Par Emmanuel Marino Bruno
P-au-P, 4 oct. 2013 [AlterPresse] --- Il n’y a pas de feuille de route évidente dans les projets de reconstruction, mis en œuvre par l’État, alors que la résolution des problèmes de logements dans le pays passe par la mise en œuvre d’une claire politique nationale.
Tel est le constat du directeur exécutif du Centre de recherche, de réflexion, de formation et d’action sociale (Cerfas), le père jésuite catholique romain Kawas François, lors d’une journée de réflexion sur le logement, déroulée le vendredi 4 octobre 2013 et à laquelle a assisté l’agence en ligne AlterPresse.
Cette journée s’inscrit dans le cadre des activités du Groupe d’appui des rapatriés et réfugiés (Garr) pour attirer l’attention sur la journée mondiale de l’habitat, célébrée chaque année le premier lundi d’octobre (le lundi 7 octobre pour cette année 2013).
Au niveau de l’État, il n’existe pas de grands projets de construction de logements permanents en Haïti, souligne le Cerfas, déplorant une absence de stratégies cohérentes pour reloger, de manière décente et dans des maisons permanentes, les personnes déplacées après le tremblement de terre du 12 janvier 2010.
Les agences internationales ont préféré privilégier des abris provisoires.
Cerfas souhaite la mise en place d’une politique de crédits et de subvention pour les familles modestes, afin qu’elles puissent avoir accès à des logements sociaux décents.
La plupart des maisons endommagées, suite au séisme du 12 janvier 2010, abritent 61% des ménages vivant dans le département de l’Ouest, où se situe la capitale Port-au-Prince.
Environ 200 mille personnes risquent de se trouver encore dans les camps en 2014, soit 4 ans après le terrible tremblement de terre qui a généré 1,5 million de personnes sans abris.
Comment résoudra-t-on les problèmes fonciers et l’aménagement du territoire ?, se questionne le Cerfas, considérant combien l’aspect foncier est lié à la question du logement.
« Infantilisation des personnes déplacées »
Pour sa part, à travers une observation dans plusieurs camps, notamment « Canaan » ou « Jérusalem » [1], le sociologue et également responsable du programme de maitrise à la faculté d’ethnologie (Fe) de l’université d’État d’Haïti (Ueh), Illionor Louis, a mis à nu les impacts négatifs des interventions des organisations non gouvernementales et de l’État dans les camps.
Les interventions de prise en charge des organisations non gouvernementales (Ong), auprès des personnes déplacées dans les camps, tendraient à infantiliser les personnes déplacées, à les rendre individualistes et repliées sur elles-mêmes.
Aucun projet collectif n’est mis en place dans ces camps, signale Louis.
Par ailleurs, le projet 16/6, mis sur pied par l’État en vue de relocaliser les personnes déplacées, serait effectué dans une logique d’instrumentalisation politique et de reproduction des mêmes structures avant le séisme du 12 janvier 2010, signale-t-il.
Le projet 16/6 est une opération mise en place par le gouvernement en vue de faciliter le relogement des familles déplacées de 6 camps de la capitale dans leurs quartiers d’origine (16 quartiers).
Ce projet constitue, en outre, un nettoyage social des places publiques, au lieu d’une réelle solution aux problèmes de logements dans le pays, critique Louis, dénonçant une stratégie de reproduction des mêmes catégories sociales.
Les conditions des personnes relocalisées se sont empirées à cause de leur éloignement vis-à-vis des villes, leur manque d’accès aux moyens de transport et d’absence d’espace de vie approprié, fait ressortir le sociologue.
Un représentant du camp "Jérusalem" en a profité pour énumérer les problèmes, auxquels font face les personnes déplacées de cette nouvelle agglomération, comme le manque d’accès à des services de base, les risques d’inondations et d’insécurité plus de trois ans après le séisme du 12 janvier 2010. [emb kft rc apr 04/10/2013 16:00]
[1] Ndlr : Située à environ 18 km au nord-est de la capitale, Canaan » et « Jérusalem » sont de nouvelles agglomérations, aménagées en « bidonvilles inquiétants », ayant commencé à s’étendre en pagaille à partir de l’été 2010, seulement quelques mois après le tremblement de terre de janvier 2010. A l’intérieur, se trouvent paradoxalement en prolifération de nombreuses églises évangéliques. Évidemment, il n’y a pas d’infrastructures de services publics, comme l’eau potable. Les habitantes et habitants s’y démènent, comme ils peuvent, sans aucun accompagnement des structures institutionnelles étatiques.