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Regard (Chronique hebdo)

Égypte : Le retour des généraux ?

Par Roody Edmé *

Spécial pour AlterPresse

Le référendum sur la nouvelle Constitution égyptienne, déroulée en ce mois de janvier 2014, en Egypte, avec une participation massive de la population, est, sans nul doute, un bon point pour le général Abdel Fattah Saeed Hussein Khalil el- Sisi, qui tient, à distance, les rênes du pouvoir.

Ce général énigmatique, presque timide, qui passe pour être un bon musulman, a été celui qui mit fin au pouvoir constitutionnel du président Mohamed Morsi, issu des rangs des frères musulmans.

Mais, donc, qu’est-ce qui a permis à cette armée égyptienne - si décriée à l’époque du rais Hosni Moubarak - de revenir au pouvoir, parée des habits neufs de la démocratie ?

La vérité est que le pouvoir de Mohamed Morsi s’était engagé dans une vague de réformes « inquiétantes », qui menaçait de faire basculer l’Égypte dans un système politique à dominante religieuse.

Certains secteurs démocratiques, en Égypte, pris de panique, ont vu planer sur le pays, le plus emblématique de la région, l’ombre voilée du Qatar et de l’Iran des mollahs.

A partir de ce moment, une alerte générale s’est déclenchée au pays et l’on vit, encore une fois, des foules immenses, sur l’historique place Tahir, dénoncer les « dérives » du nouveau pouvoir, accusé de détourner la démocratie laïque égyptienne.

Tapie dans l’ombre, l’armée égyptienne, jusqu’ici, la grande muette, était prête à bondir pour remettre les pendules à l’heure. Celle d’une armée, qui a toujours été la colonne vertébrale de l’Égypte et qui, depuis le coup d’État (dans la nuit du 22 au 23 Juillet 1952) contre le roi Farouk (11 février 1920 - 18 mars 1965), a toujours été le métronome du pouvoir politique au Caire.

Celui - par qui la « correction démocratique » est arrivée - a su surfer sur les grandes foules qui, flamberge au vent, réclamaient la fin des tentations totalitaires des frères musulmans.

Mais, cette armée, qui, aujourd’hui, joue à la garante des libertés publiques, traîne, dans son sillage, un long passé de violations des droits de la personne.

En renversant le régime constitutionnel du président Morsi, elle ouvre une boîte de Pandore, d’où commence à sortir les groupes les plus radicaux.

Et, à l’occasion de la commémoration (en janvier 2014) des trois ans de la révolution anti-Moubarak, on a vu, certes, se manifester de nombreux soutiens à l’armée ; mais aussi on a vu certains groupes de la société civile égyptienne, jusque là réservés, rejoindre le camp des pro-Morsi.

Donc coupé en deux, le pays commence une année de tous les dangers. Et le Caire vit des heures, assombries par les grenades assourdissantes de l’armée et les manifestations, suivies des barricades en feu des partisans du président déchu.

Le général El Sissi connaît les intérêts supérieurs de son armée. Il sait que, pour que les affaires continuent dans le secteur touristique, dominé par des gens d’armes, ou des secteurs économiques liés aux forces armées, il faut que la stabilité revienne.

Mais cette stabilité, peut-elle reposer sur les frustrations d’une bonne partie du peuple égyptien, flouée dans son vote ?

Même si la peur, réelle ou supposée, d’un nouvel islamisme - au pays de Nasser - a renforcé le pole laïque du refus autour de Abdel Fattah el Sissi, le général devenu, à son corps défendant, le chantre de la démocratie laïque égyptienne.

Pour l’heure, avec, surtout, le « succès » du référendum sur la nouvelle Constitution, revue à la sauce des militaires, le général El Sissi, - assuré du support des classes moyennes, saisies par une grande peur de l’inconnu fondamentaliste -, est prêt à prendre, de manière effective, les commandes d’une Égypte déchirée.

L’armée, qui contrôle la plupart des grandes filières économiques du pays et dont le patrimoine hôtelier est estimé à des milliards de dollars américains, ne laissera pas échapper une occasion de pouvoir piloter le processus « démocratique ».

D’autant que les États-Unis d’Amérique et les autres puissances occidentales n’ont pas envie d’une seconde « Syrie » et que l’armée égyptienne est, pour l’administration politique à Washington, un allié de premier choix.

Toujours est-il que, laisser son poste de commandant en chef de l’armée, pour celui de président, est, pour le général égyptien, un énorme risque.

Et la présidence égyptienne, comme souvent dans d’autres pays, est mangeuse de réputation.

Mais, la tentation est, désormais, plus que grande de jouer à l’homme providentiel.

S’il franchit le rubicond et enlève l’uniforme pour des habits civils, le général n’ignore pas que certaines réformes, souhaitées par le peuple, vont à l’encontre des intérêts riches et puissants, dont l’armée constitue le socle protecteur.

Et alors ?

L’armée égyptienne devra se préparer au pire, dans un environnement aussi instable.

* Éducateur, éditorialiste