P-au-P, 21 mai 2014 [AlterPresse] --- La prolifération, en toute liberté, des publicités télévisées, véhiculant des stéréotypes sexistes et sexuels dans la société haïtienne, amène certaines féministes à y voir une sorte d’attaque en règle contre les luttes et les acquis du mouvement féministe haïtien.
Rose Esther Saincimat, directrice générale du ministère à la condition féminine et aux droits des femmes (Mcfdf), estime que les publicistes « sabotent consciemment ou non le travail de plusieurs années de lutte pour le respect des droits des femmes. Reproduire, valoriser des stéréotypes combattus dans la société, c’est faire du mal à cette même société, à laquelle on appartient ».
La sociologue Sabine Lamour, professeure à l’université d’Etat d’Haïti (Ueh), a répertorié, entre le dernier trimestre de l’année 2012 et début 2013, plus d’une vingtaine de publicités, diffusées à la télévision, qui font la part belle aux stéréotypes et à la présentation du corps sexué féminin comme appât, comme « produit de consommation », « objet de captation en prime du produit ».
« Les publicités pour les cubes [de bouillon de poulet], en général, présentent l’idée de garder son mari. Par l’association et l’enchaînement des images cuisine/mariage/conseil, les publicistes assoient le savoir cuisiner comme un rite de passage institutionnalisé pour accéder au « statut valorisé » de femme mariée », explique Lamour à AlterPresse.
Stéréotypes sexuels : marchandisation du corps de la femme
Sous prétexte de faire de la pub « moderne et hardie », il n’est pas rare de voir un morceau de corps de femme - comme un sein, une paire de fesses, une poitrine généreuse - "illustrer" une bière, un fromage ou n’importe quoi.
« On se casse la tête à tenter de faire la connexion entre le corps de la femme et le produit, on ne la trouve pas. Et, à l’opposé, on ne verra jamais de telles associations avec un corps masculin », souligne la sociologue féministe.
En 2004, alors qu’une marque de bière exposait, sur grandes affiches, une paire de fesses d’une femme comme pub, les féministes ont lancé une campagne contre cette forme de publicité sous le titre évocateur « kò fanm pa machandiz /le corps de la femme n’est pas une marchandise ».
Ce slogan a été gaffé sur toutes les affiches géantes de cette pub.
Etre vigilant sur les valeurs de la société
La directrice générale du Mcfdf croit que tout le monde doit apporter sa participation pour éviter que les dérives des publicistes affectent la société.
Mais, bien entendu, faut-il éviter que ces dérives aient eu lieu.
Il semble que le secteur de production de la publicité en Haïti n’est pas trop sensibilisé sur la question du genre.
A l’instar d’autres personnes, Sabine Lamour pense qu’il est fondamental de plaider en faveur de l’établissement d’une charte d’engagement citoyen entre les ministères de la communication, à la condition féminine, les associations de médias et le mouvement féministe haïtien.
« Ce sera un pas dans la direction de l’élimination des idées machistes/sexistes dans les publicités », selon Lamour.
D’autres sociologues féministes soutiennent que le machisme et le sexisme sont consubstantiels à la forme de sociabilité actuelle.
En ce sens, la lutte contre les stéréotypes sexistes et sexuels dans les publicités doit aller de pair avec d’autres luttes, pour mettre fin à la dévalorisation des femmes dans la société. [efd kit gp apr 21/05/2014 9:35]