Par Jn Anil Louis-Juste [1]
Soumis à AlterPresse le 5 aout 2004
I.- Problématique.-
Notre population est jeune : plus de la moitié des Haïtiens n’ont pas encore atteint 25 ans. Ils se développent dans une société en crise : l’emploi est très rare (30% environ) ; l’éducation est souvent inaccessible : « 54% des enfants de 15 ans et plus déclarent savoir lire et écrire [2] ». Un consensus politique tarde encore à être atteint après 200 ans d’Indépendance [3], et l’économie haïtienne est très chancelante. Au niveau culturel, nous sommes toujours dépendants.
C’est dans ce contexte que le bachelier haïtien va tenter sa chance d’être admis à l’Université. L’Université étant l’école supérieure où l’on forme des professionnels et chercheurs, et où l’on préserve la culture nationale, comment des adolescents haïtiens vivent-ils l’expérience universitaire ? Quelle est la position du jeune universitaire haïtien dans la crise sociale actuelle ? Ce questionnement va nous permettre d’aborder l’étude de la relation jeunesse/université/société à partir des mouvements suivants : économie et culture, histoire et société, jeunesse et société. Les pratiques éducatives haïtiennes vont servir de cadres d’illustration de ces relations.
II.- Histoire de la formation sociale haïtienne
Nous sommes un peuple qui a connu l’expérience de l’esclavage. Nos ancêtres ont dû lutter pour devenir indépendants. Vivre libre ou mourir a été le cri de guerre lancé à la face du monde dit civilisé pour clamer la volonté de jouir pleinement de leur liberté.
Ils ont expérimenté la liberté concrète dans la culture des places-à -vivres concédées en 1680, par les planteurs de Saint-Domingue qui luttèrent contre les colonialistes métropolitains dans la répartition des richesses produites dans la colonie. L’expérience de liberté des soldats cultivateurs de 1793, s’accompagnait de l’appropriation familiale des produits récoltés sur les places-à -vivres ; la propriété familiale est au cœur du mode de reproduction sociale dans la campagne.
Les règlements de culture de Toussaint Louverture, tel par exemple celui pris en mai 1801 et interdisant aux notaires de passer des actes de vente de moins de 50 carreaux de terre, et d’astreindre les soldats cultivateurs aux travaux des plantations sous prétexte de faire prospérer la colonie devenue autonome, ont sacrifié le projet de libération de ces travailleurs. Et le 25 novembre de la même année, il empêcha légalement les soldats cultivateurs de déménager d’une habitation à l’autre. Le Code Rural qui réunit plus tard, l’ensemble des politiques agraires de Louverture, n’a fait que lutter contre les pratiques de liberté instaurées à partir des lopins de terre concédées par les planteurs de Saint-Domingue. L’orientation extravertie de l’économie haïtienne fondée sur la culture de denrées et leur exportation, a créé un marché que contrôle la reproduction du capital au détriment de la reproduction sociale dans la paysannerie.
Le développement des luttes sociales a donné naissance dès l’abord, à deux classes sociales fondamentales en Haïti : celle qui a accaparé l’objet de travail qu’est la terre, à savoir le grandon, et celle qui travaille directement la terre : le paysan. Etant donné la relation privilégiée de la première avec le marché capitaliste, elle noue des rapports d’alliance avec les commerçants du bord de mer, comme par exemple dans la spéculation de denrées et la circulation des produits manufacturés. Le paysan remit alors en vigueur, la stratégie du marronnage pour se reproduire dans les lacous qu’il a créés. La puissance du marché organisé par l’Etat, a défait cette stratégie de survie jusqu’à l’épuisement des réserves naturelles dont l’exploitation d’une infime partie [4] permettait l’amélioration du revenu agricole [5].
La propriété familiale, - selon l’IHSI, le ménage agricole-type est établi sur 2 parcelles de 0,77 carreau chacune [6] - qui supporte la petite production marchande du paysan, devient alors une propriété simplement formelle, puisque le marché fixe, par son mécanisme de prix, le revenu familial. La première occupation étatsunisienne du pays allait diminuer l’élan vers ce type de propriété, par le déguerpissement et l’implantation des exploitations agricoles capitalistes dans le pays. Du même coup, la centralisation politique et la concentration économique se produisirent en faveur de la capitale. Les provinces perdirent leur autonomie, et la ville prit sa revanche sur la campagne au niveau politique : les grandons féodaux devinrent incapables d’imposer leur gouvernement. La petite-bourgeoisie intellectuelle s’allia alors aux nouveaux maîtres de l’économie.
L’exploitation et la domination que subit le paysan, s’accompagne d’une discrimination culturelle : les premières écoles haïtiennes furent créées dans les villes et à l’intention des enfants de ceux qui avaient rendu service à la patrie. L’école rurale ne fut fondée qu’en 1859, et sous la première occupation, elle devint une ferme-école pour marquer son rapport intime avec le type d’agriculture que l’occupant voulait promouvoir chez nous. C’est pourquoi d’ailleurs, son administration fut confiée au Département de l’Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement Rural, tandis que l’enseignement urbain était placé sous l’autorité du Département de l’Instruction Publique. On a dû attendre jusqu’en 1940 pour penser à la nécessité d’alphabétiser des ruraux et fonder l’Office National d’Education Communautaire, qui deviendra l’ONAAC en 1960,. Pourtant, jusqu’en 1932, seul le travail du paysan contribue à la constitution de l’assiette financière de l’Etat. Et les dettes de l’Etat étaient garanties par la production caféière !
L’éducation scolaire a été refusée aux couches majoritaires de la population, pour mieux asseoir l’hégémonie des élites. Cette hégémonisation conservatrice a abouti à la dépendance quasi totale du pays. De nos jours, même notre alimentation dépend de l’importation et de l’aide alimentaire. Des étrangers d’origine libanaise et syrienne, alliés à des autochtones qui se sont enrichis dans l’appauvrissement des paysans, contrôlent le commerce, la sous-traitance et la finance ; ils n’ont que faire du développement industriel du pays. Et la nouvelle donne néo-libérale agit en leur faveur.
La formation sociale haïtienne est construite dans l’inégalité et l’injustice sociales. Des paysans victimes migrent ou émigrent. Selon l’IHSI, 80% des actifs occupés sont des migrants, et 60% des chômeurs sont des migrants (p. 62). En termes qualitatifs, la majorité des ouvriers et ouvrières de l’industrie de la sous-traitance et les petits marchands et marchandes qui jonchent les rues du Centre-ville, sont originaires de la paysannerie. Tant à la campagne que dans la ville, le métabolisme social du capital structure l’organisation de leur travail et de leur vie. Et toute la politique scolaire de nos gouvernements est basée sur la reproduction élargie du capital qui subordonne la petite production marchande des paysans. La discrimination culturelle participe donc de la domination de la société par le grand capital étranger.
Au départ, c’est-à -dire dès 1860, les écoles supérieures étaient destinées à des enfants de la bourgeoisie et de la bureaucratie haïtiennes. Avec la fondation de l’Université d’Haïti, en 1944, le profil social des étudiants n’avait pas changé. Il a fallu la caporalisation de l’UH sous le règne de François Duvalier pour que des enfants issus des couches populaires aient accès parrainé à l’enseignement supérieur. L’exode rural et la baisse de la barrière scolaire semblent être aussi à l’origine du phénomène. Le contact avec la ville a modifié en quelque sorte, les comportements du migrant ou du paysan par rapport à l’éducation, au point que de nos jours, toute la stratégie de la reproduction sociale de la famille paysanne est fondée sur le développement physico-intellectuel, aussi élevé que possible, de l’un des siens.
III.- Economie et Culture
Au départ, l’économie comme sphère de production, de distribution et de consommation de biens et services, est une activité humaine créatrice de culture. Karl Marx, dans le Capital, a fait ressortir la relation : le travail est le premier acte humain. Pour satisfaire ses besoins, l’homme a conçu le projet d’extraire de la nature, les matières nécessaires, et à l’aide d’outils qu’il a fabriqués, il arrive à donner à ces matières, des formes utiles à la reproduction de sa vie. Par ainsi, il a transformé la nature et s’est produit lui-même. L’échange entre l’homme et la nature est établi par la médiation du travail [7]. Le travail est donc à l’origine de la production de la culture. « Les premières manifestations de la culture sont nées à partir de l’interaction de la téléologie ou finalité de l’acte de transformation, et de la causalité ou potentialité contenue dans la nature. Mais, ces éléments culturels ont besoin d’être transmis et renouvelés pour la survie de l’espèce. En ce sens, l’éducation poursuit l’acte de transformation de la nature à travers la science, et la technologie, et reproduit l’institution sociale historiquement créée à partir de l’appropriation privée des richesses [socialement] produites [8] . »
Quand l’école n’était pas encore inventée, la transmission de culture d’une génération à l’autre, s’opérait sur le tas, c’est-à -dire dans les expériences de travail. Mais, avec le développement de la division sociale du travail et la fondation de l’école, le travail créateur s’est scindé en travail manuel et travail intellectuel. Dès lors, la tendance dominante devient la séparation théorie/pratique dans le processus d’enseignement-apprentissage. On peut être instruit sans aucune référence aux pratiques quotidiennes qui structurent sa vie réelle.
Par contre, ce développement de la culture agit sur la production en perfectionnant les outils de travail pour augmenter la productivité de ce dernier. Autrement dit, si dès l’abord, le travail crée la culture, celle-ci devient par la suite autonome et influence du même coup, l’organisation du travail et de la vie. C’est dans ce contexte que l’Université symbolise le haut lieu de production culturelle qui peut contribuer significativement à améliorer ou à transformer une société. En étudiant la nature de l’université, un auteur brésilien du nom de Dermeval Saviani, a fait ressortir la simultanéité entre la production matérielle et la construction spirituelle : « Dans le processus de production de son existence, les hommes produisent simultanément et en action réciproque, les conditions matérielles (agriculture, industrie, travail productif en général) et les formes spirituelles (idées et institutions) qui se structurent organiquement de manière à constituer la société concrète . [9] »
Le travail productif en vue de la reproduction sociale, crée la culture et celle-ci, à son tour, agit sur l’économie grâce à la création de nouvelles technologies, dans les sociétés modernes. Ce qu’on appelle la Révolution industrielle, n’est autre que l’application de nouvelles connaissances scientifiques naturelles dans le domaine de la production. Une révolution culturelle avait donc préparé la transformation des modes de production antérieurs. En Haïti, l’économie semble rester peu développée, parce que le développement de la culture n’a pas été encouragé à travers l’histoire du pays. De plus notre université est fondée en déconnexion d’avec les problématiques sociales et technologiques de l’espace, même si elle « synthétise l’historique, le sociologique, le philosophique, l’économique, le culturel, en un mot, la réalité humaine dans son ensemble [10]. » Autrement dit, elle a été créée pour reproduire la discrimination culturelle, la dépendance socio-culturelle et l’inégalité sociale. Maintenant que beaucoup plus de jeunes ont accès à l’éducation scolaire et universitaire, ne leur incombe-t-il pas d’agir pour la transformation des structures de production archaïques du pays ?
IV.- Jeunesse et Université en Haïti
La mise en question et le désir de changement caractérisent la jeunesse. L’adolescence conçue comme période de préparation à la vie active, ne se vit pas sans heurts : le jeune s’identifie davantage à ses camarades qu’à sa famille. Cette interaction est le point de départ de la révolte contre la socialisation formelle. L’incertitude qui caractérise l’adolescence, fait peur à la bureaucratie chargée de reproduire les générations pour la conservation de la société. Les disciplines humaines abordent cette incertitude comme le fait de confusions qui peuplent l’univers mental des jeunes, alors qu’elle exprime une caractéristique distinctive de l’homme comme être inachevé et en quête constante de nouvelles solutions.
En Haïti, la jeunesse universitaire peut signifier la couche politique contestataire de la société : en 1929, au cri de Vive la Jeunesse et A Bas Freeman, les jeunes universitaires de Damien [11] ont défait le gouvernement de Borno et préparé la désoccupation militaire du pays ; en 1946, avec l’aide des lycéens, ils ont mis à plat, la dictature mulâtriste de Lescot. En 1986, les jeunes contestataires ont déchouqué le dictateur Jean-Claude Duvalier, et plus près de nous, en 2004, le mouvement « Grenn nan Bounda [12] » a eu gain de cause de la machine de répression chimérisée mise en place par Jean Bertrand Aristide.
C’est qu’à l’Université, on fait des expériences d’autonomie : le jeune universitaire est celui qui veut produire de nouvelles connaissances en mettant en question celles qui existaient déjà ; il n’est plus sous la dépendance d’un maître qui lui dicte ses devoirs. Il doit donner libre cours à sa créativité pour inventer de nouvelles solutions aux problèmes qu’il affronte présentement et projeter le mode de vie future de la société. N’était-ce l’éducation métaphysique qu’il a subie dans sa trajectoire scolaire, on retiendrait de lui, des actes essentiellement révolutionnaires.
L’université est, par contre, construite pour reproduire la société. Depuis sa création au Moyen-Age, elle était destinée à sauvegarder le régime de la féodalité fondé sur le droit divin. Aussi la théologie dominait-elle les connaissances enseignées. La défaite des Anciens a conditionné la réorganisation de l’université sur la base des mathématiques et des sciences naturelles. La physique prend le dessus sur la théologie et la métaphysique à partir des critères d’objectivité et de liberté, et les théories sociales vont naître sous le signe de ce positivisme transposé. La vie universitaire est donc conditionnée à la dominance théorique.
En ce sens, l’expérience universitaire se vit souvent comme un emprisonnement des jeunes à l’intérieur d’un champ clos de connaissances. La didactique de l’enseignement supérieur ne se différencie pas essentiellement de celle utilisée aux autres degrés de l’école. Le choix des textes et le mode d’évaluation, par exemple, ne font pas intervenir la participation des étudiants. Malgré tout, l’étudiant questionne et agit en fonction des questions posées.
La jeunesse haïtienne vient de vivre l’expérience baptisée Grenn nan bounda. Ce mouvement est né de la contestation de la volonté du président Aristide de mettre l’Université d’Etat d’Haïti sous sa coupe réglée [13]. Le 27 juillet 2002, il révoqua le Recteur Pierre Marie Paquiot et lui substitua un commissaire de facto appelé Charles Tardieu. Le 14 août, un petit groupe d’étudiants et de professeurs organisa un sit-in devant les locaux du ministère de l’éducation nationale pour exiger le retrait immédiat de cette mesure dictatoriale [14] ; le 22 août, à l’Ecole Normale Supérieure, des étudiants et professeurs, des membres d’organisations populaires et démocratiques ont été pris en ôtage par les sbires du président, dans l’objectif d’étouffer la manifestation dans l’œuf. Cette intimidation n’a pas empêché la grande manifestation de novembre 2002, qui a secoué le repos politique du gouvernement : désormais, des jeunes contestataires partagent la rue avec les manifestants soudoyés de Lavalas jusqu’au retrait de la mesure en janvier 2003.
Depuis lors, les partis politiques et la société dite civile ont repris confiance dans leur lutte contre la fraude électorale de mai 2000. Le groupe des 184 s’agite au pays, avec un contrat social prétendument nouveau. Après quelques caravanes à travers le pays, son leader, André Apaid Junior, avait organisé le 14 novembre 2003, un rassemblement au Champ de Mars (Port-au-Prince), pour exiger du régime lavalassien, le partage du pouvoir avec l’opposition politico-civile [15]. Des organisations étudiantes comme la Fédération des Etudiants Universitaires Haïtiens et l’Association Nationale des Etudiants Haïtiens par exemple, appuyaient ce mot d’ordre, tandis que la Coordination Inter-Facultés qui était utilisée pour orchestrer le scénario favorable à la re-tutellisation de l’UEH, soutenait la position intransigeante de Lavalas. Cette manifestation allait être dispersée par les bandes dénommées chimères, et cette répression contribuait à radicaliser la position des étudiants. Le 5 décembre 2004, Lavalas voulait répéter ses agissements du 22 août 2002 : très tôt, des chimères investissent la rue Christophe, à hauteur de la Fleur du Chêne ; ces contre-manifestants déclenchèrent les hostilités quand l’un d’entre eux tirait à bout portant, sur un groupe d’étudiants qui voulait ébranler le cortège. Un étudiant fut atteint, et les étudiants se barricadèrent alors derrière le portail de la Faculté des Sciences Humaines, pour riposter à l’aide de jets de pierre. Entre 9 heures et demi et 1 heure 45, des étudiants et sympathisants résistèrent farouchement à l’assaut des lavalassiens chimérisés. L’atmosphère était intenable quand le Premier Ministre d’alors avait convaincu le Recteur alors en conférence avec le ministre Marie Carmelle Austin [16], de se rendre à la FASCH pour constater le port d’armes [17] par des étudiants. Entre temps, le Corps d’Intervention et de Maintien de l’Ordre occupait le côté est du bâtiment. Quelques minutes après l’entrée de la délégation rectorale composée du Recteur et du Vice-Recteur, des détonations se firent entendre ; elles devinrent plus lourdes quand le Recteur et moi conversèrent avec un cadre du Secrétariat à la Sécurité Publique. Le Corps dénommé CIMO avait perforé le mur, et les chimères envahirent l’espace universitaire, matérialisant une autre fois, le viol de l’enceinte universitaire protégée par la Constitution de 1987. Les jambes du Recteur avaient été brisées à coups de barre de fer, des étudiants bastonnés et blessés et des matériels de la Faculté, saccagés et détruits.
Cette répression sauvage n’a pas su endormir la détermination des étudiants ni inquiéter leur bravoure. Au contraire, elle les a galvanisés et a révolté la conscience d’un grand nombre de la population qui désormais, accompagnait les étudiants dans leur marche. Le 1er janvier, le mouvement Grenn nan Bounda allait perdre son autonomie quand le groupe des 184 avait réussi à coopter le Comité de Coordination des Etudiants, qui accepta d’invstir les rues sous la direction de André Apaid Junior. La Faculté des Sciences Humaines perdit alors l’initiative de la lutte, jusqu’au renversement du pouvoir, précipité par la révolte des partisans du régime aux Gonaïves dès l’assassinat de Armiot Métayer [18] et, le 5 février 2003, par l’entrée en scène planifiée en haut lieu, de Guy Philippe [19] et de ses lieutenants dits anciens membres des Forces Armées d’Haïti. Des alliances de facto allèrent renverser le pouvoir le 29 février 2004.
Qu’on le veuille ou non, l’éducation comporte une dimension politique non négligeable. La formation est orientée dans un sens ou dans l’autre : l’école prépare à la vie et conditionne la reproduction de la société. Cette orientation pédagogico-politique peut être inversée pour créer la possibilité d’émergence de groupes de jeunes révolutionnaires. De même la réalité socio-politique ou l’école de la vie peuvent mettre en question la vie de l’école. Dans la société haïtienne en crise, des étudiants connaissent la faim, le dénuement, la maladie, etc. La « question sociale » du pays les interpelle aussi. Dans la pratique de discussions libres, il arrive qu’ils posent des questions sur l’origine de ces problèmes sociaux, et leur mode d’approche conditionne leur style de révolte. Les mouvements d’étudiants qui arrivent pas à renverser des gouvernements en Haïti, ne posent pas la question de prise insurrectionnelle du pouvoir et celle de la transformation révolutionnaire de la société. Le plus souvent, ce sont des mouvements spontanés qui parviennent à mobiliser un grand nombre de la population, mais ils ne sont pas connectés organiquement aux couches majoritaires de celle-ci. Ces mouvements pratiquent concrètement la séparation théorique que l’éducation institue entre le mouvement social et le mouvement politique.
Depuis longtemps, la jeunesse universitaire haïtienne a toujours joué son rôle politique actif [20]. Aujourd’hui, il est impérieux de se poser la question à savoir, pourquoi la jeunesse haïtienne rate encore la possibilité de développer la science, la culture et la technologie en Haïti, donc d’impulser le développement économico-social du pays ? En attendant l’ouverture des débats, il serait intéressant d’indiquer des éléments de compréhension suivants :
la pédagogie haïtienne est orientée vers des réalités étrangères aux pratiques quotidiennes de la population ;
la perception de branches d’activités techniques est biaisée à partir de la discrimination culturelle subie par les pourvoyeurs de budgets nationaux, à savoir les paysans ;
le profil de citoyens et professionnels à former, est étranger à la philosophie de liberté pleine ébauchée par l’action révolutionnaire des masses de soldats cultivateurs ;
la domination idéologico-politique instaurée par les gouvernements en éloignant les masses de l’espace scolaire, réduit considérablement la possibilité de développer les forces productives du pays.
Jn Anil Louis-Juste
3 août 2004.
* Texte de conférence préparé par Jn Anil Louis-Juste, à l’intention du groupe dénommé « Cellule de Renouvellement pour le Développement Durable » (CRDD) de Carrefour (7 août 2004).
[1] Professeur à l’Universitè d’Etat d’Haiti
[2] Enquête sur les conditons de vie en Haïti, IHSI, MEF, 2003, p. 70.
[3] On peut s’en rendre compte dans la crise qui éclate entre les membres du Conseil Electoral Provisoire : ces petits-bourgeois ne peuvent pas s’entendre sur le rôle que leur a assigné le grand capital dans la reproduction politique du servo-capitalisme haïtien ; ils s’entredéchirent pour faire bénéficier à leurs protégés, le maximum de gains possibles dans la République des Consultants (ils sont grassement payés à la Primature : 8000 dollars US le mois ; et les ministères sont invités à réquisitionner la quantité de consultants dont ils ont besoin pour faire fonctionner la bureaucratie ministérielle) que le gouvernement Latortue-Alexandre est en train d’institutionnaliser en Haïti. L’opinion publique prône la sérénité et l’unité dans le conflit, et stigmatise la division comme si cette dernière n’est pas le fait de toute société classiste. Par ailleurs, cette opinion semble oublier que le comportement de nos chers conseillers traduit la représentation qu’ils ont eue du pays depuis leur éducation scolaire et familiale. La coopération et la solidarité ne sont pas des caractéristiques de notre système d’éducation. La crise au sein du Conseil est donc le prolongement de la crise sociale haïtienne née de l’injustice agraire et de l’inégalité des échanges, et qui se développe dans la dépendance politico-culturelle de la Nation.
[4] La politique de concession forestière inaugurée sous le gouvernement de Fabre Nicolas Geffrard, a bénéficié surtout à des étrangers et nationaux bien souchés. Cette politique agraire est à l’origine de l’exploitation irrationnelle de nos sols, la vocation pédologique n’ étant pas respectée.
[5] Selon l’IHSI, il est de l’ordre de 3750 gourdes par an.
[6] Selon toute vraisemblance, cette information traduit la réalité d’une minorité de paysans, puisque l’accès à la terre reste et demeure une revendication paysanne. En témoignent les occupations de terre à Verrettes (Bas Artibonite) et dans le Nord’Ouest, par des organisations paysannes dénommées Mouvement de Revendication de Petits Paysans de Verrettes et Tèt Kole Ti Peyizan.
[7] Karl Marx in le Capital, pp. 180-181.
[8] Jn Anil Louis-Juste, in De la crise de l’Education à l’éducation de la Crise, p.58.
[9] Dermeval Saviani in Do senso comum à consciência filosófica, p. 73.
[10] Dermeval Saviani, op.cit., cité par Jn Anil Louis Juste in « Université et Citoyenneté », titre de conférence prononcée à la FASCH en octobre 2003, p. 2).
[11] Banlieue de la Capitale haïtienne.
[12] C’est le cri de guerre de jeunes universitaires haïtiens qui se lancèrent à l’assaut de la forteresse dictatoriale de Jean Bertrand Aristide. Ce nom symbolise la mise en mouvement de l’énergie et de l’intrépidité pour vaincre la peur et la torpeur.
[13] Le dictateur pariait sous ce contrôle idéologico-politique pour renouveler la couche de ses partisans lettrés.
[14] Depuis le 21 février 1997, un protocole d’accord signé entre le ministre Jacques Edouard Alexis et des doyens de faculté, matérialisa la consécration constitutionnelle de l’autonomie de l’UEH qui est régie par un Rectorat élu placé sous l’autorité du Conseil de l’Université. Ce protocole baptisé Dispositions transitoires, voulait combler le vide légal constaté depuis la caducité du décret de 1960.
[15] Des groupes d’anciens membres des Forces Armées d’Haïti, tristement célèbres, s’agitèrent à Pernal (localité de Belladère, Bas Plateau Central) contre le régime, en y commettant régulièrement des actes de sabotage.
[16] Il faut noter qu’elle jouait un rôle actif dans la prise en ôtage du Rectorat en juillet 2002 par le groupe de la CIF. Des journalistes avaient constaté le va-et-vient de son véhicule immatriculé officiellement, qui transportait des sacs de couchage d’occasion, à l’intention des « grévistes de la faim ». Marie Carmelle Austin occupait alors la fonction de Directrice générale au Ministère de la Condition féminine.
[17] Un chimère fut atteint d’un projectile en voulant prendre d’assaut le portail dela FASCH.
[18] Il était un partisan zélé du régime aux Gonaïves ; sous la direction des ministres du gouvernement et des cadres de Lafanmi Lavalas, il y organisa la répression de l’opposition le 17 décembre 2001. Pressé par l’OEA, le gouvernement était obligé de le jeter en prison jusqu’à son évasion en plein jour, par des commandos qui démolissaient des murs de la prison des Casernes Toussaint Louverture, le 2 août 2002. La Justice haïtienne, toujours contrôlée par l’Exécutif, était impuissante devant les demandes politiques de réincarcération du tout-puissant chef de chimères, et le Palais National a conçu le plan de l’éliminer physiquement, lequel plan a été exécuté le 22 juin 2003 par un certain Odonel Paul que l’on n’a jamis revu depuis.
[19] Il est l’un des hommes disgraciés par Lavalas. Commissaire de Police à Delmas, il participait activement à l’organisation des élections frauduleuses de mai 2000. Mais, pour des raisons non encore élucidées, le régime l’avait écarté en lui donnant la chance de prendre l’exil. Mis en résidence surveillée en République dominicaine depuis la tentative de coup d’Etat de décembre 2002, il allait pouvoir traverser en toute quiétude, la frontière nord’est du pays, en compagnie de ses soldats bien équipés.
[20] On doit particulièrement penser à l’UNEH qui organisa la lutte contre la macoutisation de la société et de l’université en 1960, et à la FENEH qui était le fer de lance de la revendication d’autonomie universitaire. C’est l’ensemble de ces luttes qui permettent d’espérer l’entrée non-pistonnée à l’UEH.