Éloge funèbre
Présenté le 8 mars 2014 à Port-au-Prince, à l’occasion d’une cérémonie d’adieu à l’enseignant et diplomate Guy Alexandre
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Mon cher Guy
Il nous faudra du temps pour accuser le coup, sécher nos larmes et étouffer nos sanglots. Tu nous lâché/es, ainsi, brusquement, au milieu du combat. Il sera difficile, sans toi, le chemin qui reste à parcourir !
Mais, heureusement, tu nous as laissé ton enseignement et ton exemple.
La veille de ton départ, au cours de ce qui deviendra ton ultime réunion de travail avec le « Comité haïtien de solidarité avec les dénationalisés dominicains » -(regroupant, entre autres, le CM37, le GARR, le COHAMID, La Fondation ZILE, le Service Jésuite aux Migrants), tu partageais avec nous ta compréhension des derniers évènements et tes profondes préoccupations sur le dossier brûlant des relations haïtiano-dominicaines.
La situation complexe et délicate créée par l’arrêt TC168-13 du Tribunal constitutionnel dominicain était au cœur de tes inquiétudes. Tu avais déclaré la guerre à cet arrêt qui devait se comprendre, pensais-tu, dans une continuité idéologique et politique, allant d’un génocide physique en 1937, à un génocide civil en 2013, entériné par des lois.
Tu appelais de tes vœux une solution définitive à ce grave problème et tu ne ménageais aucun effort pour atteindre ce but. En démocrate, tu ne pouvais refuser le dialogue, et tu observais avec un optimisme prudent les deux gouvernements s’engager dans cette voie, à l’instigation du Venezuela. Face à l’euphorie du discours politiquement correct qualifiant ces rencontres « d’historiques », tu n’hésitais pas, tout comme nous tous d’ailleurs, à émettre de sérieuses réserves. Pas de dialogue pour la galerie, pas de dialogue n’importe comment et à n’importe quel prix. Pour toi, pas de demi-mesures : « La République d’Haïti, disais-tu, ne peut moins que continuer à demander fermement l’annulation pure et simple de cette mesure inique ».
Tu vivais avec douleur et une profonde indignation le virage effectué dans la gestion du dossier TC-168-13 par la diplomatie haïtienne », et parallèlement, « la remontée en puissance d’un anti-haïtianisme d’État en République dominicaine ». Double dynamique qui semble vouloir nous replacer, craignais-tu, dans un « modèle de rapports à la Trujillo-Vincent ». Avec toutes les conséquences néfastes que cela comporte pour les deux peuples !...Nous souhaitons, mon cher Guy que sur ce dernier point, tu te sois trompé.
En même temps, tu te multipliais sur plusieurs fronts. Fidèle à tes idéaux, tu œuvrais sans relâche pour l’établissement d’une politique migratoire claire et cohérente de l’État haïtien, politique qui ne saurait être mise en place, soulignais-tu, sans ce préalable absolu : le respect par l’État haïtien, de ses propres ressortissants, chez lui, d’abord.
Au sein du Comité Mémoire 1937, créé en 2007 à l’ occasion du 70e anniversaire du Massacre organisé par Trujillo en république voisine, ton apport de sociologue averti enrichissait les débats. Tu chérissais cet espace de réflexion sur les problématiques historiques, culturelles, sociales, économiques et politiques qui affectent les deux pays et toujours, tu participais à nos activités d’information et de sensibilisation d’un public de plus en plus soucieux de mieux comprendre ces questions épineuses.
Tu croyais possible un changement réel et profond des relations entre les deux États, lesquels, selon toi, devaient toujours prioriser ce que tu te plaisais à appeler « les intérêts bien compris des deux peuples ».
Après Nicole Grégoire et Jean-Claude Bajeux, nous devons, une fois de plus, dire adieu à un ami et un pilier de notre groupe. Mon cher Guy, nous nous souviendrons toujours de ton dévouement, de ta disponibilité et de ta grande générosité. Avec Lyne, elle aussi un potomitan du CM37, nous ferons en sorte que ta mémoire reste vivante et vivifiante. La lutte continuera, sois-en sûr.
Notre pays perd un citoyen émérite, et l’île entière, un visionnaire et un apôtre de l’acceptation mutuelle, dans la dignité et le respect de nos spécificités respectives.
Comme tu te plaisais à le dire, en guise d’au-revoir :
« HASTA ! »
Pour le Comité Mémoire 1937,
Rachelle Charlier Doucet,
Coordonnatrice
Membres du Comité Mémoire 1937 :
Michel Hector, Suzy Castor, Colette Lespinasse, Evelyne Margron, Sabine Manigat, Richard Mathelier, Dominique Mathon, Edwin Paraison, Roger Petit-Frère, Jean-Marie Théodat, Rachelle Charlier Doucet. Membres décédés : Nicole Grégoire, Jean-Claude Bajeux, Guy Alexandre.