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Le Développement Communautaire comme " logo-technique " en milieu rural

Par Jn Anil Louis-Juste [1]

Soumis à AlterPresse le 25 aout 2004

Le Développement Communautaire n’est pas seulement une entreprise économique ; il ne peut pas se réduire à la vente de capitaux (absorption de capital et diffusion de technologie). Le Développement Communautaire n’est pas non plus une simple stratégie politique ; sa dimension est bien plus ample que le contrôle politique de peuples anciennement colonisés. Le Développement Communautaire est à la fois une pensée et une pratique du monde. Il adresse toute la totalité de l’être social : la production, la reproduction sociale, l’éthique, la culture, l’éducation, la communication, le droit, etcÂ… La logo-technique communautaire ou la détermination de la communication par le capital technique, organise le paysan pour moderniser sa mentalité. Aujourd’hui, le paysan est un être de développement communautaire. Sa reproduction sociale n’est pensée que dans le cadre de gestion de petits projets de développement. La technique moderne sert à améliorer la productivité et à augmenter la production. Cette diffusion de modernité crée un sentiment d’infériorité chez le modernisé vis-à -vis de sa culture. Toute l’éducation se réduit alors à l’apprentissage de ces nouvelles technologies ou à la conformation des enfants aux paramètres du modèle de la modernité. D’un village à l’autre, on communique le message du développement à travers le groupement paysan.

Le schéma de la logo-technique communautaire nie la vocation de l’homme à être plus. Le développement y est conçu comme un saut qualitatif, mais l’affirmation du nouveau ne signifie nullement la négation de l’ancien. Le paysan est attaché à ses anciennes croyances, même s’il les infériorise. Ses relations à la terre et à la propriété de celles-ci n’ont pas changé. C’est que le Développement Communautaire tend à amalgamer l’ancien et le nouveau. Le capital qu’il véhicule ne développe donc pas l’être humain parce qu’étranger à la vocation ontologique de l’homme et cherchant constamment à envelopper les prémisses et les possibilités du nouveau. Le capital soumet et les anciennes formes sociales et le nouvel être ambigu pour mieux se reproduire dans la paysannerie. Le capital ne cherche que sa propre reproduction en diffusant la parole technologique de développement.

La logo-technique communautaire n’est pas de la logo-production, c’est-à -dire de la parole qui devient nécessaire pour l’accumulation et la généralisation du nouveau créé par le travail. La logo-technique communautaire, en niant le travail productif et la communication éducative, étend le capital sur la communauté. Paulo Freire voit dans le Développement Communautaire, une forme d’extension agricole. A ses yeux, c’est un exemple de non-communication, car il s’agit de transmettre verticalement et hiérarchiquement des ordres. Cette forme de transmission reproduit l’autoritarisme de la structure foncière latifundiste. En fait, la forme de communication communautaire accompagne son contenu : la communication est verticale parce que la conservation de la structure agraire suppose aussi celle du travail aliéné. La logo-technique communautaire est autoritaire parce qu’elle nie la possibilité du travail libérateur. Il ne suffit pas de donner à parler à un paysan pour qu’il puisse recouvrer sa vocation de développement en tant qu’être humain. Il peut reproduire les schémas de domination et d’exploitation dans ses paroles. Il est nécessaire de le porter à découvrir la place du travail dans l’organisation de sa reproduction et de la reproduction sociale. Le moment prédominant de sa genèse en tant qu’être humain implique, par contre, la médiation de la communication dans le développement ultérieur. Autrement dit, la communication doit être associée au travail en vue de la plénitude de l’être. Il s’agit en fait de la prise en compte des processus de production et de communication dans le développement humain.

La communication communautaire diffuse des messages techniques élaborés dans une autre culture et depuis une vision dualiste du monde. Souvent, cette logo-technique est confondue avec les méthodes d’information utilisées. Odilo Antonio Friedrich notait que les extensionnistes (Â…) appliquaient des méthodes d’information et non des procédés de communication [2] (1988). Le présupposé de cette critique est que toute vraie communication implique une relation horizontale entre les interlocuteurs. Cette prémisse récuse la théorie de la diffusion de Everett Rogers, fondée sur la relation psychologique stimulus-réponse. Cependant, la récusation déplace seulement le lieu de la communication. Au lieu d’un individu qui dit répondre à un stimulus, il s’agit de deux (2) personnes qui interagissent dans une circonstance particulière. Quelle est leur relation dans la totalité sociale ? La communication rurale n’en dit mot.

C’est aussi pourquoi la communication rurale est aussi vue à travers l’utilisation des moyens de communication de masse. Michel Jean Marie Thiollent souligne que la diffusion de la technologie participe "d’une approche cognitive élaborée en fonction de l’action des techniciens et des producteurs dans le contexte de production [3] " (1988 : 33). Valdir de Castro Oliveira interprète la communication rurale comme une simple technique de persuasion ; dans ces conditions, le diffusionisme est défini comme une théorie de la communication pour le développement rural [4] (1988 : 40). La dominance technologique de la communication ou logo-technique est chargée de résoudre les problèmes sociaux exprimés dans la question traditionnel / moderne.

En fait, des études réalisées sur la communication rurale mettent en exergue la question de transfert de technologie ou de nouveaux modèles comportementaux aux agriculteurs pris comme objets de développement. Alors, l’extension rurale serait une pratique communicationnelle anti-dialogique qui imposât la domination culturelle totale à travers les moyens de communication de masse. La verticalité d’un tel procédé fait que Paulo Freire le désigne sous le vocable de communication sans masse.

L’essence culturelle qu’est le canal de transport des messages, interdit de penser à une quelconque domination totale. Le groupement paysan est capable de ré-élaborer les informations en fonction de la mémoire historique de la société dans laquelle il est inséré. Même si la question sociale est posée en des termes technologiques, et les problèmes, traités comme des carences sociales, il est toujours possible d’articuler ces divers éléments avec l’histoire en vue de recouvrer l’unité des expériences nouvelles vécues. En fait, le Développement Communautaire a créé une subjectivité développementiste dans la culture naturaliste paysanne qui donne un statut de normalité à l’exploitation et à la domination de l’homme par l’homme. Or, le développement dans la paysannerie haïtienne, suppose un saut dans la qualité de paysan. Ce dernier doit opérer une rupture dans sa vision naturaliste du monde et une inflexion dans son apprentissage du développement. Il doit comprendre que la famine et l’analphabétisme sont des construits d’une catégorie d’hommes et de femmes au détriment du développement d’une autre catégorie. Quand le corps n’est pas bien nourri et l’esprit ne franchit pas la limite du sens commun, l’homme est atrophié. Il devient incapable de distinguer la croissance du développement. La croissance s’apparente à la juxtaposition de biens et services produits pour l’accumulation et la reproduction du capital ; le développement est plutôt une synthèse de ces biens et services, opérée par la dialectique de la nécessité et de la liberté humaines. La confusion s’installe dans la paysannerie haïtienne : le transfert de technologie est du développement ; l’adduction d’eau potable, la création d’une école, l’établissement d’un hôpital, ce sont des œuvres de développement. Toute nouveauté est signe de développement. Or, la signification est toute autre : il s’agit de conserver des structures sociales anciennes en les soumettant à la rationalité capitaliste. Il est question de maintenir le travail prisonnier de la propriété privée de la terre. Toute la logique de la logo-technique est fondée sur cette finalité.

Pour cela, la logo-technique communautaire crée ses propres agents de communication : les animateurs de développement. Le groupement de paysans est le canal qui répand les gestes, comportements et paroles technico-communautaires accumulés dans le processus du développement communautaire. Mais, il est possible que les usagers ne deviennent pas de simples consommateurs de ces signes, étant doués de la capacité de les utiliser selon leurs propres intérêts. Cette possibilité est contenue dans leur histoire de lutte pour la construction d’une nouvelle vision du monde. Toute ré-élaboration en ce sens, doit partir du développement de l’agent de communication, et de l’enveloppement du canal de communication. La médiation, c’est la participation dans le processus de production des messages et connaissances à partir de la valorisation du travail. C’est la libération du travailleur réconcilié avec sa parole.

Le groupement paysan représente donc un canal de diffusion de messages développementistes, très efficace pour être assis sur le principe de communication entre des égaux, sans poser la question du travail. Cette communication dissociative met de l’emphase sur la dimension technique de la reproduction sociale au détriment du travail et de la terre. Le médiateur, c’est l’animateur social qui communique la stratégie logo-technique. La logique logo-laborative prendra le contre-pied de cette dernière en instituant un travail socio-communicationnel dans le groupement. La démarche, c’est de penser d’abord, avec les groupes, la réalité discursive et pratique du développement communautaire, en relation avec les pratiques quotidiennes connectées avec les relations agraires. Ensuite, il s’agira de produire collectivement les formes pédagogico-politiques qui rendent possible le passage du sens commun à la conscience philosophique. Enfin, les participants doivent se communiquer le projet socio-politique découlant de ces pratiques, en élaborant des actions de synthèse de cette conscience critique. Tout ce processus se matérialisera dans la lutte pour l’appropriation de la terre et l’introduction des réalités sociales vécues, dans le curriculum de l’école. Donc, il faut réellement humaniser la parole de développement.

Août 2001


[1Professeur à l’Université d’Etat d’Haiti

[2Odilo Antonio Friedrich. CommunicaçÄ o Rural. ProposiçÄ o crà­tica de uma nova concepçÄ o. Ed. Embrater, Brasilia.

[3Michel Jean Marie Thiollent "Estudo sobre Tecnologia e Comunicaçà£o rural, livre organisé par Miguel

[4Ibidem