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Haïti-Séisme/4 ans : Quel engagement citoyen des médias dans le changement de comportement ?

Par Edner Fils Décime

P-au-P, 12 janv. 2014 [AlterPresse] --- Autant que les anniversaires du terrible séisme du 12 janvier 2010 se commémorent, l’espace - consacré, dans les radios haïtiennes, aux messages de sensibilisation de la population sur sa protection lors du passage des tremblements de terre - tend à se réduire, constate AlterPresse.

Ce comportement, observé généralement dans le champ radiophonique, serait-il explicable par « la nature commerciale » des stations de radio (le média le plus populaire et le plus écouté en Haïti) ou par une sorte « de culture de l’oubli », prenant corps dans la formation sociale haïtienne, en général, depuis quelques décennies ?

Culture de l’oubli et bulle de sûreté

A la suite du tremblement de terre de janvier 2010, l’Association nationale des médias d’Haïti (Anmh) et l’Association des médias indépendants d’Haïti (Amih) - en collaboration avec l’ingénieur-géologue Claude Prépetit - ont conçu des spots informant sur les gestes qui sauvent au passage d’un tremblement de terre et invitant la population à toujours se préparer.

L’actuelle présidente de l’Anmh, Liliane Pierre-Paul, confie qu’elle est obligée, à maintes reprises, d’intervenir auprès des membres de l’association qui, « dans leur programmation, délaissent les spots de sensibilisation sur comment se protéger lors d’un tremblement de terre, [car] la culture de l’oubli est forte chez nous ».

Pierre-Paul reste, toutefois, convaincue que la « protection de l’environnement est un souci constant au sein de l’association ».

Elle en prend pour preuve l’engagement des médias de l’Anmh, lors du passage de cyclones ou des pics de l’épidémie de choléra introduite en Haïti par la mission des Nations unies pour la stabilisation (Minustah), selon plusieurs études.

En tout état de cause, le constat est criant : les spots, produits par l’Anmh et l’Amih depuis 2010, ne reçoivent pas de large diffusion dans ces mêmes radios.

« J’ai fait mon propre monitoring et j’ai fait le même constat. Certaines radios les diffusent, mais dans des heures de faible écoute. Le message n’est pas programmé au moment de la présentation des journaux d’informations qui sont des tranches horaires de grande écoute », déplore Pierre-Paul.

« Il n’est pas facile, en Haïti, de faire devoir de mémoire, d’éduquer les gens sur d’éventuels risques, parce qu’ici on vit au jour le jour », souligne la consœur Pierre-Paul.

Directrice de programmation et présentatrice du « Jounal 4è » à Radio Kiskeya, Pierre-Paul diffuse régulièrement les messages de sensibilisation.

Ce qu’elle ne fait pas sans difficulté.

« Souvent, des personnes puissantes des sphères politiques, économiques et intellectuelles, me reprochent de diffuser ces messages ou de parler du séisme, sous prétexte que je réveille une tristesse endormie », confie, indignée, la journaliste.

Ses collègues de l’Anmh subiraient les mêmes pressions de ces personnes, effrayées d’affronter la réalité des menaces sismiques sur Haïti.

Le professeur Ary Régis, responsable du département de communication sociale à la faculté des sciences humaines (Fasch) de l’Université d’État d’Haïti (Ueh), explique l’attitude de ces « personnes puissantes » par une « sorte de refus de l’alarmisme », qui pousse à « entrer dans une bulle de sûreté imaginaire », et la quasi-absence de la notion de prévention dans notre culture.

Et là, le travail citoyen des stations de radios peut aider dans « la gestion de la santé mentale de la population, en proposant des espaces à cet effet ».

La logique marchande bloque-t-elle la responsabilité sociale et citoyenne des radios ?

Le professeur Régis est très critique vis-à-vis des médias et des radios en particulier.

« La responsabilité sociale des médias en Haïti ne se donne pas à voir. Elle est quasi-inexistante ».

La prolifération des radios sur la bande FM (plus d’une cinquantaine à P-au-P) répond, avant tout, à une « logique marchande », pas nécessairement à un souci d’offrir plus d’options d’information, d’éducation et de divertissement à l’auditoire ou de « renforcement de la démocratie », selon Régis.

Pour chaque 60 minutes, une radio musicale de Port-au-Prince consacre 40 minutes à la publicité et seulement 20 minutes à la diffusion de la musique, ce pour quoi elle a été créée.

Et, dans les 40 minutes, pas une seule publicité sociale ou citoyenne, selon Ary Régis, partageant, avec AlterPresse, les données d’un travail de recherche non encore rendu public.

Dans les 5 radios les plus écoutées à Port-au-Prince, un monitoring - effectué par AlterPresse du « lundi 6 au vendredi 10 janvier 2014 » n’a révélé aucun message sensibilisant sur les risques sismiques dans leur programmation.

L’explication de l’absence de systématisation, de diffusion des messages de sensibilisation sur les risques sismiques, par la présence de moins en moins d’organisations non gouvernementales (Ong) finançant ces communications, est donc tentante, poursuit le professeur, spécialiste en communication éducative.

Le manque ou carrément l’absence de ces messages dans la programmation des radios serait explicable également par la « tendance à confiner la réalité haïtienne aux acteurs politiques vedettes » et « à un manque de volonté manifeste », en adéquation avec la recherche systématique du gain.

Sans parler du « suivisme », qui s’impose également dans le champ médiatique et qui aboutit à une uniformisation des contenus.

Ce qui laisse peu de place à la créativité et à la production adaptée.

Cependant, à en croire Sony Estéus, directeur de la Société d’animation et de communication sociale (Saks, en Créole), les 45 radios communautaires et partenaires de l’institution programment et diffusent régulièrement des communications sensibilisatrices.

A l’occasion des 4 ans, depuis qu’un tremblement de terre a fait pleurer la population haïtienne - en tuant plus de 300 mille compatriotes - et que, désormais, la date du 12 janvier rythme la vie des Haïtiennes et Haïtiens, l’engagement citoyen des médias - à « conscientiser, avertir et promouvoir le changement de comportement » - devrait faire l’objet de débats dans les médias. [efd gp apr 12/01/2014 09:00]