Jean-Claude Bajeux *
Texte relancé par le Comité Devoir de Mémoire à l’occasion des 49 ans de l’exécution des deux jeunes du mouvement Jeune Haïti
Repris par AlterPresse
"Heureux ceux qui sont morts d’une mort solennelle"
Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre.’’
Charles Péguy
Dans la matinée du 12 novembre 1964, contre le mur nord-ouest du cimetière
de Port-au-Prince, deux jeunes, originaires de la Grande-Anse, Louis Drouin et Marcel Numa
tombaient sous les balles d’un peloton d’exécution des Forces Armées d’Haïti. Des centaines
d’écoliers amenés sur ordre de François Duvalier ont assisté à l’exécution dont le film sera repassé
tout au long de la semaine par l’unique station de télévision de Port-au-Prince.
DROUIN et NUMA appartenaient au mouvement JEUNE HAITI, qui regroupait plus
d’une centaine de jeunes, militant contre la dictature. Cette organisation avait déjà participé à
plusieurs tentatives d’invasion à partir de la République Dominicaine, au cours de l’année 1963.
Après le renversement de Bosch (sept. 1963) et la mort de Kennedy (novembre 1963), la
plupart s’étaient établis aux Etats-Unis et au Canada.
Le 27 juin 1964, l’année de la présidence à vie, le groupe de Fred Baptiste et de
Gérard Lafontant, FARH avait débarqué près de Saltrou. JEUNE HAITI décida alors
d’organiser une expédition de renforcement. C’est ainsi que le 5 août 1964, un commando de
JEUNE HAITI débarque à la Petite Rivière de Dame-Marie. Quelques jours plus tard, le
cyclone Cléo dévaste la presqu’ile du Sud. Ils avaient promis de tenir un mois dans la
perpective de débarquements ultérieurs. Ils tiendront trois mois, infligeant de lourdes pertes à
l’armée d’Haïti au cours de diverses affrontements qui les opposèrent aux 3000 hommes de
troupe envoyés de Port-au-Prince. Numa et Drouin seront faits prisonniers et transportés à
Port-au-Prince sur un bateau des Garde-Cötes.
Les trois derniers, Rigaud, Villedrouin et Jourdan seront tués dans la zone de l’Asile, à
Ravine Roche, le 26 octobre, après un périple de près de 200 kilomètres.
Ce groupe de JEUNE HAITI, connu pour l’histoire comme ’’LE GROUPE DES TREIZE’’
était composé de : Jacques Armand, son frère Max Armand, Gérald Brière, Mirko Chandler,
Louis Drouin, Charles-Henri Forbin, Jean Gerdès, Réginald Jourdan, Yvan Laraque, Marcel
Numa, Roland Rigaud, Guslé Villedrouin, Jacques Wadestrandt.
Ce sont des figures exemplaires qui illustrent l’histoire de la résistance de segments
entiers de la société haïtienne à la dictature des Duvalier. Histoire qui n’a pas encore été écrite,
où toutes les couches de la société haïtienne se sont rencontrées dans les antichambres
de torture et de mort.
En ce 12 novembre, 37ème* anniversaire de l’exécution de Marcel Numa et Louis Drouin,
il convient de rappeler la part éminente que la jeunesse de ce pays a occupée dans le refus
de l’humiliation et de l’oppression des 29 ans de dictature duvaliérienne.
Dans son livre Papa Doc, Bernard Diederich a commenté en ces termes l’action de ces
jeunes de 1964 : ’’ils sont allés au combat en vue d’un objectif précis portés par leur foi en
l’avènement d’une nouvelle société dans leur patrie.’’
Au moment où notre pays s’enfonce dans une crise morale majeure marquée par la
corruption, le mépris de la vie humaine manifesté dans les lynchages collectifs et des
exécutions sommaires, le Centre Œcuménique des Droits Humains demande à tous les
citoyens tentés par le découragement de méditer la geste héroïque de ces jeunes
qui sont allés au combat en 1964.
……………
* Ce texte a été écrit en 2001 pour le 37ème anniversaire de l’exécution de Marcel Numa et Louis Drouin
A écouter : https://soundcloud.com/user289622855/devoir-de-memoire-12-nov-1