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Haiti-Rép. Dominicaine : De la provocation !

Par Edwin Paraison*

Soumis à AlterPresse le 23 septembre 2013

Quand j’ai lu, dans un portail de nouvelles de Bavaro, commune touristique de l’ est de la République Dominicaine, l’appui allégué, du Directeur général de l’immigration à une marche anti-haïtienne prévue pour le 26 de ce mois, j’ai décidé de relire la « Loi organique de l’administration publique du 14 août 2012 » de ce pays.

Entre autres, pour rafraîchir ma mémoire sur la hiérarchisation de la fonction publique, laquelle, dans le cas qui nous intéresse, place la Direction générale de l’immigration comme un organisme subordonné au Ministère de l’Intérieur et de la Police. Aussi, pour reconfirmer la pleine autorité du Président de la République et l’implication de l’État à travers les actes des fonctionnaires, explicitement décrits dans les articles 13 et 16.

En relation avec le thème migratoire, la République dominicaine souscrit, tant par la Constitution que de façon directe dans la Loi 285-04 de l’immigration, à plusieurs accords internationaux. Entre autres, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention interaméricaine des droits humains, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention sur les droits des enfants, la Convention internationale de l’ONU sur l’élimination de toutes formes de discrimination raciale.

De même, la loi de l’immigration dominicaine considère et reconnaît deux protocoles convenus avec Haïti. Un sur les conditions de rapatriement, signé en décembre 1999 et un autre sur les conditions d’embauche de main d’œuvre d’un pays à l’autre, signé en février 2000.

En cette matière, un pas important a été fait dans la gestion de la question migratoire haïtienne en République dominicaine. Il s’agit de la publication par le Bureau national des statistiques (ONE, sigle en espagnol) des résultats de la Première enquête nationale sur les immigrants (ENI 2012).

Comme organisme compétent de l’État, l’ONE, qui a compté sur l’assistance technique et financière de l’UNFPA [1] et de l’Union Européenne, après un processus inattaquable en termes de méthodologie, a démystifié le nombre d’immigrants haïtiens. De la propagande intéressée qui disait que nous étions plus d’un million, le gouvernement reconnaît à travers ses hautes instances qu’il y a moins d’un demi million de compatriotes sur le territoire national.

Il est regrettable que, jusqu’à maintenant, ni le Conseil national de l’immigration ni le Ministère de l’Intérieur et de la Police n’aient montré de l’intérêt à utiliser les données de l’ENI 2012 pour définir l’action officielle en regard de l’immigration haïtienne. Cela, évidemment, pour une application de la loi, mais aussi avec l’engagement de promouvoir et préserver le vivre-ensemble entre Haïtiens et Dominicains.

À l’inverse, il a été permis qu’à partir d’une dépendance subalterne, l’État dominicain, de façon contraire à ses propres lois et aux conventions internationales, envoie des signaux qui semblent indiquer sa participation dans la promotion et l’appui à une campagne de rejet et de haine contre notre communauté.

Ainsi, par les déclarations attribuées au Directeur de l’immigration, Jose Ricardo Taveras, par le portail « Bavaro News », rapportant une entrevue diffusée par la station Kool 106.9, se définit la position officielle dominicaine sur la communauté haïtienne de la façon suivante :

-  elle représente une haute incidence et un coût social insupportables pour le peuple dominicain ;

-  la présence haïtienne n’est pas de l’immigration mais un drame qui affecte d’autres pays de la région ;

-  les Haïtiens ne peuvent s’enraciner ici. « C’est notre politique institutionnelle ».

Autrement dit, la communauté haïtienne est une charge. Une assertion démontée par des études d’experts locaux et d’organismes internationaux, basées sur les apports de notre main d’œuvre. Comme sur les diverses contributions des professionnels et techniciens, ainsi que les revenus produits par la présence étudiante et celle des investisseurs haïtiens.

De manière absurde, l’interviewé a nommé Saint-Martin et Porto-Rico parmi les endroits où la présence haïtienne représenterait un drame. Pourtant l’on sait qu’il y a beaucoup plus de migrants Dominicains sans papiers à Porto-Rico que d’Haïtiens.

Par rapport à sa « politique » d’empêcher que nos compatriotes obtiennent leur résidence malgré la présentation de tous les documents exigés par la loi, il suffit d’en parler avec les avocats dominicains spécialisés dans les sujets migratoires, pour comprendre les vrais motifs de la mise en veilleuse d’ un nombre impressionnant de demandes de résidences de ressortissants haïtiens depuis son arrivée au poste en mars 2011.

La nomination de Taveras, secrétaire général d’ un parti minoritaire de droite, dirigé par un ancien fonctionnaire de Trujillo, dont le discours politique est basé sur l’ antihaitianisme, est considérée comme l’ une des grandes contradictions dans la gestion des rapports avec Haiti qui ont marqué les trois mandats du président Leonel Fernandez.

Toutefois, en prenant en considération ses fonctions, l’inattendu et l’inconcevable, c’est, après celle de Santiago, son soutien à une manifestation publique contre la communauté haïtienne. Selon la source citée plus haut, le Directeur de l’immigration a offert son « soutien à une manifestation anti-haïtienne à Bavaro ; mais il a demandé que les participants aient de la mesure afin que des organisations internationales n’intentent des actions contre la République dominicaine ».

Dans quelques pays du monde et particulièrement dans ceux à présence significative d’immigrants, incluant de Dominicains, de telles déclarations provoqueraient des réactions immédiates des personnes touchées et de leurs autorités représentatives. Et aussi, la désapprobation officielle.

Dans ce cas-ci, si le fonctionnaire en question, qu’on suppose agir sans l’ appui de ses supérieurs n’a aucun respect pour les lois du pays ou des conventions internationales, ni non plus pour la ligne hiérarchique de l’administration publique, il est plus sain pour tous que la communauté haïtienne assume que la provocation n’est pas envers elle mais envers l’ autorité établie.

Traduction/édition FZ-Canada

À lire aussi : http://fundacionzile.org/pdf/menaces.pdf

* Directeur exécutif de la Fondation Zile


[1Fonds des Nations Unies pour la population