P-au-P, 16 juin 2014 [AlterPresse] --- Le processus de démolition de maisons et bâtiments au centre de la capitale haïtienne, débuté le 31 mai 2014, dans une ambiance anarchique sans avertissement préalable, avec des scènes de pillages et de tension, continue de soulever des controverses.
Après l’appel des organismes de défense des droits humains, invitant les autorités à se ressaisir, d’autres réactions pleuvent.
Le Bureau de l’Ordre des avocats de Port-au-Prince, appelle cette semaine le chef de l’État Michel Joseph Martelly à ordonner la « suspension des opérations de démolition, le temps de contrôler la conformité de ces actes de destruction », suivant les dispositions légales.
Le bâtonnat a crée une commission composée de 3 membres ayant une quinzaine de jour, à partir du 13 juin, pour vérifier le degré de respect de la loi dans la démarche et produire un rapport sur la légalité ou non du processus.
Jusqu’ici, l’administration Martelly affirme que tout se fait suivant les normes, dans le respect de la loi.
Pourtant, seules 17 personnes ont été indemnisées sur une liste estimée à plusieurs centaines, reconnaît le cabinet du notaire chargé de conduire la phase amiable. Un fait qui n’a pourtant pas dissuadé les gouvernants à lancer les démolitions.
Pour les experts c’est clair, le processus est truffé d’anomalies et ils montrent la voie légale qui devrait être suivie.
Face à ces dénonciations, le Comité Permanent d’Acquisition (du gouvernement) informe de l’ouverture « d’un bureau de doléances », à partir du mardi 17 juin 2014.
L’objectif de ce bureau est de « recueillir des riverains expropriés les copies de pièces, titres, actes non encore déposés à la Direction générales des impôts (Dgi) ».
Cette démarche sera entreprise 18 jours après le début des opérations de démolitions, or lancer les démolitions suppose que « toutes les indemnisations préalables » aient été faites, a précisé l’architecte Ginette Chérubin à AlterPresse.
Reconstruction ou lutte foncière entre les classes ?
Le professeur de Sociologie urbaine et aménagement urbain à la Faculté des Sciences humaine (Fasch) de l’Université d’État, Didier Dominique, critique la « très mauvaise procédure » et l’image, selon lui, d’un gouvernement néo-duvaliériste, qui a exclu les représentants des quartiers dans cette démarche.
À côté de la perspective de la construction d’un centre administratif qui pourrait être nécessaire, les démolitions marqueraient également le début d’une longue marche vers le déguerpissement d’habitants de zones convoitées par ceux qui possèdent « le Capital ».
« Ce sont des luttes pour l’espace », souligne le professeur , une lutte axée sur « la valeur la propriété foncière », qui « devient de plus en plus importante ».
Selon le professeur, cette première vague de démolitions constituerait un début et la marche pourrait bien continuer vers « les quartiers du bas peu de chose , Carrefour feuilles ( secteur sud) Bel’Air, Delmas 18, Fort National ( secteur nord), sous prétexte de problème de titres de propriété.
« Une lutte urbaine avec la grande bourgeoisie (locale et internationale) qui ne laissera pas le bord de mer et toute cette zone pour des travailleurs, des malheureux voire de petits soldats », martèle l’architecte-urbaniste.
« Le grand capital est en train de faire des tentatives de déguerpissement dans les grandes villes », poursuit-il, et tout cela, pour le développement du grand commerce, du grand tourisme, de grandes chaînes d’hôtel et « dehors toute la population du centre-ville historique ».
Dans cette même perspective, l’avocat Osner Févry et le Politique Turneb Delpé rappellent que toute expropriation doit-être faite « pour cause d’utilité publique et non pour déposséder des membres de la classe moyenne ».
Delpé estime qu’il ne faut pas agir avec l’autorité de l’État pour satisfaire les caprices « de cliques de gens… ceux qui ont déjà de l’argent ».
L’architecte Ginette Chérubin, rappelle aux responsables que tout projet sur « une ville qui a une histoire forte (comme Port-au-Prince) devrait susciter des débats avec la collectivité », en « concertation avec les habitants de la ville ».
Elle se dit pour la modernité mais également pour la conservation de « cette partie de la ville [qui] porte en elle la mémoire des citoyennes et des citoyens », leurs « souvenirs gravés dans la pierre ».
Chérubin soulève la crainte que les espaces laissés après la disparition des bâtiments servent de décharges ou soient envahis par des squatteurs, phénomène observé après le séisme de 2010.
« L’État ne peut pas se mettre à démolir sans ne rien construire », prévient-elle.
Une ville comme Port-au-Prince, doit-être touchée avec beaucoup de « délicatesse », estime Ginette Chérubin. [srh kft gp 16/06/2014 16:30]