P-au-P, 06 juin 2014 [AlterPresse] --- Le colloque « De la dictature à la démocratie » organisé par l’École normale supérieure du 2 au 4 juin 2014 a problématisé et permis de réfléchir sur les questions de la sortie de dictature, de la mémoire et du jugement de la tyrannie au croisement des interrogations philosophiques, politiques et sociales.
Ce colloque comme « scène », selon le mot du professeur Stéphane Douailler du département de philosophie de l’Université de Paris XVIII, a favorisé la présence par des images et des savoirs des « sujets véritables » que sont les victimes des Duvalier, mises en rapport avec d’autres « sujets véritables » d’autres espaces et d’autres temps.
Des exemples de jugement de dictatures
L’intervention le 3 juin 2014 de Lucas Martín, politologue à l’Université de Buenos Aires, titrée « Défaire le lien du crime, fonder un lien de justice : les expériences de l’Argentine, l’Uruguay et l’Afrique du Sud » propose une analyse comparative de trois expériences de « solutions de justice à la sortie de régimes criminels ».
« Les procès judiciaires en Argentine (1984-1985), le rappel au vote citoyen en Uruguay (1986-1989) et l’échange d’amnistie pour vérité dans un horizon de réconciliation en Afrique du Sud (1996-2001) » ont offert la possibilité de reconnaître 3 « formes de justice : rétributive, populaire et réparatrice ».
Sans sombrer dans une sorte de « modélisation exportable », Martín souligne l’importance de « l’indétermination, de l’innovation et de l’imagination dans les procès de sortie (et de justice et compréhension) de régimes criminels » en concédant quand même que « toute justice post-dictature est orientée ».
« La justice transitionnelle au Guatemala : des accords de paix au procès du siècle », intitulé de la communication de Dominic Voisard de Avocats Sans Frontières, a permis d’avoir des informations sur le procès du général José Efraín Ríos Montt, ancien dictateur guatemaltèque, accusé du crime du génocide et de crimes de guerre.
200 mille morts environ, près d’1 million de déplacés internes et 626 massacres répertoriés est le bilan du conflit entre des groupes de guérilla et l’armée.
Un premier procès condamnant le dictateur a été cassé par la plus haute instance judiciaire du Guatemala – l’ancien dictateur n’a pas eu un avocat de son choix le premier jour du procès . Un second doit avoir lieu en 2015. Et la société civile a joué un rôle « emblématique » dans ce dossier, informe Voisard.
Des impensés à penser… le spectre du révisionnisme
Reprenant la sociologue féministe Sabine Lamour qui a pensé l’impensé des femmes macoutes dans la mémoire dictatoriale, la présidente de la Fondation Connaissance et Liberté, Michelle Duvivier Pierre-Louis, souligne des questions qui n’ont pas été largement abordées durant le colloque telles l’instrumentalisation par la dictature du préjugé de couleur et de la question religieuse notamment avec le vodou.
« Il faudra revenir sur ces questions » estime Pierre-Louis.
Danielle Magloire, coordonnatrice du Collectif contre l’impunité qui intervenait sous le thème « Entre silence, oubli, révisionnisme et raison d’Etat, concilier vérité et justice pour lutter contre l’impunité », regrette que depuis le retour de Duvalier, l’Université et des partis politiques n’ont pas pris position contre la présence non inquiétée mais inquiétante de Duvalier en Haïti en toute impunité.
Il est alors important de se demander comment élargir les sphères des groupes tels le Collectif contre l’impunité, le comité devoir de mémoire contre le révisionnisme et l’impunité ?
Il faut se questionner aussi sur la disposition de la société haïtienne à accepter la « fausse et insensée » distinction entre le Jean-Claudisme et le Duvaliérisme que veulent opérer les tenants de la dictature, ajoute Magloire.
Pour le moment, des partisans de l’ancien dictateur osent même utiliser la constitution de 1987 pour faire de Duvalier un éligible à la présidence d’Haïti. Le tyran n’aurait fait qu’un seul mandat et la constitution permet à un président d’être élu deux fois à condition que les mandats soient séparés de 5 années.
Le prétexte de raison d’Etat pour garantir l’avenir du pays qui sert de couverture pour le gouvernement de réhabiliter Jean-Claude Duvalier passe aussi par son blanchiment devant la justice pour favoriser sa candidature à la présidence d’Haïti, soutient Magloire qui se demande si la société est prête à accepter cette situation.
« Si on laisse le tyran revenir au pouvoir, même les morts ne seront pas en paix », lance un participant dans la salle.
Si le 2 juin, dans sa communication « Dire la violence », Etienne Tassin, professeur à l’université Paris Diderot a invité les acteurs haïtiens à se demander ce qu’ils cherchent entre vérité, justice et réconciliation, le 4 juin, Danielle Magloire explique clairement que « la démarche du Collectif s’inscrit dans une quête de vérité et de justice ». [efd apr 06/06/2014 10 :45]