P-au-P, 22 juin 2014 [AlterPresse] --- Alors que l’exécutif a déjà convoqué les électeurs pour les scrutins législatifs et municipaux prévus en octobre et décembre prochains, des centaines voire des milliers de cartes d’identification nationale (Cin), servant aussi de cartes électorales, se trouvent chez des prêteurs sur gages.
Pour pouvoir se payer un plat chaud et ne pas crever de faim en général, des citoyens et citoyennes dans des quartiers populaires utilisent leurs pièces d’identification, dont la Cin, comme garantie de prêts s’élevant entre 25 et 250 gourdes (entre 0,50 USD et 5,00 USD) avec un taux d’intérêt mensuel variant entre 15 et 25%.
Dans le quartier de 5ème Avenue Bolosse, Martissant (secteur sud), cette pratique de mettre en gages (qui se dit plane en Créole) son Cin n’est pas insolite. C’est une porte de sortie pour les jeunes de cette zone.
Selon des informations fournies par les pratiquants de ce type de transactions, 80% des déposants de pièces sur gages sont des hommes.
Samuel Madistin, avocat et politique « étonné de l’existence de cette pratique » soutient que « c’est un contrat qui n’a rien d’illicite en lui-même mais peut déboucher sur des actions illicites comme frauder dans le processus électoral surtout avec un conseil électoral peu crédible ».
« Planer » son identité pour garder sa dignité
Mackenson Bernard, un jeune dans la vingtaine n’arrive pas à payer les intérêts sur sa Cin confiée à la « maison d’affaires » « Si Bondye vle » (Si Dieu le veut) depuis 13 mois.
« J’ai ma dignité à sauvegarder. Je ne peux voler. Mieux vaut déposer sur gages ma carte pour survivre. J’ai pris 100 gourdes sur elle et je n’arrive toujours pas à la récupérer à cause des intérêts cumulés », explique Bernard.
Un tour dans le local de Si Bondye vle met en évidence le volume de cette pratique. Des seaux, des cartons sont remplis de ces pièces d’identification majoritairement des Cin.
Antoine Nathan, le propriétaire de l’établissement fait figure de « bon samaritain » dans la zone et le croit fermement.
Au milieu de différents objets déposés sur gages chez lui, entre deux clients, il évoque une certaine « conscience d’aider les plus démunis dans la zone au lieu des accusations de blanchiment d’argent » que ses détracteurs utilisent contre lui sous prétexte qu’une Cin n’est pas un « objet revendable ».
« Pour recevoir ce document chez moi, il faut qu’il soit valide et apporté par son propriétaire. Le montant du prêt dépend du personnage », informe Nathan.
En tout cas déposer sa Cin au « bric-à-brac » devient récurrent compte tenu des mauvaises conditions de vie des habitants des quartiers populaires.
« La misère, en plus de déshumaniser, dépersonnalise les individus aussi. Et c’est très préoccupant », affirme Madistin.
Le plus souvent, les déposants sur gages, comme le jeune Mackenson Bernard, ne reviennent pas prendre leur Cin faute de moyens.
Vont-ils à l’Office national d’identification déclarer une perte et demander une nouvelle impression de la Cin ? Nathan ne sait pas. Il n’a jamais vérifié dans les montagnes de pièces qu’il détient.
« Je ne me rappelle pas avoir rencontré deux Cin imprimées pour une même personne dans mon établissement. De surcroît, je crois connaître presque tous mes clients », indique le propriétaire de Si Bondye vle .
Quelles possibles répercussions sur la réalité électorale ?
« Pour les prochaines élections, tout candidat qui me permet de rembourser les prêts aura automatiquement mon vote », déclare le jeune Bernard à AlterPresse.
D’autres jeunes du quartier voient déjà les probables élections de cette fin d’année comme une « aubaine » pour ravoir leur fameux sésame sans lequel ils sont souvent traqués par les agents de la police nationale.
« C’est un grand danger », prévient l’avocat Madistin craignant que « des candidats proches de ceux qui contrôlent la machine électorale gagnent les élections par des votes opérés par substitution de personnes ».
Les propriétaires de « maison d’affaires » qui pratiquent ces transactions dans les quartiers populaires ne deviennent-t-ils pas la cible des habitués de la fraude électorale ? Un marché de l’identité ne s’ouvre-t-il pas à l’approche de ces élections ? [efd kft gp apr 23/06/2014 13 :10]