Par Edner Fils Décime
P-au-P, 03 juin 2014 [AlterPresse] --- En ouverture du colloque « De la dictature à la démocratie ? Transition, mémoire, justice », organisée par l’Ecole normale supérieure de l’université d’Etat d’Haïti, le 2 juin 2014 à Port-au-Prince, le sociologue Laennec Hurbon propose d’orienter les recherches autour des formes patentes et subtiles de continuité des dictatures.
Evoquant un « consensus universel » qu’il y aurait autour de la démocratie comme « régime moins mauvais possible », Hurbon soutient que dans certaines transitions démocratiques il serait concevable de parler de « démocratie à l’ombre des dictatures ».
En exemple, le cas du premier président démocratique du Chili qui prend son investiture avec l’ancien dictateur Augusto Pinochet à ses côtés.
En général, le passage à la démocratie s’accompagne d’une telle euphorie qu’il tend à faire oublier la réalité. Une réalité qui est celle d’un Etat qui porte encore « les marques de la criminalité bureaucratique ».
Amnésie et reliquats économiques
Les recherches sur la dictature sont fondamentales dans une société comme Haïti qui présente une « amnésie particulière du passé de dictature [qu’elle] a connu », indique Hurbon.
A cet égard, Hurbon s’est indigné de la tentative de réhabilitation de Jean-Claude Duvalier remarqué comme invité dans des cérémonies officielles.
Dans son observation des réalités dictatoriales, Hurbon relève que « tous les dictateurs réclament eux-mêmes l’amnistie » et que « l’idéologie de la réconciliation nationale » participe de cette démarche conforme d’ailleurs à ce que la dictature a toujours fait : « taire le principe du conflit, du dissens » inhérent même au politique.
« A quelle fin la production d’une seconde mort des victimes des dictatures ? » s’interroge le sociologue, directeur de recherche au Centre national de recherche scientifique (Cnrs, Paris) en mettant à jour sa remarque d’une « oblitération et [d’un] évitement de la mémoire des dictatures ».
Hurbon fait mention d’une « banalisation du phénomène dictatorial » quand certains cherchent à comprendre les dictatures à la lumière d’une « continuité de l’histoire du pays, […] ». Donc, à naturaliser la dictature.
Faire acte de mémoire sur les dictatures semble être comprise comme une perte de temps selon une certaine vision dont la prémisse serait que le peuple, entendu au sens des plus appauvris, des opprimés, n’a « guère le temps de penser au politique. Il lui faut santé, logement, éducation, nourriture ».
C’est une orientation qui fait rage en Haïti depuis la poussée du néolibéralisme, que Didier Dominique, professeur à l’Ueh et membre de Batay Ouvriye (lutte ouvrière) – présent dans la salle - cerne à partir du discours-promesse de « révolution économique » du dictateur Jean-Claude Duvalier.
Se référant à la situation d’exploitation à laquelle est soumise « la classe travailleuse » dans les zones franches industrielles, Dominique lie l’orientation économique du pays à un projet de la période dictatoriale.
On ne peut donc faire l’économie des réalités d’occupation militaire, d’exploitation économique dans la compréhension des dictatures en Haïti, soutient Dominique.
Soulevant la nécessité de combattre tout « régime d’amnistie » et de connaître les racines des dictatures pour sortir du cercle d’impunité, Hurbon semble voir dans la société civile une sorte d’alternative pour permettre la construction d’une mémoire et l’obtention de la justice.
« Là ou le passé des dictatures est oublié, on est condamné à voir le retour des systèmes dictatoriaux », met en garde Laennec Hurbon.
Il propose donc d’orienter les recherches « en recourant à la fois aux sciences sociales (histoire, sociologie et anthropologie) et à la philosophie, pour scruter l’imaginaire qui soutient et accompagne ce phénomène massif, également pour porter l’interrogation sur la place des victimes des dictatures dans l’histoire et sur le traitement de leur mémoire ». [efd kft gp apr 03/06/2014 13 :15]