Par Edwin Paraison *
Soumis à AlterPresse le 28 octobre 2013
La décision du gouvernement dominicain d’appuyer l’arrêt 168-13 de la Cour Constitutionnelle, dépouillant de leur nationalité des dominicains d’origine étrangère, ouvre une crise de la plus grande envergure entre la République dominicaine et Haïti, depuis les rapatriements massifs de feu le président Balaguer, dénoncés au sein de l’ONU par le président Jean Bertrand Aristide, en 1991.
C’est ce qui ressort d’un communiqué du Ministère des Haïtiens vivant à l’étranger (MHAVE), qui déplore cette action et s’engage à « utiliser tous les moyens politiques, diplomatiques et juridiques disponibles afin d’amener les autorités dominicaines à reconsidérer leur décision ou pour en limiter les conséquences désastreuses ».
Ce communiqué paraît motivé par certaines attentes créées après des échanges avec la partie dominicaine, qui laissaient apercevoir une alternative de protection de la jouissance de la nationalité des dominicains membres de la diaspora haïtienne. L’organisme ministériel affirme que la position dominicaine est contraire aux conversations qui ont eu lieu entre des fonctionnaires diplomatiques des deux gouvernements.
Il est opportun de préciser, pour éviter toute confusion et manipulation, qu’à l’égal du Conseil des Dominicains de l’extérieur (CONDEX), créé en janvier 2008, le MHAVE, créé en octobre 1994, est le pont entre le pays d’origine et la diaspora haïtienne. Celle-ci est formée des émigrants et de leurs descendants, aujourd’hui nationaux de plusieurs pays dans le monde. C’est ce qui explique et justifie la participation du gouvernement haïtien dans cette affaire. Le CONDEX dont le président est le Chef de l’état, agirait de même si c’était des membres de la diaspora dominicaine qui se trouvaient dans cette situation.
Certainement, le changement radical de conduite du gouvernement dominicain a surpris la partie haïtienne. Vu que durant les démarches diplomatiques initiées à Port-au-Prince avec l’ambassade dominicaine, sans cesser de souligner l’indépendance des pouvoirs, cette dernière paraissait prendre une distance par rapport a l’arrêt de la Cour Constitutionnelle. En ce sens, était apparue la possibilité d’une formule ou d’un mécanisme de solution à l’impasse.
La même position a été maintenue par la mission diplomatique au moment de recevoir des représentants de la classe politique ou de la société civile haïtienne lors de manifestations ou des actes de rejet contre un arrêt qui affecte plus de 210 000 dominicains d’ascendance haïtienne.
Le noble geste du président Danilo Medina de présenter des excuses à ceux à qui il a assuré être ses compatriotes, s’engageant à chercher une alternative humanitaire à leur situation, a également été reçu de façon positive en Haïti.
Néanmoins, par l’impact médiatique international dudit arrêt et sous la pression de l’opinion publique interne, la chancellerie haïtienne, outre de partager ses inquiétudes avec le gouvernement dominicain, l’a fait avec les alliés d’ Haïti de la région de la Caraïbe et de l’Amérique du Sud. De là, l’opposition issue du sein même de la Cour Constitutionnelle avec deux votes dissidents, s’est répétée de la part de plusieurs gouvernements caraïbéens et du CARICOM.
Le message du Premier Ministre des îles Saint-Vincent et Grenadines, Ralph Gonzalves, dans une correspondance adressée au Chef de l’État dominicain, ne pourrait être plus clair : « Assurément, cette décision de la cour est inacceptable dans quelque société civilisée que ce soit. C’est un affront à toutes les normes internationales établies et à l’humanité élémentaire, et menace de faire de la République dominicaine un paria régional et mondial ».
Le Chef du gouvernement caribéen ne s’est pas contenté de simples paroles ; il a ordonné à sa mission permanente à Washington de solliciter une session ordinaire du Conseil permanent de l’Organisation des États Américains (OEA) sur l’arrêt, session fixée au mardi 29 octobre.
De leur côté, au moins dix personnalités dominicaines remarquables, des juristes, d’anciens et actuels fonctionnaires, incluant la députée Minou Tavarez, présidente de la Commission des Affaires extérieures de la Chambre basse, ont signalé que la scène internationale sera le lieu où se débattra cette affaire, prévoyant une déroute légale de la République dominicaine.
Il faut préciser que les personnes affectées et ceux qui les accompagnent ont le droit d’utiliser tous les moyens pacifiques et démocratiques pour défendre leurs positions sans être catalogués de traîtres à la patrie ou de diffamateurs comme le font déjà certains en République Dominicaine.
Il faut se rappeler qu’en septembre 2005, l’État dominicain avait été condamné dans la cause connue sous l’appellation Yean-Boussicot, devant la Cour Interaméricaine des Droits humains (CIDH), cause pour laquelle il a satisfait partiellement à un verdict considéré comme inaliénable. Le même qu’aujourd’hui il viole dans plusieurs clauses de l’arrêt de la Cour Constitutionnelle.
De 1991 à 2013, se sont écoulés 22 ans sans que les dirigeants des deux pays, depuis la dernière crise qui a refroidi les relations bilatérales en rapport à la problématique migratoire, aient montré la volonté politique d’aborder dans la transparence et avec objectivité le sujet principal de discorde dans l’agenda dominico-haïtien.
Les alliances électorales et politiques basées sur l’anti-haïtianisme depuis 1996, renforcées durant trois mandats présidentiels, ont créé de profondes contradictions dans l’agir dominicain face à Haïti. Elles constituent le soutien d’une politique d’état qui se traduit dans l’arrêt de la Cour Constitutionnelle, défendu aujourd’hui par le gouvernement dominicain. Cela malgré la preuve de la violation, par l’arrêt, de pas moins de 15 articles de la constitution et des principaux instruments internationaux de Droits de l’Homme souscrits par la République dominicaine.
Toutefois, la sortie humanitaire n’a pas encore été écartée. Il est évident que cette conceptualisation ne correspond pas à la réalité des faits, l’affaire étant fondamentalement de droits humains. On assume que c’est une façon pour l’Exécutif d’éviter d’affronter directement ceux qui ont imposé l’ordonnance aberrante de la Cour Constitutionnelle.
De plus, contrairement aux délais fixés a la Junte Électorale Centrale de remettre un rapport de l’impact de l’application de l’arrêt dans un mois alors que le Conseil national de l’immigration a soixante jours pour élaborer le plan de régularisation des étrangers, il n’a pas été déterminé jusqu’à maintenant dans combien de temps et de quelle façon se fera la sortie humanitaire.
Il est urgent de promouvoir le dialogue inter-dominicain en incluant la diaspora haïtienne locale et de débuter les démarches diplomatiques appropriées pour concrétiser l’alternative « humanitaire » ou quelque autre qui puisse sauver la situation.
…………
* Directeur exécutif de la Fondation Zile
Traduit de l’espagnol par Serge Baguidy-Gilbert / Fondation Zile Canada