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Haïti-Mémoire : Femmes macoutes, femmes invisibles de la terreur duvaliériste

Par Edner Fils Décime

P-au-P, 04 juin 2014 [AlterPresse] --- Les femmes macoutes (membre de la milice de la dictature des Duvalier) ne sont pas prises en compte dans la mémoire dictatoriale, parce que l’exercice de la violence par les femmes n’est pas socialement légitime et audible, compte tenu des attributs féminins dans la société patriarcale.

C’est la thèse, soutenue par Sabine Carmelle Lilas Lamour, professeure à l’université d’Etat d’Haïti, doctorante en sociologie, lors de son intervention, le mardi 3 juin 2014, au colloque « de la dictature à la démocratie », organisé par l’Ecole normale supérieure (Ens) de l’Université d’Etat d’Haïti (Ueh).

« Les femmes macoutes (fiyèt lalo) : un impensé de la mémoire dictatoriale » est le thème sous lequel elle a présenté sa communication.

Les femmes considérées comme incapables de violence

Les rares fois, que les violences des femmes, sous le régime de terreur des Duvalier, sont évoquées, c’est de manière anecdotique.

Les violences, perpétrées par ces femmes de la milice des Duvalier, sont quasiment absentes des travaux de recherches sur le macoutisme.

La sociologue ne repère que deux ouvrages, dans lesquels elles ont été prises en compte. Et ceci par deux femmes, deux romancières, soulevant « la question de la mémoire et des dégâts de son impensé ».

Les textes « La mémoire aux abois » et « Un alligator nommée Rosa » sont écrits respectivement par Evelyne Trouillot et Marie Célie Agnant.

Présente dans l’assistance, Trouillot précise tout de même que ce sont les femmes, en général, qui sont occultées dans la mémoire dictatoriale. Qu’il s’agisse des femmes macoutes ou des femmes résistantes.

Un silence, une occultation que l’écrivaine estime opérés sous le couvert obsessionnel de la femme-mère.

Donc, l’être humain femme serait socialement construit comme incapable de violence.

Commentant l’intervention de Lamour, Marie Frantz Joachim, coordonnatrice de la Solidarité des femmes haïtiennes (Sofa), rappelle la remarquable description, faite par Dany Laferrière d’une cheffe-macoute [sans doute Rosalie Bosquet] dans le texte « le Cri des oiseaux fous ».

De ces femmes-macoutes, un seul nom est généralement connu. Celui de « Madame Max Adolphe » (née Rosalie Bosquet), mère de l’ancienne ministre de la jeunesse, des sports et de l’action civique (Mjsac), Magalie Adolphe Racine.

De surcroît, son nom de jeune fille est caché derrière celui de son mari.

Ce qui démontre, même si son mari n’a pas été un « macoute [sbire des Duvalier] » connu, sa présence plane dans les sphères de la femme.

L’image d’un défilé de Rosalie Bosquet fait partie des rares clichés, retenus des miliciennes.

Le fantasme de la virilité macoute

L’oblitération des femmes, dans le cadre mémoriel dictatorial, permet de réhabiliter certaines figures macoutes.

L’actuelle présidente du parti Fusion des sociaux-démocrates, l’ancienne sénatrice du département du Centre, Edmonde Supplice Bauzile, n’a-t-elle pas nommé une bibliothèque « Rosalie Bosquet » ?

A Mirebalais, n’existe-il pas un village nommé R. Bosquet ?

« En construisant les miliciennes en outsiders politiques, la mémoire officielle cautionne les oublis et silences les concernant », soutient Lamour.

Les responsabilités de ces femmes, en tant que « sujets historiques » - qui ont participé à la mise en place, au renforcement d’un cadre, où des femmes et des hommes ont « élevé la violence et la terreur au rang de normalité et de banalité » - sont ainsi occultées.

Comprise comme incapable de violence, donc d’une ontologie non-violente, la femme macoute est donc cernée par une stratégie « d’exceptionnalité ».

C’est pourquoi, par exemple, elles sont rangées sous le qualificatif « fiyèt lalo ». Une comptine populaire présente les « fiyèt lalo » comme des mangeuses d’enfants (loups garous).

Une femme macoute ne serait donc pas « normale ».

« Les femmes macoutes, à l’intérieur du terrorisme d’Etat imposé, forment (…) une minorité distinguée de la grande majorité par leur « sur-naturalité » : elles sont des loups garous », comprend Lamour, se demandant si « les préjugés de genre ont préséance sur les droits des victimes : de savoir, de comprendre, d’accéder à la justice pour dépasser les traumatismes ? » [efd gp kft apr 04/06/2014 15:45]