Par Ronald Colbert
Lascahobas (Haïti), 5 oct. 2013 [AlterPresse] --- Un nombre de 96 migrantes et migrants (dont 24 femmes et 1 enfant de 6 mois) de 6 mois ont été rapatriés de force, le vendredi 4 octobre 2013, à bord de deux véhicules, par le point frontalier de Belladère (Commendador / Elias Piña), rapportent à AlterPresse plusieurs des personnes victimes.
Cette opération de rapatriement survient une semaine après la décision de la cour constitutionnelle dominicaine (en date du 26 septembre 2013), exigeant la dénationalisation de centaines de milliers de Dominicaines et de Dominicains d’ascendance haïtienne depuis juin 1929.
Un contexte, susceptible de produire des rapatriements massifs vers Haïti ainsi que des actions de persécutions contre les Dominicaines et Dominicains à la peau noire et aussi contre les migrantes et migrants haïtiens, résidant sur le territoire dominicain, craignent les organismes nationaux de défense de droits humains.
Encore une fois, les personnes rapatriées du 4 octobre 2013 n’ont pu ni récupérer leurs biens, ni être présentées devant un juge. Elles n’ont pas été informées, non plus, du processus de leur rapatriement vers un point frontalier avec Haïti.
Elles ont passé plusieurs jours, pour la plupart, enfermées dans des cellules et dans des conditions dégradantes d’incarcération, avant de se voir « déverser » (telles des marchandises) au point frontalier de Belladère, comme si elles avaient commis des crimes sur le territoire voisin d’Haïti.
Les employeurs dominicains de beaucoup de ces personnes rapatriées ainsi que leurs parents et amis n’ont pas été touchés de la mesure prise à leur encontre.
« Des militaires dominicains étaient en train d’opérer une razzia dans les rues, du côte de Azua (Sud de la République Dominicaine). Apparemment, ils étaient à la recherche de sans papiers. Lorsqu’ils m’ont abordé, j’ai tiré de mon portefeuille ma cedula dominicana (ma pièce d’identification) que j’ai obtenue dans des conditions régulières. Sans aucune vérification, ils me l’ont arrachée des mains, puis l’ont détruite sous mes yeux. Face à mes protestations (j’ai crié « abus, injustice » …), ils m’ont menotté. Puis, ils m’ont laissé pendant 21 heures dans une cellule, les 2 mains contraintes par les bracelets de fer », raconte, la mort dans l’âme, l’un des rapatriés.
Âgé de 40 ans, cet homme, originaire du Plateau central, a montré les marques laissées par les colliers de fer près de ses poignets. Il signale éprouver encore, de temps à autre, des crampes douloureuses dans ses mains.
Il résidait depuis 3 ans en République Dominicaine. Sa cedula dominicaine devait expirer en février 2018.
« Moi aussi, je disposais d’une cedula dominicana. Les militaires dominicains m’ont embarqué de force … Ils se sont emparés de ma paire de tennis et de mes jeans. Pour toute nourriture, ils nous ont donné un bol de riz mal cuit », témoigne un autre rapatrié, originaire du Nord d’Haïti.
Après les avoir interceptées, les militaires dominicains les ont dépouillées de leur argent, de leurs chaussures, de leurs cellulaires, dénoncent ces personnes rapatriées.
Un nombre non précisé de ces travailleurs migrants disposaient de leurs passeports, au moment de leur arrestation. Mais, ni cedulas ni passeports n’ont été pris en considération par les militaires dominicains « en opération ».
Avec leur expulsion de force du territoire dominicain, ils affirment avoir laissé, de l’autre côte de la frontière, domiciles (contenant divers biens, y compris lits), des motocyclettes, des matériels électroménagers, des appareils de télévision, des cellulaires, ainsi que divers matériels acquis à la sueur de leur front.
« La présidence en Haïti ne veut plus de ressortissants haïtiens en République Dominicaine », déclaraient, en signe de provocation, les militaires dominicains qui procédaient à l’opération de rapatriement.
Il existe maintenant une situation de tension et de sentiments de haine (notamment véhiculés dans certaines stations de radio) contre les Haïtiens en différents endroits en République Dominicaine, signale l’un des rapatriés.
« Je suis chauffeur, de profession. Je circulais, sans problème, avec mon permis de conduire haïtien en République Dominicaine. Ils me l’ont confisqué avec l’argent et tout ce que j’avais dans mon portefeuille, en m’interpellant le dimanche 29 septembre 2013. Cela fait 3 ans que je travaillais dans la zone de Azua. Malgré les demandes de mon patron dominicain ainsi que d’une délégation de résidentes et résidents dominicains (du village où je vivais), venus réclamer ma libération, les militaires n’ont rien voulu entendre. Je ne mettrai plus les pieds là-bas. Ici en Haïti, certaines gens pensent que vous vivez la belle vie en République Dominicaine. Mais, la vie y est chère. Avec mille pesos, vous ressortez, avec très peu de biens, d’une épicerie sur le territoire voisin. Je ne conseille à personne d’aller tenter une expérience en République Dominicaine ».
Il faut des dispositions institutionnelles étatiques qui encouragent la création d’emplois durables, pour prévenir de tels affronts, vexations et humiliations, subis par les ressortissants haïtiens en République Dominicaine, préconisent la plupart des personnes rapatriées du 4 octobre 2013. [rc apr 05/10/2013 13:00]