Español English French Kwéyol

Haïti-Tourisme : Persistance du climat de méfiance à Île-à-Vache, où les travaux ont repris

De notre envoyé spécial Lafontaine Orvild

P-au-P, le 18 mars 2014 [AlterPresse] --- Alors qu’une trêve - observée dans la mobilisation des paysans de l’Île-à-Vache contre le projet touristique gouvernemental - a été levée le vendredi 14 mars 2014, les travaux ont repris sur l’ile, apprend AlterPresse.

Le climat de méfiance persiste à Ile-à-Vache. Les paysannes et paysans continuent de dénoncer la répression, dont ils ont été l’objet, suite aux mouvements de protestation contre le projet gouvernemental baptisé « Destination touristique Île-à-Vache ».

Récemment, le gouvernement a annoncé des travaux d’arpentage pour fournir des documents tenant lieu de titres de propriété aux habitants.

Une centaine de familles risquent d’être relocalisées, selon le ministère du tourisme.

Refus de céder les terres

Dix mois après l’arrêté présidentiel, déclarant Île-à-vache zone réservée et de développement touristique, des paysans attachés à leurs parcelles craignent les répercussions qu’aura ce projet touristique sur l’agriculture, l’élevage et la pêche.

« Ce projet semble ne pas cadrer avec nos besoins fondamentaux, tels que : routes, eau potable, hôpitaux, électricité, écoles pour nos enfants, centres de formation professionnelle, modernisation de la pêche et de l’agriculture », fustige Kenold Alexis, conseiller de Konbit peyizan Ilavach (Kopi).

Le projet, de faire de l’Île-à-vache un important pôle de développement touristique et économique - susceptible d’attirer des flux de touristes locaux et étrangers -, remonte à mai 2012.

Dans une interview accordée au « Carribean Journal », le premier ministre Laurent Salvador Lamothe a promis que, le terrain étant déblayé, les défis de titres fonciers ne se posaient pas.

L’Île-à-vache, île de 55 kilomètres carrés au Sud d’Haïti, a été promise à des investisseurs du Qatar, de la République Dominicaine, de la Chine, de la région des Caraïbes, du Royaume-Uni et des États-Unis d’Amérique, comme étant un joyau des Caraïbes et un potentiel dessiné pour les écotouristes.

L’initiative du président Joseph Michel Martelly et du gouvernement Lamothe n’est, cependant, pas la bienvenue chez la grande majorité des agricultrices et agriculteurs, au point qu’ils déclarent « irrecevable » l’arrêté du 10 mai 2013.

Déclarant l’ensemble de l’île « une zone d’utilité publique », cet arrêté aurait pour objectif de les dépouiller de leurs terres, craignent-ils.

« Les terres de l’Île-à-vache sont propriété de l’État, donc de l’ensemble de la population. Le projet en cours tend à la privatiser. Les proches de la présidence Martelly et du gouvernement Lamothe espèrent bénéficier de quelques miettes qui leur permettraient de jouer au golf et de se baigner avec les "blancs" », soutient, avec véhémence, un étudiant en sciences juridiques et président de Konbit peyizan ilavach (Kopi).

Pour un projet touristique intégré

La population précise qu’elle n’est pas totalement opposée « au projet en soi », mais, plutôt, à la forme adoptée par les autorités qui « font usage de la force à la place du dialogue ».

« Jusqu’à présent, nous n’avons aucune information précise du projet. Si [les autorités de l’État] construisent des écoles, hôpitaux, routes, systèmes d’adduction d’eau potable, nous serons prêts à donner notre accord au projet. Mais, pour l’édification de villas, d’hôtels, de terrains de golf, nous sommes totalement opposés », déclare Albéronie Bell, 50 ans, mère de huit (8) enfants, membre d’une petite coopérative d’aide aux femmes, coiffée par l’’Organisation des femmes en action de l’Ile-à-vache (Orfaiv).

Protestataires brutalisés

Après avoir scandé que « l’île n’est pas à vendre », les résidentes et résidents se disent scandalisés par la violence, orchestrée par le gouvernement sur l’île, où, traditionnellement, deux policiers nationaux étaient en service.

« Un projet, qui vise le développement de l’île, ne saurait être imposé par la répression et l’intimidation de la population », dit Altersena Douyon, enseignante et secrétaire de l’Orfaiv.

Plusieurs opposants au projet avouent qu’ils sont bastonnés et matraqués par des agents de la Brigade d’intervention motorisée (Bim) pour avoir protesté contre le projet touristique de l’Île-à-Vache.

Dans la soirée du dimanche 9 au lundi 10 février 2014, la police nationale a malmené , Rosena Macéna (une jeune femme de trente ans), Lethé Feguens, Charles Laguerre, Bertin Joseph Similien, Maxo Bell, et les ont forcés à enlever les barricades qu’ils avaient érigées pour barrer la route à la brigade.

« Ils m’ont écrasée à coup de bottes. Depuis lors, j’ai de l’hémorragie », soupire Rosena Macéna.

« Ils m’ont tellement frappé en plein visage que mon tympan s’est fracturé », confie Feguens, 27 ans.

Interrogés à « Kay Kòk », par AlterPresse, sur les accusations portées contre eux par les victimes, les policiers nationaux affirment ne pas avoir réprimé les manifestants, mais les avoir accompagnés.

Le Réseau national de défense des droits humains (Rnddh) et la Plateforme des organisations haïtiennes de droits humains (Pohdh) ont diligenté une enquête en vue d’éclaircir ce dossier.

Pour leur part, les paysannes et paysans entendent poursuivre leur mouvement, tant que leurs revendications ne sont pas satisfaites.

Lors d’une présentation, le 10 janvier 2014 à l’Île-à-Vache, d’un diaporama montrant les zones qui seront affectées par le projet touristique, la titulaire du ministère du tourisme, Stéphanie Balmir Villedrouin, a reconnu qu’il faut l’aval de la population pour implémenter le projet, dont le coût est de plus de 230 millions de dollars américains (US $ 1.00 = 45.00 gourdes ; 1 euro = 65.00 gourdes aujourd’hui). [lo kft rc apr 18/03/2014 1:05]