Les chapitres proposés couvrent les modalités de mise en valeur des ressources minérales, les conditions générales d’éligibilité aux titres, l’autorisation de prospection (les conditions d’octroi des autorisations de prospection aérienne et sous-marine seront définies dans les règlements d’application de la présente loi), le permis d’exploration, le permis d’exploitation, l’autorisation d’exploitation de l’or alluvionnaire, les périmètres d’exploitation artisanale de l’or alluvionnaire (Peoa), les mécanismes d’encadrement administratif de l’exploitation artisanale de l’or alluvionnaire, le traitement et la commercialisation des produits miniers, le renouvellement et prorogation des titres miniers (ainsi que la renonciation, le retrait, la fusion, l’extinction etc.).
Quels rapports avec l’Etat ?
Au terme de l’article 156 de l’avant-projet de loi, le bénéficiaire d’un titre minier peut, à l’intérieur du périmètre qui en fait l’objet, entreprendre tous les travaux et activités, établir les installations et construire tous les bâtiments ou annexes que nécessite l’exercice des droits d’exploration et d’exploitation découlant de ce titre.
1) Exploitation des chutes d’eau non utilisées ou réservées et leur aménagement ;
2) Etablissement de centrales, postes et lignes électriques ;
3) Implantation d’installations de préparation, concentration ou traitements chimiques ou métallurgiques ;
4) Construction ou aménagement de routes, canaux, pipelines, canalisations, convoyeurs ou autres ouvrages de surface servant au transport des produits en dehors des terrains qui appartiendraient au détenteur du titre ;
5) Construction ou aménagement de chemins de fer, ports maritimes ou fluviaux, aéroports.
Le bénéficiaire d’un titre minier (article 161) ne peut occuper, dans le périmètre de ce titre, les terrains nécessaires à ses travaux qu’après entente avec les propriétaires et occupants du sol, ou, à défaut, après décision d’une commission arbitrale, sur le montant de l’indemnisation à verser aux dits propriétaires et occupants.
Dans le cas de l’utilisation d’un terrain, pour toute autre raison que des installations définitives ou des activités d’exploitation, le bénéficiaire doit payer une indemnisation comprenant le dédommagement du propriétaire et la compensation de tout dommage à lui causé par l’occupation temporaire du terrain.
De même, dans le cas de l’utilisation d’un terrain pour des installations définitives ou des activités propres à l’exploitation, le bénéficiaire doit en faire l’acquisition suivant la valeur marchande augmentée d’une indemnisation comprenant le dédommagement du propriétaire et la compensation de tout dommage à lui causé par cette transaction.
Il demeure entendu que, dans le cas de transactions ou de toute forme de valorisation de terrain, survenu après la date de démarrage des travaux effectués en vue de la découverte du gisement, la valeur marchande du terrain ne pourra jamais dépasser la juste valeur marchande d’autres terrains de même type et de même superficie dans la région et non visés par l’exploitation probable de mines.
Même la Banque mondiale exige une implication des communautés
« Le développement du secteur des mines pourrait contribuer, de manière significative et durable, à l’économie en Haïti si le secteur est géré dans la transparence et la bonne gouvernance », estime Rémi Pelon, spécialiste de la Banque mondiale sur la question minière.
La participation des communautés autochtones, à la prise de décision dans des projets qui les affectent, est un impératif depuis des décennies.
La Banque Mondiale a suggéré au gouvernement [haïtien] « d’organiser des consultations élargies avec toutes les parties prenantes, y compris le secteur privé et la société civile, dès que ces travaux arrivent à maturité ».
Depuis mars 2013, la Banque mondiale apporte une assistance technique dans l’optique de mettre à disposition du gouvernement haïtien les bonnes pratiques tirées de l’expérience internationale en matière de cadre politique, légal et institutionnel et de gestion environnementale et sociale du secteur minier. [akj apr 01/07/2014 16:00]
[à suivre]
Un consultant de la Banque mondiale et une équipe interministérielle [un représentant du Bureau des mines et de l’énergie (Bme), du bureau du premier ministre, des ministères de l’économie et des finances (Mef), des travaux publics transports et communications (Mtptc), du Conseil de développement économique et social (Cdes)] ont travaillé à l’élaboration d’un projet de loi visant à dynamiser le secteur, tout en optimisant les retombées de celui-ci pour l’Etat et la population.
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Ayiti Kale Je » (http://www.ayitikaleje.org/) est un partenariat établi entre AlterPresse (http://www.alterpresse.org/), la Société d’Animation et de communication sociale (Saks -http://www.saks-haiti.org/), le Réseau des femmes animatrices des radios communautaires haïtiennes (Refraka), les radios communautaires et des étudiants de la Faculté des sciences humaines (Fasch)/Université d’État d’Haïti (Ueh).
[1] Le draft final du document de 88 pages en circulation, dont s’est procuré Ayiti Kale Je (Akj) parle de « task force, composé du Bureau des mines et de l’énergie, du ministère de l’économie et des finances, du ministère de l`Environnement et d’un Expert International. Il entend « définir les principes et les conditions généraux, suivant lesquels s’exercent les activités de prospection, d’exploration et d’exploitation des ressources minérales ou fossiles, sur tout le territoire de la République d’Haïti ».
Les gîtes naturels de substances minérales solides ou substances fossiles solides, renfermés dans le sein de la terre ou existant à sa surface, sont la propriété exclusive et inaliénable de l’Etat et régis par les dispositions de la présente Loi. Ils sont séparés de la propriété du sol et font partie du domaine public. Leur gestion est assurée par l’Etat qui se réserve le droit d’entreprendre ou d’autoriser toutes opérations de prospection, d’exploration et d’exploitation y relatives, indique l’article 2 du document.
Les concepteurs n’écartent pas l’éventualité de création d’un autre organisme public, susceptible de remplacer le Bme et de remplir (à sa place) la fonction d’Autorité minière nationale (Anm).