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Haïti à l’heure du retour de l’armée : Préoccupations ignorées (Multimédia)

Interview avec Rodolphe Joazile, ministre de la défense – partie 2

Par Edner Fils Decime

P-au-P, 12 sept. 2013 [AlterPresse] --- Plusieurs des préoccupations, des critiques, des questionnements soulevés par certains secteurs haïtiens relatifs à la reconstitution progressive de l’armée sont vus comme des « détails » quand le ministre de la défense, Rodolphe Joazile, n’y voit pas une preuve de « mauvaise foi » ou d’ignorance, constate AlterPresse lors d’un entretien avec l’ancien président de l’assemblée nationale.

L’ancien officier des forces armées d’Haïti et ancien sénateur devenu titulaire de la défense de la république, Rodolphe Joazile, n’est pas tendre avec ces franges de la population qu’il « n’écoute même pas ».

Il n’en tient qu’à son principe sacro-saint : « bien faire et laissez dire ».

Des voix se sont élevées dans la population pour critiquer le mode de reconstitution de l’armée commençant par la base de la pyramide. D’autres n’ont même pas vu la nécessité d’une armée et prônent de préférence le renforcement de la police nationale.

La nomination d’un Etat Major, un détail ?

« Le plus important » pour le ministre est que les unités soient mises en place et « prêtes à travailler pour la communauté ». « Nommer un Etat major est un détail », pense-t-il.
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Avec un sourire ironique, il soutient que ce n’est pas le haut Etat Major qui va faire le travail.

« Il faut des troupes à diriger. Pourquoi vouloir à tout prix un Etat Major quand les troupes n’ont pas encore été constituées », avance Joazile d’un ton assuré comme si dans la particularité haïtienne l’armée perd de son caractère d’institution hiérarchisée.

Joazile croit que la nomination d’un État Major peut se faire « un beau matin » ou au « moment opportun ». Et ce ne sera pas inconstitutionnel.

En attendant que ce beau matin reçoit un grand coup de soleil et accouche les fleurs pour les épaulettes de l’Etat Major, l’ancien président du Sénat annonce le fonctionnement en octobre 2013 d’une « unité médico-sanitaire » dans l’ancienne base militaire des Sud-coréens à Gressier.

Des hommes étaient déjà formés par les militaires de la Corée. Le Ministère de la santé publique et de la population est partie prenante du projet, selon les précisions du ministre de la défense.

Quand la Pnh ne suffit plus…

« Ils ne savent pas de quoi ils parlent », lance Joazile à ceux et celles qui croient que le pays n’a pas besoin d’une nouvelle force et qu’il suffit de renforcer la Pnh et lui confier de nouvelles responsabilités.

En partant des raisons qui ont conduit à la démobilisation de l’armée – son rôle de police qui l’amenait à se frotter tous les jours avec la population, selon le ministre -, Rodolphe Joazile soutient que « si on confie à la police des rôles qu’on devait confier aux militaires, la Pnh aura le même sort que l’armée ».

La nouvelle force armée d’Haïti se verrait confier des tâches de surveillance des frontières, de la lutte contre la contrebande et les trafics illicites, la vigilance environnementale, la protection civile, etc.

Consulter le parlement et la société ? Non

« Je n’ai pas à consulter ni le pouvoir législatif, ni la société sur la question. Sénateurs et Députés sont la représentation nationale. Ce sont eux qui ont voté la constitution [amendée] qui reconnait les forces armées d’Haïti. Donc ce sont eux qui m’ont donné carte blanche pour agir de la sorte », tance Rodolphe Joazile énergiquement.

Toutefois, il reconnait que la voix et la voie du parlement sont obligatoires dans l’adoption de la loi-cadre de la nouvelle force armée.

Pour le moment, ce document est en révision et le ministre annonce qu’elle sera prête la semaine prochaine.

Un corps d’ « attachés » et de macoutes du pouvoir rose ?

Si beaucoup craignent que ces jeunes formés en Equateur ne servent de milice au président Michel Martelly, Joazile lui n’est pas de cet avis. Il va même jusqu’à assimiler de telles craintes à de la « mauvaise foi », du « n’importe quoi ! », ou encore des propos « pour alimenter les débats politiques ».

Le ministre innocente le chef de l’Etat avec l’argument que le projet « a été conçu au niveau du ministère de la défense, présenté au gouvernement qui l’a accepté » et qu’il n’a « jamais été pressuré ».

D’aucuns se rappellent d’un document de reconstitution de l’armée qui aurait été soumis à des ambassades étrangères au cours de la première année du mandat du président Martelly.

En quoi cette nouvelle force sera-t-elle différente de l’ancienne restée dans la mémoire de la population comme cheffe d’orchestre de coups d’Etat, de massacres et de brutalités sur la population ? Comment le ministère de la défense garantira-t-il à la population un changement de paradigme ?

De telles assurances, pour autant qu’elles suffisent, ne sont pas offertes pour l’instant. [efd kft gp apr 12/09/2013 12 :00]

Photo : Jenipher W. Charles