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Haïti : Raoul Peck, l’éveil des consciences par le cinéma

Par Samora Chalmers

P-au-P., 11 oct. 2013 [AlterPresse] --- Raoul Peck, réalisateur, scénariste et producteur affirme « croire profondément au changement et à l’éveil des consciences par le cinéma », lors d’une semaine de rétrospective de ses films à Port-au-Prince.

Dans le cadre de cette semaine, qui s’est tenue du 30 septembre au 4 octobre à la Fondation Connaissance et Liberté (FOKAL), le cinéaste s’est ouvert au public afin de partager sa « vision du réel ».

L’initiative de cette rétrospective a été prise par la FOKAL en partenariat avec Velvet Film, compagnie de production cinématographique de Raoul Peck, internationalement reconnue grâce a des productions de qualité et des films de sujets historiques marquants. La compagnie a treize films a son actif dont Lumumba, la mort du prophète (1991) et Haïti le silence des chiens (1994).

Sept films de Peck ont été projetés dont cinq documentaires et deux fictions. Parmi ces réalisations figure l’Ecole du pouvoir, réalisé en 2007, qui met en lumière la désillusion de plusieurs énarques (étudiants de la prestigieuse Ecole Nationale d’Administration Française) face à la réalité de la politique et du pouvoir sous le premier mandat présidentiel de François Mitterrand en France (1981-1988).

L’intégralité de ce téléfilm a été montrée le mercredi 2 octobre de 14 :00 à 20 :00. A la clôture, le réalisateur s’est livré à un débat « Autour de la projection » et aussi de sa vision de la société et du cinéma.

Un réalisateur engagé

Raoul Peck veut capter la « vérité » : tel est son objectif principal à partir de rencontres enrichissantes et porteuses d’un regard critique sur l’histoire, la politique et l’art qui traversent ses œuvres. Il explique que son engagement citoyen passe par la position politique de ses créations.

Le réalisateur évoque son expérience au pouvoir, en tant que Ministre de la Culture en Haïti de 1995 à 1997 où il aurait vécu une expérience similaire que les personnages. Ce vécu assez rare, artiste-ministre, lui a donné la volonté de raconter une autre histoire.

Le cinéaste invite à repenser le système politique qui met trop souvent le travail de la démocratie à plat. La démocratie doit être recyclée. Le film incite à aller plus loin dans les réflexions face au désintéressement des électeurs et à un pouvoir qui prend des airs d’autoritarisme.

Militance pour que l’Histoire ne perde pas la mémoire

Art et politique, se nouent pour inviter à la réflexion mais surtout à l’action. Les films de Raoul Peck, sont basés sur des recherches, des entretiens, des témoignages pour préserver cette part de réalité essentielle aux sujets traités. Il cite des entretiens avec la famille et même certains assassins de Lumumba et plus d’une centaine d’entretiens avec des énarques. Pour lui, il n’y a pas de contradictions entre l’art et la politique, l’essentiel est le contenu, l’impact des films.

Le public composé principalement de jeunes journalistes, de photographes et de cinéphiles, n’a pas arrêté de faire des interventions sur l’état actuel du cinéma en Haïti. Pays, pratiquement vierge en cinématographie alors que tant de sujets, périodes historiques, personnages sont à traiter, découvrir, redécouvrir.

D’après Peck la nouvelle génération à oublié ce qu’est la « peur » sous la dictature et le film L’Homme sous les quais est un témoignage important. Il insiste sur la nécessité de préserver notre mémoire et d’utiliser d’autres matériaux, d’autres supports que les livres.

Le public a interrogé le cinéaste sur son approche dans la réalisation du film Assistance mortelle (2013). Il explique qu’il voulait montrer les structures, les rapports de forces qui existent dans l’aide humanitaire, que l’on ne perçoit pas toujours. Il indique aussi avoir voulu dénoncé la stigmatisation « des aidés » en Etat faible et corrompu, basé sur une idéologie qu’il faut remettre en question.

Et, le cinéma en Haïti ?

Raoul Peck, dit se percevoir comme un réalisateur haïtien avant tout et traduit ses préoccupations sur la situation du cinéma haïtien aujourd’hui. Il situe les problèmes de production et de diffusion dans un contexte mondial marqué par la réduction des subventions, la fermeture d’un nombre élevé de salles de projections.

Cependant, il tire la sonnette d’alarme sur l’absence de salles de cinéma en Haïti, avec le constat des cinémas fermées depuis 2009 à Port-au-Prince tels que Imperial et Capitol.

Il a aussi fait remarquer les avancées en prenant en compte la programmation de projections à Fokal, à Garden Studio, et le projet de réhabilitation du Rex et du Triomphe au Champ de Mars. Il insiste tout de même sur le fait que les espaces de projections restent trop rares et pas assez exploités.

Le réalisateur a aussi souligné que la production locale, est de qualité très faible ce qui témoigne de la nécessité de former et de structurer le secteur, tout en favorisant sans cesse les créations de sorte à dynamiser le secteur et profiter des nouvelles technologies numériques qui révolutionnent les projections. Il salue dans cette optique l’ouverture de Ciné Institute basé à Jacmel, en tant qu’école de formation et de production cinématographique.

Peck met également l’accent sur le fait qu’il est important de créer un circuit économique bien organisé avec des salles commercialement viables pour le cinéma haïtien. [sc ts gp apr 11/10/2013 16 :00]