Español English French Kwéyol

Esclavage

L’Afrique aussi fut négrière, selon un historien béninois

Victime, l’Afrique a aussi été responsable de la traite négrière, au même titre que l’Europe. C’est l’avis provocateur de l’historien béninois Félix Iroko, auteur d’un essai sur le sujet. Pour lui, la question des dédommagements financiers n’a pas de sens.

Par Fernand Nouwligbèto

Syfia Bénin

L’Europe doit-elle, oui ou non, payer des compensations à l’Afrique pour crime de traite négrière ? Koïchiro Matsuura, directeur de l’Unesco, vient de relancer le débat, à l’occasion de la Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition, célébrée chaque 23 août en souvenir de l’insurrection déclenchée le 23 août 1791 par les Noirs de l’île Saint-Domingue, aujourd’hui Haïti et République dominicaine. Selon Koïchiro Matsuura, cette journée est, entre autres, "l’occasion d’institutionnaliser la mémoire, d’empêcher l’oubli, de demander réparation pour ce crime contre l’humanitéÂ…"

Pour l’universitaire et chercheur béninois Félix Iroko, l’Afrique n’a pas de réparations financières à exiger de l’Europe car elle a été tout autant coupable que cette dernière, affirme-t-il dans son livre La côte des esclaves et la traite atlantique.

Certains pays africains réclament en effet des compensations financières à l’Europe au titre des préjudices subis pendant la traite négrière, du 16e au 19e siècle. La Namibie est en tête de ce peloton singulier, suivie, pêle-mêle, de la Zambie, la Tanzanie, le Zimbabwe, etc. L’universitaire français Louis Sala-Molins, l’historien d’origine guadeloupéenne Jean-Philippe Omotoundé et bien d’autres intellectuels démontrent, à coups d’arguments, le bien-fondé de ces dédommagements.

La thèse est bien connue : pendant près d’un demi-millenaire, l’Europe a vidé l’Afrique de plusieurs dizaines de millions de personnes en échange de « pacotilles » glissées à des souverains noirs « naïfs ». Les esclaves ont enrichi l’Amérique et les nations européennes au détriment de leurs terres d’origine, livrées du coup au dépeuplement. La pauvreté actuelle des pays africains serait, en partie, la conséquence de ce trafic inhumain. La reconnaissance officielle de la traite comme crime contre l’humanité (tel que l’a fait la France en mai 2001) ne suffit donc pas : il faut, en plus, des dédommagements en espèces sonnantes et trébuchantes.

Ces discours ne datent pas d’aujourd’hui, rappelle le Professeur Iroko. Ils sont apparus aux Etats-Unis où, en 1989, un député démocrate a fait une proposition de loi pour la création "d’un comité d’étude sur les conséquences de l’esclavage et ses répercussions jusqu’à aujourd’hui". Moshood Abiola, homme d’affaires et politicien nigérian aujourd’hui décédé, a battu campagne aux Etats-Unis pour cette idée. En 1992, l’Oua (actuelle Union africaine) a organisé sur le même sujet à Dakar, au Sénégal, une réunion, regroupant entre autres Amadou Makhtar Mbow (ex-directeur de l’Unesco), le pasteur noir américain Jesse Jackson et la chanteuse sud-africaine Myriam Makéba. Pendant et après la Conférence mondiale des Nations unies sur le racisme tenue en 2001 à Durban en Afrique du Sud, les partisans de l’indemnisation sont devenus plus nombreux. En réalité, affirme Félix Iroko, leur prise de position se fonde sur une méconnaissance criante de l’histoire.

Une collaboration active et rentable

Dans l’Afrique du 16e siècle, les guerres entre les souverains pour l’extension des royaumes et l’existence d’un esclavage domestique avaient déjà créé les conditions favorables au déroulement de la traite. Celle-ci a été le résultat d’un consensus entre deux partenaires commerciaux : les acquéreurs (les Européens) et les vendeurs (les Africains). Ce sont les Noirs, habiles dans le canotage, qui se chargeaient du débarquement puis de l’embarquement des marchandises, les navires des négriers ne pouvant accoster directement sur la côte. Les échanges ne se faisaient pas en mer, mais bel et bien sur terre. Dans l’ancien royaume du Danhomè (devenu plus tard Dahomey, l’actuel Bénin, Ndlr), par exemple, c’était le yovogan, le gouverneur de Ouidah et représentant local du roi, qui en toute conscience donnait aux capitaines blancs l’autorisation de commercer, discutait avec ces derniers des "coutumes" à payer (taxes et dons de produits manufacturés) et faisait annoncer par ses crieurs publics l’ouverture de la traite.

Rois, dignitaires, marchands et simples sujets recherchaient et livraient les esclaves, pour la plupart captifs de guerre ou de razzias. Ils infligeaient à leurs frères de race des sévices ignobles, autant de cruautés qui rappellent les atrocités endurées par les malheureux de la part de leurs maîtres blancs. Aux yeux des Noirs de l’époque, les tissus, verroteries, eaux-de-vie, etc., apportés par leurs partenaires européens avaient une valeur inestimable. Les cauris (coquillages), très appréciés, servaient de monnaie locale. Le trafic était si rentable qu’au lendemain de sa suppression officielle, le roi Glèlè du Danhomè a commencé à se plaindre de ses difficultés de trésorerie !

Les partisans des réparations financières, vivant aux 20e et 21e siècles, commettent donc un anachronisme grave en qualifiant de "pacotilles" des objets différemment perçus autrefois. Ils sont, aux yeux du professeur Iroko, les « nouveaux partenaires » des négriers : ils ne désirent plus, comme leurs ancêtres, se faire payer en caurisÂ… mais en dollars et en euros !

Comment fixer le montant des compensations et le répartir ? à€ quoi serviront-elles sinon, comme des dizaines de milliards de francs cfa perçus au titre de l’"aide au développement", à alimenter les comptes en banque des dirigeants africains actuels ? Ce sont ceux-là , conclut l’historien, les véritables maux de l’Afrique d’aujourd’hui !

Fernand Nouwligbèto

Courtoisie de l’agence Info-Sud