Par Marcel Duret*
Soumis à AlterPresse le 6 juin 2014
23 mai 2014 : Le Premier Ministre Lamothe déclare l’exploitation du charbon de bois dans la Grande Anse interdite. Décision décriée par certains, bien reçue par d’autres.
Ma première réaction a été de me dire si c’était aussi facile, cela se saurait. Toutefois, la nouvelle a fait un fort déclic dans ma tête et je me retrouve au Japon il y a 15 ans. En effet avec le support d’un Sénateur japonais, j’ai initié des pourparlers avec les autorités japonaises pour qu’un grand programme de substitution de charbon de bois avec des briquettes de charbon minéral soit entamé en Haïti. Dans un premier temps 5 millions de dollars de briquettes, fabriquées au Japon dans des usines qui sont sous-utilisées, seraient expédiés en Haïti sous forme de don. Question de tester le marché et l’acceptabilité du charbon minéral par le consommateur haïtien. Avant et après la deuxième guerre mondiale, les briquettes de charbon minéral étaient l’une des sources principales d’énergie dans les maisons japonaises. Dans un second temps le lignite de Maïssade (réserve de plus de 8 millions de tonnes de lignite prouvée) serait exploité pour la production de briquettes en Haïti. Des usines similaires ont été financées par le Ministère de l’Industrie japonais (MITI) en Indonésie et en Zambie. Vu la qualité inferieure du lignite (2500 Kcalories/kg) d’Haïti, j’ai visité la Colombie ou j’ai rencontré le Ministre des Mines en vue d’obtenir de l’anthracite qui servirait á le bonifier. Le gouvernement colombien a reçu la requête favorablement et a même envoyé une délégation d’experts en Haïti suite à ma visite. Tout était fin prêt. Armé d’échantillons de briquettes, d’échantillons de réchauds améliorés et de documents d’études de faisabilité des projets de Zambie et de l’Indonésie et de mon enthousiasme, je rentre en Haïti pour présenter le projet aux autorités haïtiennes.
Alors je rencontre plusieurs experts dans le domaine et j’ai recu, le moins que je puisse dire, une douche froide. Mes bras étaient coupés. Voici les réactions selon les experts rencontrés alors :
AGR. François Severin : Secrétaire privé du Président Préval, Ex Ministre de l’Agriculture, écrivain, l’agronome Severin avec un calme, une sérénité, m’a dit qu’il appréciait beaucoup mon dévouement mais qu’il regrette de me dire que la production de briquettes de charbon minéral en Haïti aurait des effets pervers sur la production de charbon de bois. La compétition provoquerait que l’individu paysan qui gagnait par exemple US$1 par arbre coupé, devra abattre deux arbres pour gagner le même US$1, dans un contexte de chômage généralisé où il n’y a pas de facile reconversion. Ainsi au lieu d’une période de régénération, on assisterait plutôt á une accélération de la dégradation de l’environnement.
Je n’y avais pas pensé. Il avait tout à fait raison. Toujours est-il que le lignite de Maïssade peut servir pour la production d’électricité, soit 40 MW sur 10 ans.
AGR. Joël Ducasse : Depuis bien des années l’agronome Ducasse se penche sur la problématique de l’énergie en général et de la production du charbon de bois en particulier en Haïti. Il est à ma connaissance le seul entrepreneur haïtien qui ait eu, déjà en 1982, à investir dans la production de charbon de bois, dans le Nord-est à titre privé à partir de crédit reçu de l’IDAI pour la constitution de forets énergétiques. Sa thèse est relativement simple et judicieuse : il s’agit de l’une des plus grandes industries du pays avec un chiffre d’affaires de $US400, 000,000 l’an. C’est aussi l’industrie dont les revenus sont les mieux repartis á travers le pays, milieu rural, milieu suburbain, milieu urbain. Aucune autre industrie ne peut prétendre créer autant d’emplois, générer de revenus aussi réguliers et repartis équitablement tant géographiquement qu’individuellement. Selon lui, il n’est pas question de substituer le charbon de bois avec un quelconque autre produit (gaz propane, gaz naturel liquide, charbon minéral etc.) qui enlèvera cette source de revenu, cette souveraineté économique d’une grande majorité de la population. Tandis que les autres combustibles sont importés et contrôlés par une oligarchie. Les emplois et les valeurs ajoutées sont au niveau des pays étrangers et les marges de distribution concentrées entre les mains de quelques agents économiques dont le nombre peut se compter au niveau des doigts d’une main. L’AGR. Ducasse pense que le charbon de bois pourrait être substitué par des agglomérés sous formes de pellets ou briquettes de feuilles de vétiver, à venir de haies vives plantées en lignes de contour dans les bassins versants. En plus de maintenir le revenu de l’énergie de cuisson dans l’économie locale, les haies de vétiver pourront stopper l’érosion, infiltrer l’eau en prévenant les dégâts des eaux en avant tout en rechargeant les aquifères et régularisant le débit des sources et des rivières, et aussi offrir le paillage des cultures sarclées de montagnes. Ces agglomérés seront aussi utilisés plus efficacement dans des réchauds améliorés tels Eko Recho fabriqués par René Durocher, qui peuvent valoriser les gaz volatils perdus lors de la fabrication du charbon de bois. Bonus additionnels : les pellets de vétiver peuvent être le point de départ d’un programme massif d’électrification rurale de nos 8,000 villages. Selon Ducasse, depuis les années 60, une multiplicité de programmes et projets financés par l’aide externe concernant la substitution au charbon de bois ont tout simplement échoué.
AGR. Marc Antoine Noel : plus de 50 ans d’expérience dans le milieu rural, l’agronome Noel suggère que l’état subventionne les paysans pour qu’ils ne plantent plus du maïs ou du sorgo dans les terres de pente mais les laissent se régénérer naturellement. Les repousses ou recrus ligneux, dument protégés, en moins de trois ans se chargeront de reboiser ces terres. Leur repiquage dans les zones tampons, zones autrefois boisées mais aujourd’hui dénudées et désertées, constituerait une source inépuisable d’occupation de la main d’œuvre et une exploitation rationnelle de la biomasse ainsi reconstituée devrait être organisée avec les familles concernées. Des contrats clairs et sécurisés à moyen et long terme devraient leur être proposés. « Il faut payer l’arbre » et « Seuls ceux qui dévorent la forêt peuvent reconstituer la forêt ». L’Agronome Noel voit très bien le développement de ces recrus ligneux dans le Nord-est et le Plateau Central notamment comme une production à encadrer et à financer comme toute autre production. C’est un business et un business stratégique. Il faut rappeler que le Plateau Central est le plus grand fournisseur de charbon de bois pour la capitale avec un volume de 74,000 tonnes métriques selon une étude de 2005.
Comme ma proposition concernant la production de briquettes de charbon minéral, la décision du Premier Ministre Lamothe d’interdire l’exploitation du charbon de bois à la Grande Anse est bien intentionnée. Mais les solutions de substitution qui augmenteraient notre dépendance par rapport à l’extérieur et qui provoqueraient une déstabilisation du système social de survie, ne sont pas les meilleures.
Ne serait-il pas mieux d’accompagner les paysans pour une exploitation rationnelle des ressources ligneuses du pays tout en assurant une amélioration de la chaine de valeur et leur permettre de gagner le maximum de l’industrie du charbon en Haïti ?
N’est-il pas urgent d’utiliser des technologies plus efficientes tant au niveau de la production de charbon de bois elle-même qu’au niveau des équipements et méthodes utilisés pour la cuisson ?
N’est-il pas clair que ce secteur d’énergie de cuisson devrait être déclaré secteur stratégique et bénéficier de mesures allant dans le sens des intérêts de la majorité ?
L’opportunité de production, de commercialisation de charbon de bois et de fabrication/distribution d’équipements améliorés pour la cuisson domestiques ne doit-elle pas demeurer une opportunité pour la majorité ?
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* Ex Ambassadeur d’Haïti á Tokyo