Port-au-Prince, 21 mai. 02 [Alter Presse] --- A quelques semaines de la période cyclonique dans la région (juin - novembre), la République d’Haïti, l’une des Grandes Antilles des Caraïbes, vit au jour le jour l’imminence d’une catastrophe écologique irrémédiable, à cause du laxisme des autorités qui ne prennent aucune disposition pour freiner la dégradation accélérée du milieu ambiant.
C’est la réflexion émise, à AlterPresse, cette semaine par de nombreux voyageurs qui, revenant du Sud du pays pour des motifs divers, ont été contraints le 12 mai 2002 à espérer une baisse de l’intensité des eaux pour pouvoir regagner leurs demeures après de nombreuses heures d’anxiété.
A la sortie sud de la capitale, entre Carrefour et Mariani, les eaux, découlant des averses, se frayent des chemins d’écoulement sur la route nationale # 2, faute de pouvoir être naturellement amenées à des caniveaux et des égouts qui n’existent pratiquement pas, a constaté un journaliste d’AlterPresse.
Après avoir dévalé les pentes en amont des constructions anarchiques qui surplombent la route nationale # 2, rénovée il y a un peu plus de deux ans, les eaux drainent des tonnes d’alluvions, y compris pierres, sable, branches et troncs d’arbres, immondices de toutes sortes, formant un amas compact, rendant presque impossible la circulation de véhicules. Gare aux petites voitures !
Pendant que les conducteurs de camions, d’autobus, de Tap Tap (véhicules de transport en commun), tentent des acrobaties pour pouvoir emprunter un passage de secours, un véhicule de la Police Nationale d’Haïti arrive tout de go, laissant sortir des hommes en civil lourdement armés, observant avec leur lourd bataclan à la main la scène de survie des humains, totalement livrés à eux-mêmes.
Entre-temps, dans ce débat pour la vie, de jeunes hommes, le torse nu, s’affairent avec des pelles pour essayer de déblayer la voie au profit de véhicules double cabine, dont les roues sont retenues entre de grosses pierres. Ce sauvetage de véhicules, non équipés pour ces genres de situations spéciales, se fait moyennant des commissions d’espèces sonnantes et trébuchantes.
"Ce n’est pas la route qui fait défaut, mais c’est un pays que nous n’avons pas", lâche dans la nuit la voix rauque d’un homme trempé, assis sur une chaise à même l’eau de la chaussée, alors que la pluie a cessé depuis 10 minutes.
Plusieurs maisons aux alentours, desquelles se projettent quelques rayons de lumière malgré l’absence du courant électrique public, sont entourées d’eau. Mais les locataires ne semblent pas être paniqués outre mesure.
Beaucoup de riverains, jeunes femmes et jeunes hommes, marchent sans destination sur la chaussée convertie en rivière. A essayer de se frayer un chemin en sautant de part en part, on dirait qu’ils cadençent sur une musique immaginaire. Des uns aux autres, ils se font différents types de plaisanteries. Plus soucieux, des personnes d’age plus mur implorent leur dieu d’épargner leur vie face à cette catastrophe imminente, la fureur des eaux non drainées qui confond tout (humains, animaux, matière, débris) sur leur passage. Une avalanche.
" Nous, notre voiture a été emportée par "lavalas dlo a", l’avalanche des eaux. Nous avons eu la vie sauve de justesse. Moi, je n’ai pu sauver que le casque et les papiers de la motocyclette que je conduisais ", racontent des victimes à AlterPresse.
De nombreuses autres personnes, inquiètes, attendent l’arrivée de Tap Tap pour pouvoir se rendre en ville ou à Martissant, en banlieu de Port-au-Prince.
Dès qu’il y a pluie, les habitants de Carrefour savent qu’il est très difficile d’atteindre ou de laisser leurs maisons, à cause des torrents d’eau qui se forment, envahissant les galeries et apparents trottoirs, et provoquant des inondations ça et là jusque vers Mariani, encore plus au Sud.
Beaucoup sont forcés, en maintes fois, de dormir chez un parent ou un ami à Port-au-Prince, en cas de fortes averses. D’autres s’efforcent tout de même de braver la boue et les eaux sur la route de Carrefour pour pouvoir se rendre à leur travail ou gagne-pain.
Au Centre-ville de Port-au-Prince, à la rue Magloire Ambroise, plusieurs personnes n’ont pu s’échapper que par la fenêtre du véhicule (où elles se trouvaient), au moment où celui-ci était entraîné par les eaux. Beaucoup d’autres rues sont impraticables aussi bien par des piétons que par des véhicules. Les débris amenés par les eaux en furie offrent un spectacle qu’on aura de la peine à oublier.
La capitale d’Haïti représente une cuvette sans protection, tant les montagnes qui l’entourent sont déboisées au profit de l’aménagement de bidonvilles en extension de jour en jour. Plusieurs artères sont percées sans aucune vision quant aux conséquences environnementales, ni planification des infrastructures de base (eau potable, électricité, téléphone, bouche d’incendie…).
A l’Est de Port-au-Prince, les dernières pluies ont causé des fissures et l’effondrement de plusieurs maisons érigées sur des terres argileuses dans l’agglomération dénommée Vivy Michel. Chaque jour qui passe avec de nouvelles averses, l’inquiétude gagne du terrain parmi les habitants, du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, parce qu’il n’existe aucun plan de drainage des eaux ni de gestion des fatras produits dans une capitale sans direction ni gouvernail.
Les pluies du 12 mai 2002 ont aussi causé des dégâts énormes dans d’autres villes du département de l’Ouest et du Plateau Central, notamment avec les crues des rivières. Sur la plupart des berges, c’est au petit bonheur que des protections en gabions sont posées.
Des éboulements ont été enregistrés le 17 mai à Dlo Gaye, non loin de la Centrale Hydro-électrique de Péligre, sur la route nationale # 3 (Plateau Central) où des interventions ont été opérées, il y a plusieurs semaines, par le Conseil National des Equipements (CNE), une firme parallèle au Ministère des Travaux Publics.
Malgré une amélioration sur la route nationale # 3 (les véhicules prennent aujourd’hui trois heures pour couvrir Port-au-Prince / Hinche au lieu de 6 heures ou plus il y a quelques mois), les voyageurs redoutent d’éventuelles catastrophes lors des prochaines averses, tant les bassins versants manquent de protection le long de cette artère principale très fréquentée.
Et, dans tous les départements géographiques, les bassins versants offrent un spectacle accablant de dénuement qui ne semble intéresser nullement les gens aux commandes des affaires de l’Etat.
Et pourtant, ce sont bien eux que ces voix de voyageurs ou riverains angoissés interpellent. Ils appellent à un sursaut sans délai en vue de prévenir l’imminence de la catastrophe environnementale qui frappe aux portes d’Haiti.
Tout est une question de volonté et de recherche d’alternatives, avancent-ils. [rc apr 21/05/02 08:00]