Interview
Par Goston Pierre
P-au-P., 11 avril 2014 [AlterPresse] --- Le département du Nord-Est d’Haïti est toujours en attente des premières pluies de printemps et des dispositions de relance de l’agriculture, après une longue et éprouvante période de sécheresse, qui a causé d’énormes pertes agricoles dans la région, indique l’ingénieur-agronome Albert Pierre-Paul Joseph, directeur de programme du Collectif de Lutte contre l’Exclusion Sociale (CLES).
"La situation est extrêmement grave, car, depuis pres de 6 mois, il n’a pas plu dans le Nord-Est et les familles qui vivent de l’agriculture sont aux abois, du fait qu’il n’y a pas de production et que les activités économiques sont très réduites", se désole Joseph dans une interview accordée à AlterPresse.
Les plantations de riz s’effectuent habituellement sur 5,000 ha de terres dans le Nord-Est. Mais cette année, c’est à peine si 300 ha ont été emblavés.
Là où les plantations ont eu lieu, elles ne sont généralement pas parvenues à maturité, de sorte qu’on ne peut même pas parler de perte de récolte, selon l’ingénieur-agronome.
La Direction départementale de l’agriculture et d’autres entités ont du arrêter leurs programmes de distribution de semences a cause de la rareté de l’eau, rapporte-t-il.
Il relève que même les puits ont séché, ce qui veut dire que la situation est "vraiment grave".
Le problème de la sécheresse affecte grandement aussi l’élevage, une des filières dominantes du département. Pas d’eau, pas de quoi alimenter les animaux, entretenus dans un contexte d’élevage libre.
Les conséquences attendues sont dramatiques en terme d’augmentation de l’insécurité alimentaire.
"Des enfants risquent de se trouver en situation de malnutrition chronique et sévère", avance-t-il.
D’autre part, poursuit-il, la baisse de revenus des ménages est susceptible d’affecter sérieusement les échanges et de provoquer un important ralentissement des activités économiques dans la région, ce qui pourrait accentuer l’émigration vers la République Dominicaine voisine.
"Depuis 4 ans, la campagne d’hiver est toujours un échec dans le Nord-Est", précise-t-il, ajoutant qu’en 2011, les pertes dues à la sécheresse ont été estimées à plus de 3 millions de USD, provoquant la décapitalisation des ménages basculés dans une "grande vulnérabilité socio-économique" (US $ 1.00 = 45.00 gourdes ; 1 euro = 65.00 gourdes aujourd’hui).
La situation, qui prévaut actuellement dans le Nord-Est, n’est pas sans rapport avec le changement climatique, estime le directeur de programme du CLES.
Cette zone, qui recevait en moyenne 900 mm de pluie par année, n’en a même pas reçu 80 mm durant les derniers 6 mois, selon des données citées par l’ingénieur-agronome, qui pilote un programme d’installation de pluviomètres dans plusieurs localités du Nord-Est.
Depuis environ 10 ans, la région connaît des problèmes de sécheresse aiguë, souligne Albert Pierre-Paul Joseph, dont l’organisation intervient dans la filière du riz et des légumes.
L’ingénieur-agronome pense que les responsables de la direction départementale du Nord-Est du Ministère de l’agriculture devraient procéder par anticipation et modifier le calendrier cultural.
Il prône la concertation entre l’État et la société civile en vue d’une réflexion impliquant les planteurs, directement concernés, pour envisager des dispositions à prendre de manière à gérer les effets du changement climatique dans la région.
En mars dernier, le directeur de la Coordination nationale de la sécurité alimentaire (Cnsa), Gary Mathieu, avait dressé un sombre tableau de la situation à travers le pays prévoyant qu’il pouvait ne pas y avoir d’amélioration avant l’automne.
La sécheresse, les problèmes de chômage et de faibles revenus, pourraient provoquer des difficultés en ce qui concerne l’accès à des aliments, avait-il prévenu.
Un des départements les plus durement touchés est le Nord-Ouest, où la quasi-totalité de la campagne agricole d’hiver, constituée de maïs et de haricots (différentes variétés), a été perdue. [gp apr 11/04/2014 21:00]