Español English French Kwéyol

Haïti-Artisanat : Opportunité ratée

Par Chenald Augustin

P-au-P., 04 oct. 2013 [AlterPresse] --- La journée culturelle « Kilti m fè fyète m », une initiative de J’organise, s’est déroulée le samedi 28 septembre au Garden Studio, sans affluence de visiteurs, d’acheteurs, ni spectacle musical contrairement aux prévisions des organisateurs.

14 heures. Garden Studio, l’espace qui n’a rien d’un vrai jardin, hormis une haie de bambous, des arbustes, qui longent l’enclos le séparant de la maison d’à côté, une gingerbread un peu délaissée, et des arbres du voyageur, accueille la journée culturelle « Kilti m fè fyète m » (ma culture fait ma fierté) qui rassemble neuf exposants.

Cette mini-foire d’artisanat se baigne dans la musique du terroir (qui se propage des haut-parleurs installés). La thématique Haïti qui y prédomine contribue à rendre explicites les thèmes de culture, de tradition, d’identité sur lesquels les organisateurs mettent l’emphase.

Juste à l’entrée du Garden Studio, le flutiste et artisan Franck Vendryes vous accueille avec ses objets, dont certains font penser à l’artisanat oriental et asiatique. Des pièces impressionnantes, comme la pipe à eau, utilisée en Chine, au Japon, en Inde, au Moyen-Orient, et plus près de nous, à la Jamaïque. « C’est une pipe qui fonctionne avec de l’eau. Le liquide sert à refroidir la fumée du tabac et à purifier le tabac », explique le confectionneur. A son rayon, l’on peut voir d’autres objets de l’artisanat utilitaire, comme les lampes de nuit, les abat-jours en tige de bambou et tissus sur lesquels il dessine des motifs en couleur.

Il expose, entre autres, une lampe en forme pyramidale, appelée « tiji » (du nom d’un habitant indien). La pointe de la lampe est sertie d’une petite coquille de lambi. Des gants de toilette, des brosses de bain et toute une gamme de bijoux fantaisistes en plume de volaille et papier mâché ainsi que des miroirs aux encadrements en bambou décorent l’espace de Kalabam, l’atelier de Franck Vendryes. « Je travaille avec la matière locale à 80 %. Donc, je la privilégie aux intrants importés », nous confie-t-il avec fierté.

Ses proches voisines montent la garde derrière leurs tables où sont exposés des objets de décoration intérieure, de l’habillement (des sacs à dos). Chamback Pierre confectionne des nappes, des centres de table, des cache-verre et des vêtements pour adulte et enfant en crochet. Elle en est à sa deuxième foire, voire son exposition-vente collective. « J’expose depuis 1999. Mais pendant longtemps j’ai participé à des expos de salon, c’est-à-dire à circuit fermé », raconte-t-elle. Sur les tables contigües aux siennes, Zaboudi’Z collection montre ses sacs à dos en tissus aux motifs en perle qui ne sont pas loin d’évoquer des figures de vévé. Ses sacs sont magnifiquement arrangés sur des tabourets drapés. Certains sont accrochés à une penderie – faite pour la circonstance – exclusivement en bambou. Toute cette scénographie rend les objets attractifs, leur donnent de l’esthétique.

En face, le Rêve d’or de Clara qui présente son salon en tronc d’arbre et des sacs en pite où s’inscrit le nom « Haïti ». A côté, une artisane talentueuse : Gilberte Bouchereau. Elle crée des natures mortes, des fleurs, des marchandes ambulantes, des scènes de marché, de rara, et aussi d’horreur. Comme support, l’artisane recourt aux calebasses, aux tiges de palme, aux objets de récupération telles les bouteilles. Son matériau de prédilection est le sable de mer, qu’elle traite, purifie, mélange avec une colle spéciale (dont elle se garde de révéler le nom, car ça fait partie de sa technique). Ses œuvres sont ensuite coloriées en rouge, jaune, vert... Elle transforme tout ce qui lui tombe sous la main, tout ce qu’elle récupère et qui aurait menacé l’environnement. « Le ministère de l’Environnement, pense-t-elle, devrait m’encourager, m’accorder au moins une aide à ma création qui est présentée dans plusieurs pays. »

Au fond du Garden Studio, Marie Or Clermont occupe le plus grand rayon de l’exposition. Sa collection de bijoux (anneaux, boucles d’oreille, chaines) est en os et corne de bovins, en carcasse de coco, bois de cèdre ou en cuir. Sa variété de sandales en cuir est en macramé. Elle utilise aussi cette forme de création de tissu (basée sur la technique particulière de nœuds) dans la confection des tailleurs et chemisiers.

La journée culturelle « Kilti m fè fyète m » s’inscrit dans la volonté des organisateurs de valoriser l’artisanat et la tradition haïtienne. « Bien des aspect de nos arts traditionnels, de nos coutumes sont en passe de disparaître. Il y a une certaine méconnaissance, voire de l’ignorance chez nos jeunes qui connaissent par cœur les tubes de Beyoncé, qu’ils préfèrent à "Ayiti se" de Mika Ben », constate Djunelle Isidor, la manager de J’organise.

Cette agence de planification événementielle, de décoration intérieure et de tours opératoires a organisé en août dernier à Oasis une foire d’exposition à laquelle avaient participé la plupart des exposants de la journée « Kilti m fè fyète m ». A son initiative, s’est tenue au Boulevard des arts une soirée acoustique avec des jeunes artistes en herbe.

Tout le Garden Studio en ce samedi après-midi était clairsemé. La foule n’était pas au rendez-vous en dépit de la campagne médiatique et publicitaire que la manager de J’organise dit avoir réalisée. La plupart des stands d’exposition ont eu à peine quelques acheteurs et visiteurs. « Je n’ai eu aucun acheteur. Mes visiteurs étaient les exposants qui sont venus me féliciter pour mon travail », rapporte une exposante gardant l’anonymat.

La non-affluence d’acheteurs et de visiteurs est due au contexte de la réouverture des classes. « Les parents s’occupent plus de la rentrée que de ce genre d’événements. Le moment a été peut-être mal choisi », pense Franck Vendryes.

« L’artisanat est un secteur en crise, plaide l’artisan Vendryes, car la vente baisse considérablement. Il faut une prise en charge de l’artisanat au niveau de la promotion, de la formation. Il faut surtout trouver de nouveaux marchés pour les produits. Il est temps d’avoir une école d’artisanat, un cadre normatif et redynamiser ce secteur porteur de croissance. »

Les organisateurs de la foire n’ont pas réussi le pari de montrer beaucoup de nouveautés créatrices. Hormis les objets de Vendryes (ceux qui rappellent l’artisanat oriental), de très nombreux objets ne sortent pas de l’ordinaire.

Force est de constater l’absence de sens créateur, de la finesse, du chic, de l’art du beau (on pense à la mode) dans beaucoup d’objets. Les collections ne se renouvellent pas.

Les activités de jeux traditionnels (marelle, rafle au bocal), contrairement aux prévisions, n’ont pas été de la partie. Ce qui n’a pas donné à la journée l’aspect récréatif promis.

Cet événement (organisé sans sponsor) aurait pu être pour les artisans une opportunité de rencontrer le public, dont des acheteurs de leurs produits, qui témoignent de notre culture. Mais, pour diverses raisons évoquées, il a été une occasion manquée. [ca gp apr 04/10/2013 21 :00]