Par Leslie Péan*
Soumis à AlterPresse le 5 octobre 2013
La rentrée tardive qui frappe le système scolaire haïtien pour une troisième année consécutive est une malédiction qui demande un exorcisme, une calamité qui exige une neuvaine. C’est ce que Leslie Péan nous propose avec la série de neuf articles dont la publication a commencé le 2 octobre.
4e jour de la neuvaine
La presse est divisée. Les journaux Le Matin, La Phalange et Le Soir appuient les positions du CEM, tandis que Le Nouvelliste est critique à l’endroit de ce gouvernement qui, à son avis, ne respecte pas les libertés démocratiques. Quand aux journaux de gauche tels que La Nation, La Ruche, Le Réveil, ils condamnent le CEM sans hésiter. Dans cette conjoncture, la propagande noiriste a beau jeu. La campagne publicitaire est faite avec les cosmétiques classiques que sont les stéréotypes identitaires bien connus. Comme Michel Foucault [1] nous l’apprend, l’exercice du pouvoir n’est jamais seul et s’accompagne toujours d’un mode de production du savoir. Les noiristes du Front Révolutionnaire Haïtien (FRH) font circuler le tract suivant dont l’ambassadeur américain Orme Wilson [2] s’empresse d’envoyer un exemplaire au Département d’État et à la Central Intelligence Agency (CIA) afin que ses supérieurs hiérarchiques puissent bien mesurer l’état des lieux :
L’heure est grave. La bourgeoisie mulâtre, battue à l’urne par les leaders noirs, essaye de jeter le pays dans le trouble et l’anarchie. À la faveur du désordre, elle espère perpétuer son système de pillage, d’assassinat et de refoulement des noirs. Elle n’hésite même pas à faire appel à l’Etranger. Les Duvigneaud, les Max Hudicourt, les René Auguste, les TOM, ligués contre le peuple, entreprennent des manœuvres machiavéliques contre la Nation. Peuple, debout ! Défendez votre victoire. Retournez-vous contre eux et s’il le faut, qu’ils payent dans le sang leurs criminelles tentatives de vous maintenir dans la misère et l’ignorance. C’est l’heure du suprême assaut. La grève que les bourgeois mulâtres veulent déclencher est dirigée contre vous et les vôtres. Ne marchez pas. Attendez les mots d’ordre de vos authentiques leaders, vos grands chefs noirs. Restez calmes, mais prêts à vous jeter, furieux, contre le mulâtre criminel, contre ses scandaleuses richesses, ses villas opulentes, ses femmes et ses filles arrogantes et prétentieuses. Tout cela est le fruit de vos misères. Préparez-vous à défendre les Chambres Législatives où vos frères sont en écrasante majorité. La victoire doit nous rester. Nous sommes décidés à la maintenir, même au prix du sang. Vive la cause des noirs qui est celle du peuple !
Le lendemain 28 mai 1946, La Nation publie le message suivant de Max L. Hudicourt adressé au CEM.
Nous réclamons la mise en liberté des citoyens incarcérés. C’est leur droit de constituer tout groupement politique. Le CDN a réclamé, en plein exercice des libertés démocratiques essentielles à la vie d’un peuple : l’annulation des élections, l’effacement du CEM, la constitution d’un Gouvernement civil provisoire. Le CEM a immédiatement recouru aux méthodes classiques de la dictature. Il a établi la loi martiale, institué des cours martiales pour le jugement sommaire des citoyens, rétabli le couvre-feu, prohibé toute réunion. Le fait de constituer un groupement politique et de publier un manifeste dûment signé en faisant appel à la Grève ne saurait constituer un complot attentatoire à la sureté de l’État. Nous protestons avec la plus grande fermeté contre le caractère dictatorial du Communiqué et réitérons au peuple haïtien notre décision de défendre les libertés publiques conquises en janvier dernier et que prétend supprimer le CEM. Nous requérons la lise ne liberté des citoyens arrêtés et réclamons le retrait de la loi martiale.
Max L. Hudicourt [3]
Anthony Lespès étant en prison, c’est Max Sam, en tant que secrétaire général du PSP par intérim, qui présente la position officielle du parti. Condamnant les arrestations et les révocations des citoyens, réprouvant le fait que depuis cinq jours un couvre-feu établi de 8 heures p.m. à 5 heures a.m. représente un obstacle aux activités légitimes commerciales et autres, Max Sam écrit :
« Le Parti Socialiste Populaire estimant que le Peuple qui a brisé en Janvier dernier les chaînes de la servitude ne peut accepter l’opprobre d’un nouveau régime despotique, fait appel : aux syndicats ouvriers et professionnels, à la Fédération des Etudiants, à la Fédération des Ecoles, aux professeurs d’Université, à la Chambre de Commerce d’Haïti, au Barreau de Port-au-Prince et des autres villes de la République ; aux fonctionnaires de l’Administration Publique, au Corps Médical, à l’Association des Ingénieurs et Architectes haïtiens, aux différentes associations culturelles du pays, aux femmes haïtiennes et à toutes les personnalités sincèrement et courageusement attachées à la cause de la Démocratie, pour qu’ils adressent des pétitions au Comité Exécutif Militaire demandant le retour immédiat aux normes démocratiques [4]. »
D’autres membres et personnalités démocratiques liés au PSP signent des requêtes similaires adressées au CEM. C’est le cas avec Georges E. Rigaud, Alphonse Henriquez, Georges J. Petit, Fernand Sterlin, etc. Le dispositif de répressions des militaires aura toutefois pour effet de rallier la gauche d’Anthony Lespès à celle de Jacques Stephen Alexis, les deux se retrouvant dans les cachots du Fort Dimanche, prisonniers des militaires du CEM appuyés par les noiristes du FRH.
La défaite électorale ouvre de nouvelles perspectives, et le PSP est loin d’abandonner le combat. Au contraire, il reste sur le terrain pour combattre la droite réactionnaire en dénonçant les exactions et pour contribuer à changer le paysage politique par des analyses, des idées nouvelles et d’autres initiatives. Le PSP comprend que le plus important est d’isoler l’extrême-droite en faisant alliance avec tous ceux qui sont conscients de la nécessité de changer les choses en Haïti. C’est dans ce contexte que La Nation reproduit en première page, sur trois colonnes, l’article publié dans son journal Le Justicier par le sénateur Alphonse Henriquez sous le titre « Plus d’élections Présidentielles par 58 macaques ».
« Il faut qu’Haïti fasse peau neuve et pour cela qu’il y ait un chambardement général dans les concepts politiques, les concepts sociaux, les concepts administratifs et juridiques. Et c’est pour cela que nous refusons à laisser élire le Premier Magistrat de la République, par 58 macaques qui, au jour des élections présidentielles, s’achètent comme des bœufs au marché. …… Pour finir, nous répétons que nous sommes partisan du système de l’élection présidentielle par le suffrage direct, parce qu’il met fin aux fraudes et corruptions qui ont jusqu’ici présidé à ce grand événement politique. Nous sommes partisan de ce système parce qu’il est appelé à faire l’éducation politique du peuple qu’il intéressera désormais à ses affaires, dont son ignorance crasse l’a tenu jusqu’ici éloigné. Nous sommes partisan de ce système parce qu’il est enfin le seul qui offre à la Nation le maximum de garantie. Vive donc le suffrage direct et plus d’élections présidentielles par 58 macaques, qu’ils soient prolétaires ou bourgeois [5]. »
La maturité du PSP et la pondération de ses militants contrastent autant avec les positions extrémistes exprimées par les jeunes du mouvement La Ruche que par le Parti Communiste d’Haïti (PCH) qui appuient le CEM. Toutefois, il importe de souligner que les jeunes de la faction radicale de La Ruche, animée par Théodore Baker et Gérard Martelly, respectivement directeur et rédacteur de La Ruche, ne mâchent pas leurs mots dans cette manchette du 27 juillet 1946 : « Ecrasons Dumarsais Estimé » [6]. Contrairement à ceux de La Nouvelle Ruche, et en voulant garder l’avancée sociale réalisée par la jeunesse qui a fait partir Lescot en recourant à la grève, Théodore Baker écrit une lettre ouverte à Dumarsais Estimé. Le verbe est lié à l’acte avec la compétence qui descend dans la rue.
Refusant de laisser les noiristes vider le mouvement de 1946 de sa substance, Baker écrit à Dumarsais Estimé : « Vous avez soutenu Vincent. Vous avez soutenu Lescot. Vous ne pouvez pas soutenir la révolution qui a été faite contre Vincent et Lescot ……. Vous avez fait quelque chose de pire encore. Avec votre argent et avec celui que vous prêteront les bourgeois mulâtres et les bourgeois noirs, vous avez déjà Dumarsais Estimé, acheté bien des consciences. Vous avez corrompu bien de jeunes hommes. J’ai bien peur que vous ne corrompiez tout le pays. … …. Je vous combats Dumarsais Estimé, bourgeois noir comme je combats Fombrun et Duvigneaud, bourgeois mulâtres [7]. » Dans la campagne présidentielle pour les élections du 16 août 1946, Gérard Martelly explique pourquoi la population cherchant le changement ne saurait voter pour Dumarsais Estimé qui a pactisé avec les gouvernements de Vincent et Lescot [8]. Expliquant qu’ils n’ont aucun candidat, car refusant toute compromission, Martelly et Baker écrivent : « Notre mot d’ordre est celui-ci : "Il faut combattre les hommes de l’ancien régime." C’est pour cette raison que nous combattons Estimé, la doublure la plus authentique du régime Vincent-Lescot. Il faut combattre Dumarsais Estimé pour défendre la Révolution et sauver Haïti [9]. »
Le PSP devient la plaque tournante de l’organisation progressiste après le 26 avril 1947, suite à la décision du Parti Communiste d’Haïti (PCH) de se dissoudre, soit disant pour ne pas embarrasser le gouvernement du président Estimé. Cette décision de se faire hara-kiri est d’autant plus surprenante qu’un mois auparavant, c’est-à-dire le 11 mars 1947, le PCH a publié le tract suivant :
Quartier général du Parti Communiste d’Haïti
Appel au Peuple Haïtien
Peuple !
En présence des manœuvres abjectes, criminelles et désespérées de vos éternels ennemis,
En présence de la clameur sans cesse grandissante et de plus en plus impudente des valets stipendiés de la bourgeoisie fasciste et anti-syndicale,
En présence de la trahison de la classe bourgeoise haïtienne, qui dans ses journaux immondes : Le Matin, La Nation, Le Nouvelliste, Le Soir, Le Justicier, La Phalange, ne cesse de faire appel à l’étranger pour une nouvelle intervention comme en 1915 dans les affaires intérieures de la Patrie de Dessalines,
En présence de la campagne de mensonges ourdie par les suppôts du régime de Lescot contre un Gouvernement qui protège vos syndicats et qui a instauré le régime le plus démocratique que le pays ait jamais connu,
En présence des tractations de la bourgeoisie qui, d’accord avec l’étranger, veut créer un climat d’insécurité et se servir ensuite de vous pour vous lancer dans la plus absurde des aventures afin de reprendre le pouvoir,
Le Parti Communiste d’Haïti, conscient de son rôle d’avant-garde des intérêts du peuple,
Demande à la classe ouvrière, à tous les syndicats de ne pas se laisser tromper par cette propagande malhonnête et anti-patriotique de nos ennemis bourgeois,
Demande aux masse laborieuses de conserver leur sang-froid et de faire confiance au Gouvernement du Président Estimé qui est le meilleur que nous ayons jamais eu, et qui lutte courageusement, au milieu de grandes difficultés, pour défendre vos intérêts, et assurer un avenir meilleur à vos enfants !
Peuple, debout pour la défense de vos intérêts de classes laborieuses, de vos libertés démocratiques, de vos syndicats !
Si la bourgeoisie parvenait à l’emporter dans cette dure bataille, c’en serait fait pour longtemps encore de toutes vos libertés démocratiques !
Signé : Bureau Politique du Parti Communiste d’Haïti
Félix Dorléans Juste Constant, Secrétaire Général
Edriss St. Amand, Secrétaire
Odnell David, Gérard Montasse, Juvigny Leroy, Nerva Alexandre
Alors, le PSP va contribuer à l’éclosion d’une seconde génération de militants qui prêteront main forte aux fondateurs pour imprimer un nouveau cours à la pensée et à la pratique politiques en Haïti. Les plus importants de cette nouvelle génération sont Ernest Coulanges, Roger Frérel Léonard, Hubert Legros, Francis Vulcain, René Jean-Michel, Philippe D. Thybulle, Victor Vabre, Arnold Duplessis, Jean Eugène, Andrée Roumer, Gérard Nau, Jean L. Dominique, Gérard Pierre-Charles, Hammerton Killick, J. Maurice Oriol ; Jacques Élie, etc. Nombre de ces militant appartiennent aussi, à Port-au-Prince, Pétionville, Jérémie, Jacmel, etc., aux sections de l’organisation Jeunesse Progressiste Populaire (JPP), autre sigle qui sera dévoyé 60 ans plus tard avec le Jan’l Pase’l Pase. Également le PSP a contribué à la formation de militants ouvriers tels que René Jean-Michel, Marc Pierre, Marcel Léonard, Eric M. Lemaire, Saint Justin Charleston, etc.
Le PSP et la question de couleur
L’exercice du pouvoir en Haïti a toujours été associé à une forme de biopolitique depuis l’indépendance. Les images stéréotypées découlant du racisme colonial esclavagiste présentent les Noirs comme des objets à qui tous les droits sont niés. Les sujets étaient les Blancs, et tous les non-Blancs étaient des choses. La subjectivité des non-Blancs a été affectée par une idéologie qui, en perpétuant l’hystérie raciste avec un classement des couleurs de peau, a continué à irriguer le corps social et l’imaginaire. Tout compte fait, cela a eu pour effet de rationaliser l’exclusion de la majorité de la population en prétendant que les Noirs n’ont ni culture ni civilisation. Thèse raciste réfutée par Anthony Lespès, secrétaire général du PSP, qui explique comment tous les peuples, en commençant par les Egyptiens, Sumériens, Babyloniens, Hittites, Assyriens, Chaldéens, Perses, Arabes, Grecs, etc., ont contribué à la civilisation universelle [10].
Le dispositif biopolitique haïtien (mulâtrisme et noirisme) est avant tout un dispositif de pouvoir servant à manipuler la population pour arriver à une gestion du corps social favorable aux intérêts des puissants. En dépit de la décennie (1793-1806) de pouvoir noir de Toussaint Louverture et de Dessalines, le mulâtrisme a pu s ‘imposer grâce au quasi-monopole de la richesse matérielle et de l’instruction acquis sous le régime français. Une situation qui provoque une subjectivité noiriste aussi maladive que le mulâtrisme. Là où cette dernière idéologie voyait dans les Noirs le péril social, c’est le raisonnement contraire qui s’applique avec le noirisme pour les mulâtres à partir de 1946. Exit santé mentale. Haïti se retrouve aux prises avec la même médaille raciste aux deux faces exprimant chacune un élément de ce mode de subjectivation que Jacky Dahomay [11] nomme des « formes d’irresponsabilité » et qui font tourbillonner les sujets sur eux-mêmes en allant vers le bas.
Les succédanés du racisme blanc en Haïti nés des rapports sociaux et économiques hérités de Saint-Domingue ont propulsé des rapports juridiques masquant plus ou moins les rapports de pouvoir qui se dont développés entre les catégories, groupes et classes sociales. Anthony Lespès, a analysé la mécanique du dispositif biopolitique haïtien (mulâtrisme et noirisme) qui a pour objectif de bloquer le changement. Dans les premiers jours qui suivent le succès de la grève et la fuite de Lescot, Lespès écrit :
« La Révolution démocratique est en train d’être sabotée, sabotée au dedans, sabotée au dehors, sabotée par ses amis, sabotée par ses ennemis. Elle dévore ses enfants, mange ses propres entrailles. Encore un coup et nous aurons la contre-révolution et la réaction fasciste la plus violente qui soit [12]. »
La même réaction est observée chez Max Sam, qui combat la psychologie de la peur engendrée dans les milieux mulâtres peu après la chute de Lescot par la rumeur prétendant que « quatre mille machettes ont été distribuées aux gens du Bel-Air, de La Saline, de Morne-à-Tuf et de la Croix-des-Bouquets qui allaient organiser le massacre des mulâtres [13]. » L’hystérie règne dans la subjectivité des mulâtres qui se sentent livrés à l’insécurité. La hantise de la destruction est dans les consciences avec une palette d’exigences et de KOURI (des mouvements de foule) frisant la paranoïa. Max Sam écrit :
« J’ai rencontré une jeune dame, cheveux aux vent, les bras au ciel qui m’annonça que son mari commerçant était en danger parce que les Cacos étaient aux portes de la ville. Plus loin, une jeune fille, les larmes aux yeux, me demanda de la protéger contre une attaque éventuelle des noirs. J’eus toutes les peines du monde à calmer les appréhensions de ces dames [14]. »
L’agitation de la question de couleur par les noiristes n’a pas pour objectifs de distiller la peur et l’effroi dans le camp des mulâtres. Il s’agit surtout de dire que le pouvoir politique doit revenir aux Noirs. Le PSP critique cette vision coloriste de la réalité en rejetant les formes classiques de la pensée raciste haïtienne. Vision catastrophiste critiquée en ces termes par Regnor C. Bernard, du PSP :
« Aujourd’hui, nous nous croyons le droit de parler, de crier, de protester contre tous ces opportunistes indécents, contre tous ces défenseurs improvisés du peuple qui se targuent de leur seule pigmentation pour essayer d’escamoter la confiance haïtienne. Nous avons toujours eu le courage de dénoncer tous les exploiteurs, toutes les crapules à quelque classe qu’ils appartiennent et quelle que soit la couleur de leur peau. Tous ces chacals qui n’ont aujourd’hui à la bouche que les mots de " défense des intérêts du peuple ", où étaient-ils quand les pouvoirs trahissaient les intérêts de ce peuple, quand le gouvernement d’oppression et de contrebande de Messieurs Lescot-Rouzier assassinaient la masse ? Où étaient-ils quand la SHADA ravageait les campagnes haïtiennes et jetait aux abois les paysans dépossédés et maltraités ? Où étaient-ils quand une Chambre asservie, un Parlement domestiqué et soudoyé, prolongeait indécemment en faveur d’un dictateur arrogant et cynique, un mandat illégal ? Qu’ont-ils jamais fait, qu’ont-ils jamais dit ces "Haïtiens authentiques" qui aujourd’hui hurlent sut tous les tons comme des chiens à la curée ? Où étaient-ils tous ces défenseurs intéressés du peuple et qu’avaient-ils fait à ces minutes où il y avait quelque chose à exposer et des injustices contre lesquelles il y avait à protester ? Ils se taisaient tout simplement alors lâchement, criminellement. Et même dans l’ombre acceptaient les reliefs que leur jetait un gouvernement qui avait le pied solidement posé sur la poitrine de leurs frères maltraités ou méprisés [15]. »
Loin de toute incohérence, l’attelage du PSP a toujours su défaire les actions négatives du major Antoine Levelt (Mulâtre) contre le démocrate Georges Rigaud (Mulâtre), de même que les complots ourdis contre le peuple par le même major Antoine Levelt avec son compère le major Paul Magloire (Noir). Le PSP est resté saint d’esprit à un moment où la folie des luttes de couleurs avait envahi la classe politique. Face à l’irrationalité galopante, le PSP jettera une lumière différente sur la réalité en proposant une grille d’analyse indépassable pour interpréter le moment présent.
« Les classes privilégiées utilisent l’héritage culturel européen comme technique de domination pour rationaliser leur position sociale vis-à-vis des classes opprimées, exactement de la même façon que les nations privilégiées s’en servent pour dominer et subjuguer les peuples faibles. La domination culturelle sur le plan national, et l’utilisation de tous les biais imaginables pour justifier cette domination, doivent être fondamentalement expliquées par le caractère immoral des rapports économiques entre les classes avancées et les groupes arriérés. Cette domination ne peut en aucune manière être la conséquence d’une prétendue supériorité de l’épiderme ou même ethnique (?), supériorité qui n’est en somme qu’un instrument pour rationaliser le caractère agressif de la jugulation économique. [16] »
(à suivre)
…………..
Économiste, écrivain
[1] Michel Foucault, Surveiller et punir, Gallimard, 1975 ; Michel Foucault, La volonté de savoir, (Histoire de la sexualité I), Gallimard, 1976.
[2] Orme Wilson, « Haitian Political Situation », Confidential, State Department File, USNA, Doc. 838.00/5-3046, May 30, 1946
[3] La Nation, 28 mai 1946, p. 1
[4] « Pour la défense de la Démocratie – Appel du PSP », La Nation, 3 juin 1946, p. 2.
[5] Sénateur Alphonse Henriquez, « Plus d’élections Présidentielles par 58 macaques », La Nation, numéro 466, 14 juin 1946, p. 1 et 4.
[6] « Ecrasons Dumarsais Estimé », La Ruche, numéro 28, 27 juillet 1946, p. 1.
[7] Théodore Baker, « Lettre ouverte à Dumarsais Estimé », La Ruche, no. 27, 16 juillet 1946, p. 3.
[8] Gérard Martelly, « Billet de la semaine », La Ruche, 1ère année, numéro 26, 6 juillet 1946.
[9] « Ecrasons Dumarsais Estimé », La Ruche, numéro 28, op. cit., p. 4.
[10] Anthony Lespès, « Enquête sur la culture », La Nation, 9 juillet 1948, p. 2.
[11] Jacky Dahomay, « Nos responsabilités face à ces monstres chimiques de nos pays devenus », Creoleways, 6 mai 2013.
[12] Anthony Lespès, « La révolution est en danger ! », La Nation, 26 janvier 1946, p. 1.
[13] Max Sam, « Hystérie », La Nation, 26 janvier 1946, p. 1.
[14] Ibid.
[15] Regnor C. Bernard, Projection, La Nation, 8 février 1946, p. 1
[16] Anthony Lespès, « Enquête sur la culture », La Nation, 21 et 22 juillet 1948, p. 4.