P-au-P, 07 févr. 2014 [AlterPresse] --- Le retrait des organisations non gouvernementales (Ong), qui intervenaient en Haïti, depuis le tremblement de terre du 12 janvier 2010, favorise l’émergence d’une vision haïtienne de la souffrance, affirme André Corten, directeur exécutif du groupe de recherche sur les imaginaires politiques en Amérique Latine (Gripal), lors d’une journée de réflexion le jeudi 6 février 2014, à Port-au-Prince, à laquelle a assisté l’agence en ligne AlterPresse.
Cette journée de réflexion a servi de cadre pour présenter les résultats d’une recherche sur l’intervention des Ong après le tremblement de terre de 2010, conduite entre 2012 et 2014.
L’activité s’est ainsi déroulée autour des diverses conséquences du retrait des Ong d’Haïti ainsi que de leurs modes d’intervention sur le terrain, au lendemain du séisme du 12 janvier 2010.
« Raconter les souffrances après le retrait des Ong » était le thème retenu.
Six panels de discussions ont abordé des sous-thèmes, touchant, entre autres, à la question de bénéficiaires et de non bénéficiaires, à la relocalisation et à l’expulsion, et à l’absence de l’État.
Raconter enfin la souffrance
Avec « le retrait des Ong, les gens peuvent trouver une nouvelle manière de raconter la souffrance », estime le directeur du Gripal, André Corten.
Car, selon lui, les Ong les avaient « désappropriés de leur propre vision de la souffrance », les empêchant de penser leur propre vie.
La notion « d’urgence », avancée par les Ong, au lendemain du séisme, « va discriminer, quelque part, tous les opprimés et les pauvres du pays », parce qu’ils n’ont pas été « considérés comme prioritaires par rapport à ce schéma d’urgence », explique André Corten.
« L’urgence n’a pas rapport à la justice sociale, mais les Ong posent des actions en fonction, surtout, de raisons pragmatiques », selon les observations faites dans le cadre de la recherche.
Un pragmatisme, axé essentiellement sur « un critère victimaire ».
Une telle vision aboutit à trois catégories dans l’action humanitaire.
Ce sont, pour commencer, les non-bénéficiaires, qui n’ont pas reçu, véritablement, des services des Ong.
Cette première catégorie pourra s’en sortir mieux avec le retrait des Ong, pour n’avoir pas été dépendante de ces organismes.
Celles et ceux, qui sont appelés les mauvais bénéficiaires (une appellation sociale et non morale), parviendront également à se forger une identité après le départ des Ong.
Cette catégorie avait, pour sa part, toujours critiqué « l’ordre victimaire » et avait toujours refusé de participer dans les différentes activités, en décidant de garder une certaine autonomie, en particulier au sujet des droits déjà acquis.
Quant aux bénéficiaires, ils resteront, pour leur part, dans l’impasse, avec le départ des organismes internationaux.
Cette dernière catégorie regroupe des personnes qui se sont toujours tournées vers les Ong en oubliant l’État, comme « des poissons sortis de l’eau dans laquelle ils nageaient », indique André Corten.
Quatre ans après le séisme, certaines Ong demeurent actives sur le terrain.
La communauté humanitaire en Haïti dit craindre encore une crise humanitaire, en raison d’indicateurs inquiétants de sécurité alimentaire et de réponse au choléra, notamment.
1,5 milliard de dollars américains (US $ 1.00 = 45.00 gourdes ; 1 euro = 63.00 gourdes aujourd’hui), c’est le montant du financement humanitaire de 2008 à janvier 2014, tandis qu’un appel de 169 millions de dollars a été lancé pour répondre aux besoins en 2014. [srh kft rc apr 07/02/2014 11:55]