La population des camps de personnes déplacées a drastiquement diminué en Haïti : - 90 % en 4 ans. Ce qui pourrait sembler positif représente, pourtant, une occasion manquée. Plutôt que de profiter du séisme pour mieux reconstruire la capitale, le plan de relocalisation des habitantes et habitants ne vise qu’à les réinstaller, pour 1 an, dans les mêmes quartiers mal construits qu’auparavant.
Par Stephen Ralph Henri [1]
P-au-P., 2 févr. 2014 [AlterPresse] --- Officiellement, les programmes de retour des déplacés du séisme de 2010 dans leurs quartiers, mis en œuvre par le gouvernement haïtien et des organisations non-gouvernementales, ont permis de diminuer la population de sinistrés vivant dans les camps.
Celle-ci est passée d’1,5 million d’individus en 2010 (dans les semaines qui suivirent le séisme du 12 janvier) à 145 mille en décembre 2013.
Si, à vue d’œil, il y a moins de camps dans Port-au-Prince (lire encadré ci-dessous), la situation des sinistrés, bénéficiaires du financement des programmes de retour, reste la même ou s’est parfois détériorée pour de nombreuses personnes.
« Je n’ai rien en main », dit Maryse*, mère de 4 enfants qui n’ont pas repris le chemin de l’école à la rentrée 2013.
Bénéficiaire d’un programme de l’Organisation internationale des migrations (Oim), elle a quitté, en août 2013, le camp « Trazeli », au nord de la capitale, où elle s’était réfugiée après la catastrophe.
« Mais la misère est devenue plus dure, assure-t-elle. Dans cette chambre où je vis, je ne peux pas allumer le feu de bois, comme je faisais dans le camp, pour préparer à manger à mes enfants ».
Maryse n’a pas de quoi se payer charbon ou gaz propane. Elle dort sur une couverture de laine avec ses 4 enfants, 2 filles et 2 garçons.
A 5 dans ce qu’elle qualifie « d’enclos », elle estime que le programme est parvenu à les dissimuler, comme plusieurs milliers d’autres personnes déplacées devenues invisibles.
Rose*, elle, est mère d’un petit garçon de 4 ans. Avec lui, elle vivait dans le camp établi au centre sportif de Carrefour (périphérie sud).
Grâce au programme 16/6, lancé en septembre 2011 par le gouvernement, elle a pu s’installer dans une chambre à Carrefour.
Pour elle, « la seule amélioration réside dans le fait de ne plus vivre sous des bâches déchirées ».
Mais, à la question de savoir si sa situation a réellement changé, la réponse est claire et nette : « non ».
Critiquant les programmes de retour, Rose remarque : « s’ils voulaient vraiment aider les gens, améliorer leurs conditions de vie, ils pouvaient établir des projets de logements sociaux que les habitants auraient payé selon un plan. Mais une chambre pour une famille, qui peut aller jusqu’à 10 personnes, ce n’est surtout pas la solution ».
Relocalisation ou expulsion en douce ?
L’Oim sait également que ce n’est pas la solution.
« Plus de 90 % des gens abrités dans les camps étaient des locataires. On a mis ce programme (juste) pour permettre aux gens de louer “une pièce-kay”, une chambre, pour sortir du cycle de la vie dans les camps », déclare David Preux, responsable de la coordination et de la gestion de camps pour l’Oim.
Bradley Mellicker, autre représentant de l’Oim, explique : « L’idée avec l’approche subvention au loyer, c’est de donner aux bénéficiaires une année de loyer pour leur permettre de se relever ».
En clair, il ne s’agit pas de « fournir une assistance permanente à ces personnes », mais plutôt de les amener à une « situation similaire à (celle de) leurs voisins qui n’ont jamais vécu dans un camp ».
L’organisme Défenseurs des opprimés (Dop) estime « insuffisantes » les 20 mille gourdes de subvention au loyer, données aux déplacés pour quitter les camps.
« Avec cette somme, les gens ne pourront pas vraiment trouver un logement avec des toilettes modernes, une cuisine et un espace vivable », déplore Frena Florvilus, une des responsables de Dop.
Le risque, c’est qu’une fois l’année de loyer écoulée, « les locataires quittent ce logement pour aller à Canaan, vaste bidonville créé au flanc du Morne à Cabris (périphérie nord de la capitale) après le séisme, ou dans un autre camp », remarque Rose.
Reyneld Sanon, secrétaire exécutif de Fòs refleksyon ak aksyon sou koze kay (Force de réflexion et d’action sur la question du logement / Frakka), une organisation d’accompagnement des personnes déplacées, est catégorique : « Il ne s’agit pas de relocalisation, mais d’une expulsion forcée (en douceur) ».
En outre, contrairement à l’objectif poursuivi par l’Oim dans son programme, « les sinistrés n’ont pas vraiment de sécurité dans les quartiers populaires où ils sont relocalisés : ils sont exposés aux gangs et à toutes autres formes de violence », ajoute Reyneld Sanon.
Depuis le séisme, les autorités haïtiennes ont raté l’occasion de développer le secteur du logement social, selon les représentants de Frakka.
Sur ce point, l’Oim est partiellement d’accord.
A long terme, « il faut absolument faire quelque-chose pour augmenter la quantité de logements dans le pays, souligne Bradley Mellicker, mais cela relève du gouvernement ».
« Nous pensons qu’un plan national de logement aurait déjà dû être défini, permettant de préciser où l’on peut et doit construire en masse, quels sont les secteurs qui doivent être aménagés afin d’héberger la population dans des conditions décentes, » estime Joël Jean-Baptiste, secrétaire général du Mouvement de solidarité avec les sans-abri d’Haïti (Mososah).
Un gros effort devra également être consenti sur la qualité.
« Car, la plupart des logements, construits sous l’égide des bailleurs internationaux, sont trop exigus pour les familles haïtiennes ; Ils n’offrent pas les services minimums, tels que l’accès à l’eau, à la sécurité, aux zones d’activité »…, conclut Joël Jean-Baptiste. [srh olh apr 02/02/2014 14:00]
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Le relocalisation en pratique
Selon les dernières données de l’OIM (Organisation internationale des migrations), 271 camps subsisteraient dans toutes les zones qui ont été affectées par le séisme, pour 147 000 personnes. Il est à noter qu’au moins 4 sites ont tout simplement été rayés de la liste des camps, à la demande du gouvernement haïtien (Baudouin à Jacmel, Jerusalem, Canaan et Onaville à Corail, au nord de Port-au-Prince).
Actuellement, pour quitter les camps, les sinistrés reçoivent 20 000 gourdes (environ $ 500 $ US) afin de couvrir une année de loyer. Ils touchent également 1000 gourdes (25 $ US) pour le transport de leurs effets, et après quelques mois - 2 en moyenne - si les bénéficiaires occupent toujours la chambre louée, ils doivent percevoir 5 000 gourdes (près de 120 $ US) supplémentaires, suivant des informations recueillies auprès de l’OIM. Ces cinq mille gourdes doivent servir à envoyer les enfants à l’école, à gérer la nourriture et à lancer une petite affaire. Mais 80 % des établissements scolaires relevant du secteur privé, la somme suffit parfois à peine à couvrir les frais de scolarité…
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* Maryse et Rose sont des noms d’emprunt.
[1] Article rédigé en partenariat avec l’Observatoire du logement en Haïti