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Haïti-Séisme/4 ans : Faire le deuil des proches disparus, un cap difficile

Par Emmanuel Marino Bruno

P-au-P, 11 janv. 2014 [AlterPresse] --- « Jusqu’à présent, ma mère n’arrive pas à s’adapter, parce qu’à chaque fois qu’elle voit un ami de mon frère défunt, elle pleure », témoigne Nadège François à AlterPresse.

Nadège François a perdu son frère aîné Elicson Jean-Jacques lors du tremblement de terre du 12 janvier 2010. Son corps n’a jamais été retrouvé.

Au début de cette perte, la famille a pris beaucoup de temps pour s’améliorer mentalement, confie Nadège, dans cette interview accordée à AlterPresse.

Pour soulager sa peine, elle confie s’être mise régulièrement à prier « Dieu », notamment dans les moments d’angoisse.

« Des fidèles de l’église, que fréquentait mon frère, sont venus prier avec la famille et nous prodiguer conseils pendant plusieurs mois », relate-t-elle.

Après le séisme, Nadège François se rappelle avoir visité plusieurs hôpitaux de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, à la recherche du cadavre de son frère, mais sans succès.

Processus complexe, mais nécessaire, le deuil a été une traversée difficile, pour beaucoup de survivantes et survivants du tremblement de terre du 12 janvier 2010.

Une traversée, encore plus difficile pour celles et ceux, dont des proches, sont toujours portés disparus, quatre ans plus tard.

L’espoir de revoir les proches disparus, un blocage pour faire le deuil

« Quand la personne est portée disparue, tu vis toujours dans l’espoir que cette personne est en vie », explique la légiste Dre. Jeanne Marjorie Joseph, coordonnatrice de l’Unité de recherche et d’action médico-légale (Uramel).

Si on avait permis aux gens d’identifier leurs proches disparus, pour pouvoir les enterrer dans la dignité, cela aurait contribué à leur faciliter le deuil, estime’t-elle.

D’un point de vue légal, on n’a pas résolu le problème de la disparition, lié au séisme du 12 janvier 2010, déplore Joseph, soulignant que la loi indique clairement comment cela devrait se faire pour une personne portée disparue.

« (Lors du séisme), rapidement, on pouvait former des équipes et aider les médecins à aller prendre les corps, les photographier. (…) On aurait dû identifier les endroits, où sont enterrés ces gens, et, au moment opportun, procéder même à l’examen des corps. C’était possible », pense la docteure légiste.

Processus de deuil et problèmes mentaux

L’évolution du deuil se repartit en sept étapes : le choc, le déni, l’expression des émotions, la prise en charge des tâches reliées au deuil, la recherche d’un sens, l’échange mutuel des pardons et l’héritage, considère le prêtre catholique romain (Congrégation Les Oblats) et psychologue québécois, Jean Monbourquette (1933 - 2011).

Ces étapes indiquées permettraient d’évaluer l’évolution d’un deuil normal ou de détecter les retards et les blocages d’un deuil pathologique.

Il peut y avoir une anomalie dans la façon, dont la victime traverse les étapes dans un deuil compliqué, qui est susceptible de devenir pathologique, insiste Yves Erick Saint-Juste, titulaire haïtien d’une maîtrise en psychologie clinique.

Imprévisible et incontrôlable, le tremblement de terre du 12 janvier 2010, ayant occasionné 300 mille morts, autant de blessés et plus de 1,5 million de sans-abris, a été traumatique pour les victimes.

Le Centre psycho-trauma d’Haïti de l’Uramel a, uniquement, conduit, depuis le séisme, plus de 17 mille séances de thérapies pour 3 mille 869 individus, selon des chiffres fournis par l’institution.

« Les structures de l’État ont été insuffisantes pour répondre aux besoins psychologiques suite au tremblement de terre du 12 janvier 2010 », relève, pour sa part, le licencié haïtien en psychologie, Wesly François, constatant jusqu’à présent une carence en prise en charge psychologique sur le territoire d’Haïti.

A l’occasion du quatrième anniversaire du tremblement de terre, l’Uramel préconise un accompagnement non seulement psychologique, mais aussi matériel, auprès des personnes qui le nécessitent, notamment les personnes sinistrées.

L’Uramel appelle aussi à la prévention, surtout en ce qui concerne le respect des normes de construction, pour continuer à encourager l’élan de solidarité manifesté par les Haïtiennes et Haïtiens le 12 janvier 2010, dans le cadre d’un devoir de mémoire plus que nécessaire.

Durant la période du quatrième anniversaire du tremblement de terre de janvier 2010, l’Uramel offre au public, à Port-au-Prince, des séances de prise en charge psycho-sociale. [emb kft rc apr 11/01/2014 1:00]