Par Karenine Francesca Théosmy
P-au-P, 21 avril 2014 [AlterPresse] --- Il n’a jamais été marié, mais il a vécu une très grande passion. Il lui a consacré sa vie, son énergie, toute son œuvre.
« Port-au-Prince, mon seul et unique amour », le dernier documentaire d’Arnold Antonin en hommage à Georges Corvington (1926-2013), c’est cela.
Un film-documentaire, qui raconte une histoire d’amour assez inhabituelle, mais terriblement touchante, entre cet historien et la capitale haïtienne.
« Il faut sauver Georges Corvington pour les Haïtiennes et Haïtiens ! », s’exclame Arnold Antonin, lors d’un entretien accordé aux journalistes, à qui il a montré le documentaire ce lundi 21 avril 2014.
Le documentaire de 52 minutes présente Georges Corvington dans sa dimension humaine et sa dimension d’historien, à travers une trame où surgissent parfois des anecdotes, explique Antonin.
Le cinéaste ouvre d’ailleurs le film-documentaire avec l’une de ces anecdotes.
Dans un article, Arnold Antonin commet une erreur à propos de la date de la première projection du cinématographe en Haïti, écrivant 14 décembre 1899 au lieu de 6 décembre 1896.
Voyant cette erreur de date, Georges Corvington convie le cinéaste chez lui.
Durant cette rencontre, qui a lieu en janvier 2013, Antonin commence, de manière tout-à-fait fortuite, le tournage du documentaire.
C’est donc, pratiquement, les toutes dernières images d’un Corvington en vie, exposant sa passion, Port-au-Prince, qu’Arnold Antonin offrira lors de l’avant-première le mercredi 23 avril 2014.
D’autres personnes, qui l’ont connu ou lui ont été proches, témoignent dans ce documentaire.
On voit défiler, entre autres, Frankétienne, Patrick Vilaire, Michel Hector ou encore son neveu, Alexandre Charlier.
Ils décrivent, tous, un homme discret, simple, ayant du tact.
Petit, dit Corvington lui-même, il se voyait romancier.
Ses études d’avocat n’auront servi qu’à lui offrir « un titre » dans une société friande de ce genre d’image, explique-t-il.
Mais sa passion était Port-au-Prince.
« Port-au-Prince au cours des ans », en huit volumes, retrace 213 ans d’histoire de la ville (1743-1956), alors qu’au départ, signale-t-il, il voulait s’arrêter à la ville coloniale, jusqu’à 1804.
Corvington a écrit également sur le palais national et sur la cathédrale de Port-au-Prince.
Dans le documentaire, Corvington raconte, à nouveau, cette histoire qu’il connaît si bien.
On se rend compte, comme d’une évidence oubliée, que cette capitale a une histoire, qui n’est pas juste celle que l’on suit depuis 2010, celle des débris et des tentes.
Des coups de force politiques, de la monarchie de Faustin Soulouque [1], la terrible histoire de Sylvain Salnave [2], la vie bouillonnante des années 1950, aux multiples incendies qui ont, sans cesse, redessiné la ville, aidé par des photos ou des vidéos d’archives qu’Arnold Antonin insère comme des petits clins d’œil au passé, Corvington parle de sa « bien-aimée », sans illusions.
Il s’insurge, en même temps, contre l’idée d’une inertie depuis 200 ans.
Pour lui, la capitale est l’exemple même de ce dynamisme, montrant que des réalités ont été construites : certaines ayant réussi, d’autres pas.
Avant sa mort, il réalise aussi que Port-au-Prince « commence franchement à devenir invivable ».
La capitale grossit, devient monstre, aux bidonvilles de plus en plus gloutons, tandis qu’on voit s’établir des plans qui ne s’intéressent pas au long terme.
Vers la fin du film-documentaire, on le voit sous oxygène, recevant son neveu.
Le réalisateur ne termine toutefois pas avec cette image, fruit d’un autre moment fortuit. Il offre encore des témoignages sur le caractère de l’homme.
« Je fais des films pour sauver les gens de la mort et les garder pour l’éternité, au moins dans la mémoire des Haïtiennes et Haïtiens », explique Arnold Antonin.
Pendant que Port-au-Prince était la passion de Corvington, sa bibliothèque pourrait, sans doute, faire office de son âme.
« Il ne s’est jamais remis de la perte de sa bibliothèque » lors du tremblement de terre du 12 janvier 2010, conclut Antonin dans son documentaire.
De cette bibliothèque il a tiré quelques ouvrages qu’il a mis dans un container, abri tout aussi précaire.
« Il n’avait pas peur de mourir, mais de souffrir », indique Alexandre Charlier.
Mais il avait peur aussi de perdre sa bibliothèque, pour laquelle il s’est battu énormément.
Antonin se rappelle qu’il craignait que ses livres ne soient pas dispersés après sa mort.
« Port-au-Prince mon seul et unique amour » est un hommage à la vie et à l’œuvre de Georges Corvington, soutenu par des institutions culturelles et par les médias haïtiens.
Un autre hommage serait, sans doute, de sauver cette bibliothèque. [kft rc apr 21/04/2014 13:15]