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Haïti-Brésil : Retour sur le sens d’un match de gala

(Suite de l’article « Haïti-Brésil : Les leçons d’un match de football »)

Port-au-Prince, 20 août 04 [AlterPresse].- Avec le match-événement entre Haïti et le Brésil, terminé sur le score de 6 buts à 0 (mi-temps 3-0) en faveur des quintuples champions du monde le 18 août 2004 au Stade Sylvio Cator de Port-au-Prince, le Premier Ministre Gérard Latortue semble avoir gagné un pari.

Des interrogations fusent sur les fonctions inavouées d’un match qui servirait, aux yeux d’observateurs avertis, d’exutoire pour décrisper la situation politique à l’intérieur du pays, pendant que des décisions importantes sont prises par le gouvernement provisoire.

Déjà , le 16 août, des contrats de plusieurs millions de gourdes (il faut aujourd’hui environ 37 gourdes pour un dollar américain) ont été passés par le gouvernement provisoire avec des firmes haïtiennes pour la réfection de rues dans la zone métropolitaine de la capitale.

L’acquittement, à l’aube du 17 août 2004, des accusés Louis Jodel Chamblain (ex numéro 2 de l’organisation paramilitaire dénommée Front pour l’Avancement et le Progrès Haïtien - FRAPH) et de Jackson Joanis (ancien responsable su Service Anti-gang de Port-au-Prince), dans un procès « bâclé », n’ayant pas fait la lumière sur les circonstances de l’assassinat le 11 septembre 1993 de l’ancien supporter d’Aristide, semble être passé inaperçu dans l’opinion publique nationale.

Le match Haïti / Brésil aurait relégué aux oubliettes la tenue des assisses criminelles dans la capitale haïtienne, le problème d’augmentation de traitement soulevé par une partie des correcteurs des examens officiels du Baccalauréat 2004, les préparatifs pour la prochaine rentrée scolaire de septembre 2004, les frasques enregistrées il y a peu au sein du Conseil Electoral Provisoire.

Le Premier Ministre semble avoir remporté son pari de pacification malgré des tentatives, en début de matinée du 18 août, de secteurs apparemment liés à l’ancien régime d’interdire le déferlement populaire pour accueillir les joueurs brésiliens considérés comme les dieux du football mondial.

Par des barricades de pneus enflammés, des jets de pierres, les partisans lavalas, qui ne démordent pas de leurs élans de violence, ont essayé à nouveau de raviver une tension politique encore latente. Ils en sont même allés à accuser Ronaldo Luis Nazario de Lima, l’attaquant vedette de la sélection brésilienne de football, d’ « assaillant », estimant que la manifestation populaire ayant accompagné la rencontre historique de football du 18 août devrait avoir lieu sous le régime déchu lavalas.

Quiconque ayant vécu les troubles et le brigandage institutionnel et institutionnalisé de 2000 à 2004 en Haïti n’est pas dupe des velléités de tromperie de ce secteur lavalas aux tendances nazies et de « démocratie autoritaire » qui invite plutôt ses membres à pratiquer la violence lorsqu’il agite les mots « la paix ».

A rappeler que preuve a été faite, avant et après le 29 février 2004, quand la milice armée lavalas avait perpétré des actes de vandalisme, incendié et détruit pour environ 300 millions de dollars américains, selon les premières estimations faites début mars 2004 (cf. AlterPresse : Haïti, les premiers pas d’une reconstruction difficile).

Des investigations conduites par la Police Nationale d’Haïti (PNH) ont conduit à l’arrestation cette semaine de plusieurs personnes, dont l’ancien maire lavalas de Cité Soleil Fritz Joseph soupçonné par la Police de complicité dans les incendies d’installations commerciales (secteur formel et informel) en juin 2004 au centre de la capitale haïtienne.

A la veille du match de football Haïti-Brésil, trois faits enregistrés à Port-au-Prince ont intensifié les préoccupations sur de possibles regains de tension dans le pays.

Le samedi 14 août 2004, des partisans lavalas ont, avec leur arrogance coutumière, exprimé dans les rues leur rejet de la rencontre de football prévue pour le 18 août et ont à nouveau appelé au retour de leur chef, l’ex-dictateur Jean-Bertrand Aristide.

Le dimanche 15 août, d’anciens militaires haïtiens dits démobilisés, qui avaient participé au mouvement ayant conduit à la chute du régime lavalas, ont tenu, munis d’armes lourdes, une marche militaire, au cours de laquelle ils ont exigé du gouvernement provisoire la satisfaction de leurs revendications : une décision effective concernant leur statut et leur rôle en ce qui a trait à la sécurité nationale, le paiement de dix ans d’arriérés de salaires (1994 -2004) et de leurs fonds de pension.

Le mardi 17 août 2004, des membres de la Compagnie d’Intervention et de Maintien de l’Ordre (CIMO), une des unités spécialisées de la PNH, ont menacé de se mettre sur pied de guerre pour affronter les militaires démobilisés qui auraient humilié quelques-uns d’entre eux. Ils ont simultanément lancé des mises en garde musclées à l’endroit du Premier Ministre Gérard Latortue et du ministre de l’Intérieur et de la Sécurité nationale Hérard Abraham, lieutenant retraité des anciennes Forces Armées d’Haïti qui avait remis la direction du pays, en mars 1990, à un régime civil présidé par l’ex-juge Ertha Pascal Trouillot à la suite d’un mouvement insurrectionnel contre le gouvernement militaire de Prosper Avril.

Ces trois faits d’actualité méritent une attention sérieuse, d’autant qu’il s’agit d’un secteur (lavalas) et de deux corps (militaires démobilisés) armés. Il ne s’agit pas véritablement d’un jeu, en considérant les nombreux actes de banditisme, de viol, de vols de véhicules et de kidnapping enregistrés ces derniers mois dans le pays, auxquels sont associés d’anciens policiers (autre groupe armé), comme c’est le cas cette semaine d’un ex-membre de l’Unité de Sécurité Générale du Palais National (USGPN) qui figure parmi les personnes appréhendées par la PNH sur la route neuve, dans l’aire de Cité Soleil.

« La justice sociale est le véritable nom de la paix ». Tel était le slogan leitmotiv sur une banderole portée ce 18 août 2004 par les joueurs haïtiens et brésiliens à leur entrée sur le terrain à 2 :30 pm locales (19 :30 GMT).

Rattacher paix et justice sociale, à l’occasion d’un match de football, devrait revêtir toute une signification.

Mais, à l’exception de quelques spots commerciaux, aucun contenu ni campagne sociale spécifique n’ont précédé l’événement sportif en ce qui a trait au désarmement des groupes armés, à la convivialité ou à la compréhension mutuelle entre citoyennes / citoyens, à la rupture d’avec les dissensions, discordes et conflits internes. Encore une fois, les dirigeants d’Haïti ont raté un moment unique pour partir sur de nouvelles basesÂ…

Quoi qu’il en soit, toutes les classes confondues s’étaient retrouvées au Stade Sylvio Cator pour assister au match de gala terminé sur le score de 6 buts à zéro en faveur de la sélection nationale de football du Brésil qui a inauguré la pelouse synthétique rapide du stade cinquantenaire d’Haïti.

La sélection nationale haïtienne n’a pas démérité, même si des spectateurs regrettent son absence de percussion qui lui aurait permis de sauver l’honneur devant les buts adverses. De toutes façons, le score du match ne compte pas véritablement, vu que l’enjeu était autre.

C’est la première fois, pendant ces dernières années, qu’une victoire de la sélection nationale de football du Brésil n’a pas entraîné de liesse populaire dans les rues. Les rues étaient toutes tranquilles au soir du match du 18 août, ce qui contraste avec la ferveur entraînée par le récent succès du Brésil en Copa America en juillet dernier.

Peut-être que l’orgueil et le sentiment nationalistes des Haïtiens ont été fouettés, à l’idée que les compatriotes de la sélection nationale auraient pu faire mieux face au Brésil qui ne leur a pas donné de cadeau et qui a marqué 6 buts sur des actions habilement orchestrées par leurs joueurs.

Gérard Latortue espère, avant février 2006, parvenir à rénover au moins deux autres stades sur le territoire national en plus de celui de Port-au-Prince, question de doter le pays d’infrastructures augurant d’une relance effective du sport-roi en Haïti.

La Fédération Haïtienne de Football (FHF), qui célèbre son centenaire en 2004, n’a pas encore défini de plan de suivi après le match du 18 août. Cela fait environ une année qu’il n’y a pas de compétition de première division sur le territoire national.

Désormais, ces dirigeants devraient déployer davantage d’efforts pour mieux planifier de tels événements en dehors des carences flagrantes relevées dans l’organisation du 18 août : problèmes de cartes d’accréditation, absence de transparence sur les lieux de vente de billets d’entrée, non tenue de conférences de presse d’après-match.

D’aucuns se demandent aussi quelle structure va s’occuper de l’entretien du Stade Sylvio Cator, préalablement rénové en 1999, sous l’ancienne administration de René Garcia Préval (1996-2001), à la veille des éliminatoires de la Coupe du Monde 2002, et qui avait coûté des débours importants du trésor public. Aujourd’hui, les nouvelles réparations, faites avec l’appui de Taïwan, dépassent les 600 mille dollars américains.

Qu’est-ce qui est prévu en termes d’amortissements et dans quel délai ? Suivant quelles conditions les clubs de football auront-ils accès au stade ? Quid des conditions pour les organisations, institutions et associations n’évoluant pas dans le football ? Quel rôle aura à jouer la FHF ?

Quels profits aura à tirer la jeunesse haïtienne de l’événement historique du 18 août 2004 à Port-au-Prince ? Quelles dispositions seront prises par la FHF pour encourager la compétition à tous les niveaux ainsi que les différentes sélections à se frotter avec les meilleures équipes de football du Monde et ainsi relever le niveau du football national ?

Pourquoi avoir mis tant d’ardeur, en un mois, à essayer de restaurer le visage de la capitale haïtienne en prévision de l’arrivée des superstars brésiliennes ? Est-ce que les autorités comptent aussi, dans les jours à venir, mettre les bouchées doubles pour offrir une autre image d’Haïti à l’extérieur, en termes d’hospitalité, d’accueil, d’ordre institutionnel, de respect des principes démocratiques, etc. ?

En tout cas, l’esprit sportif de fair play, qui a prévalu en force le 18 août 2004, aura démontré que les résultats s’acquièrent par le mérite, au prix de sacrifices, de discipline, de détermination, de durs labeurs et de travaux sans relâche. Et aussi que le meilleur gagne toujours. [rc apr 20/08/04]