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Littérature d’Haiti et littératures de langue française

Par Jean Wilder Pierresaint

P-au-P., 30 oct. 2013 [AlterPresse] --- Ateliers de lecture, conférences-débats, rencontres ont été organisés pour saluer la consécration de l’écrivain mauricien Amal au Sethoual, prix des cinq continents pour son roman « Made in Mauritirius ». La remise de ce prix a eu lieu, pour la première fois en Haïti, à Port-au-Prince, le 24 octobre dernier. En marge de cette cérémonie, l’institut Français en Haïti a invité des écrivains à réfléchir sur un thème qui nous interpelle : La littérature haïtienne face aux littératures de langue française.

Le jardin de l’Institut a accueilli le vendredi 23 octobre 2013 une des nombreuses rencontres organisées dans le cadre de la remise du prix des cinq continents. Sur le panel de cette rencontre, se sont retrouvés plusieurs écrivains de la génération montante : Marvin Victor, James Noël, Bonel Auguste et Marckenzy Orcel. Madame Corinne Miccaelli directrice de L’IFH a introduit d’entrée de jeu les deux modérateurs de cette rencontre autour du prix des cinq continents, Lyonel Trouillot et Lise Gauvin.

Pour ouvrir le débat, Lise Gauvin a lancé une question aux panelistes liée à leur préférence en matière d’auteur. Tour à tour, les auteurs se sont prêtés volontiers à cet exercice. Pour James Noël, les auteurs qui nourrissent son imaginaire et l’inspirent sont : l’écrivain portugais Fernado Pesora, et bien d’autres. L’auteur du « Sang visible du vitrier » dit être nourri d’imaginaires multiples. L’auteur de « Corps mêlés », Marvin Victor, qui surprend et fait rire toute l’assistance quand il dit avoir été cleptomane parce qu’il volait les livres de la bibliothèque de l’Institut a une certaine époque, préfère l’écrivain italien Milan Kundera. Marvin dit aussi aimer croiser les imaginaires dans ses lectures. Le poète Bonel Auguste est plus dans l’ancrage, si l’on tient compte de ses préférences, de René Philoctète à Baudelaire, malgré son amour pour l’écriture de la japonaise Yogo Agawe. Mackenzy Orcel se démarque de cette question pour dire qu’il n’a pas de préférence en termes d’auteurs ; il lit de tout et s’imprègne d’imaginaires divers.

Lise Gauvin revient avec un autre thème beaucoup plus pertinent : « Les grandes tendances de la littérature haïtienne ». Pour James Noël contrairement à la France qui subit la dictature du Roman, ici, en Haïti, le genre ne s’achète pas. Les gens achètent de préférence les auteurs. Marvin Victor surfe sur des thèmes tels : la mer, la littérature, la femme. La réponse de Mackenzy Orcel est toujours particulière ; il dit ne pas vouloir répondre à ces questions, marque de fabrique des journalistes étrangers qui les posent à tort et à travers. A ces questions, il leur recommande la lecture des textes classiques de la littérature haïtienne, comme ceux de Jacques Stephen Alexis, de Jacques Roumain et tant d’autres. Bonel Auguste enchaîne pour parler de la prédominance de la poésie dans la littérature, en expliquant qu’il ya plus de poète que de médecins, et même que de lecteurs. « Il ya quelque part un comportement de non reconnaissance de certaines valeurs au niveau littéraire », regrette l’auteur du recueil de poèmes « Fas doub lanmò ». N’était-ce l’intervention de Lyonel Trouillot qui a rassemblé certains des textes poétiques de Philoctète pour en faire une anthologie sous le titre « Des iles qui marchent », cet auteur majeur de la littérature haïtienne n’aurait pas traversé les frontières. Lyonel Trouillot, membre du jury de l’édition 2013 du prix des cinq continents, intervient pour parler de la dominance dans la littérature d’expression créole, caractérisée par un discours revendicatif, moins consistant en langue française, ce qu’il appelle « un glissement d’insuffisance et de sens ».

Bonel Auguste rebondit pour parler de la « belle langue » qui caractérise identité de l’écrivain haïtien. Le concept a fait le tour de la table. Lyonel reprend le concept de « belle langue » et le définit comme la possibilité qu’a l’écrivain de dire : « je suis texte littéraire ». Les panelistes estiment que la littérature progresse vers une littérature de deux langues.

La modératrice Lise Gauvin, seule au milieu des écrivains après le départ de Lyonel Trouillot, lance le thème de la responsabilité sociale de l’écrivain, une question qui revient régulièrement dans des débats littéraire. L’auteur des « Immortelles » pense qu’il y a lieu de faire la différence entre un citoyen et un écrivain. L’écrivain n’est pas obligé de s’engager, mais le citoyen oui. Pour l’auteur de « Un cri lola », Bonel Auguste, l’écrivain peut s’engager ; il cite en exemple Jaques Roumain et Jacques S. Alexis qui sont des modèles d’engagement dans la littérature haïtienne. L’auteur de « Pyromane adolescent » pour sa part rejette le thème d’engagement ; il estime que le concept est trop galvaudé et préfère s’appeler écrivain enragé. James Noel lance alors une boutade qui fait pouffer de rire l’assistance en avouant qu’il vient d’avoir une fille il ya quelques semaines, et que ceci relève de l’engagement.

Finies les interventions des écrivains, place aux questions de l’assistance. La première, traditionnelle dans son contenu, abordait la question de la précarité dans le domaine de la littérature d’expression créole. Les auteurs, tout en concédant ce manque, affirment qu’il y a quand même des auteurs qui écrivent dans les deux langues : le créole et le français. Ils ont citée des auteurs en exemples, parmi lesquels Bonel Auguste et James Noel. L’assistance a également soulevé la question du manque de traduction des textes du français au créole. Les écrivains se sont partiellement déresponsabilisés en pointant du doigt les traducteurs qui ne jouent pas leur rôle à ce niveau-là. Ils ont quand même cité des textes importants qui ont été traduits du français au créole par des écrivains : « Le Petit Prince » (Ti prens la) de St-Exupery traduit par Gary Victor, « L’étranger » d’Albert Camus par Guy Régis Junior pour ne citer que ces derniers. Un débat somme toute intéressant. [jwp ts gp apr 30/10/2013 22 :00]