Paris, 18 juil. 04 [AlterPresse] --- Des éléments de l’histoire récente d’Haiti occupent une place non négligeable dans l’autobiographie de l’ancien président américain William Clinton. Il évoque Duvalier, le coup d’état militaire du général Raoul Cédras (septembre 91) et le retour à l’ordre constitutionnel. Il commente aussi le cas de l’ex président Jean Bertrand Aristide et sa démission en février 2004.
Affirmations sans nuances
1992, Bill Clinton est élu président des Etats-Unis. Il hérite du dossier Haïtien. Cette question est double. Elle concerne à la fois le coup-d’état du lieutenant général Raoul Cédras contre le président Jean-Bertrand Aristide et l’affluence de milliers de réfugiés haïtiens vers les côtes américaines. Ce denier point a occupé une grande partie de la transition Bush-Clinton.
Pendant la campagne électorale, l’auteur, alors candidat démocrate rappelle qu’il « avait violemment critiqué la politique du président [républicain] Bush qui était d’intercepter et de renvoyer les Haïtiens qui essayaient de rentrer aux Etats-Unis pas voie maritime ». Succédant à Bush, Clinton annonce, dès le 5 janvier, qu’il va poursuivre la même politique.
Dans son ouvrage, Clinton explique qu’il voulait que les Haïtiens obtiennent le droit d’asile plus facilement aux Etats-Unis mais s’inquiétait que nombre d’entre eux périssent en mer. C’est pour cela qu’il a prôné le renforcement de la présence officielle américaine en Haïti et l’accélération des demandes d’asile sur place, écrit -il.
« Ironiquement, alors que les défenseurs des droits de l’Homme critiquaient cette position et que la presse jugeait qu’elle allait à l’encontre de [sa] promesse de campagne, le président Aristide la soutenait », écrit Clinton. Aujourd’hui, comme faisant son mea-culpa, l’ancien président américain admet que « certaines des critiques qui [lui] étaient adressées à propos de la question des Haïtiens étaient justifiées, étant donné les affirmations sans nuances lancées durant la campagne. »
Il était temps de jeter Cédras dehors
Le plus grand passage consacré à Haïti dans « Ma vie » concerne la fin du coup-d’état militaire de 1991 et le retour du président Aristide en 1994. Clinton raconte en détail la fin de règne des militaires putschistes. En septembre 1994, rappelle-t-il, « la terreur que le général Cédras faisait régner sur le pays avait redoublé d’horreur, les hommes exécutaient des orphelins, violaient des jeunes filles, tuaient des prêtres, mutilaient des gens en laissant des fragments de corps humains à découvert pour terroriser la population, tailladaient à la machette le visage de mère sous les yeux de leurs enfants ».
Cette terreur durait déjà depuis trois ans. Clinton, lui, cherchait la solution pacifique depuis ses deux premières années à la maison blanche. Mais vue la façon dont la situation allait en empirant « j’en avais assezÂ… Il était temps de le jeter dehors », raconte l’ancien président américain. Il y avait aussi le problème des réfugiés pour lesquels l’administration Clinton dépensait une petite fortune.
Aux Etats-Unis, il y a eu de nombreuses oppositions à l’intervention armée en Haïti. Ainsi le 16 septembre 1994, William Clinton envoie en Haïti le président James Carter, Colin Powell (général) et Sam Nunn (sénateur) pour tenter de convaincre le général Cédras d’abandonner le pouvoir.
Clinton révèle que les trois envoyés étaient opposés à l’emploi de la force pour rétablir Aristide au pouvoir. « Le président Carter considérait que l’engagement d’Aristide envers la démocratie était douteux. Nunn était opposé au retour d’Aristide avant la tenue d’élections parlementaires, car il ne lui faisait pas confiance pour protéger les droits des minorités en l’absence d’une force susceptible de contrebalancer son influence au Parlement. Powell pensait que seule l’armée et la police pouvaient gouverner Haïti. »
Clinton ajoute : « comme les événements l’ont montré, leurs arguments n’étaient pas dépourvus de fondement. »
Il appartenait à Aristide d’honorer ses engagements
Clinton explique minutieusement les dernières tractations. En Haïti, Nunn parlait aux parlementaires, Powell aux dirigeants militaires et Carter à Cédras. Au Pentagone, on achevait la mise en place du plan d’invasion. « L’opération avait été baptisé « RoRo », abrévations de roll-on, roll off », précise Clinton.
Dans les rues de Port-au-Prince les attachés mettent la pression et se font de plus en plus menaçant. Les militaires haïtiens font des propositions qui sont toutes rejetées par le président américain. Clinton accorde un dernier délai aux négociations. Et la délégation est obligée d’adresser un ultime appel au président nommé par les putschistes. Emile Jonassaint, âgé de quatre-vingt-un ans déclare en dernière instance qu’il choisit la paix plutôt que la guerre. Sage décision puisque « moins d’une heure plus tard, le ciel de Port-au-Prince aurait été rempli de parachutes », affirme Clinton.
Le débarquement des forces américaines s’est produit sans effusions de sang. Le 15 octobre 1994, l’ordre constitutionnel est rétabli. « Désormais, il appartenait à Aristide d’honorer son engagement : dire non à la violence, non à la vengeance, oui à la réconciliation. Comme c’est bien souvent le cas de tels engagements, celui-ci allait s’avérer bien plus facile à formuler qu’à mettre en pratique », souligne Clinton.
Les Haïtiens méritent qu’on leur donne une chance
La visite de Clinton en Haïti, en 1995, en tant que président des Etats-Unis, semble être moins riche que le voyage effectué par le jeune marié vingt ans plus tôt [NDLR : Voir article précédent]. Une seule phrase y est consacrée. Clinton écrit qu’il est « allé en Haïti pour rendre visite à [ses] soldats, rencontrer le président Aristide, exhorter le peuple haïtien à œuvrer pour un avenir pacifique et démocratique, et participer au transfert de l’autorité des mains de [la] force multinationale vers celles des Nations Unies ». Cette visite n’a duré que quelques heures. C’était en mars 1995.
Dans « Ma vie » Clinton montre un certain attachement à Haïti. Et les événements de 2004 ne le laissent indifférent. Il écrit avoir repensé, après la démission du président Aristide, à ce que lui avait dit le commandant en chef des forces armées américaines, Hugh Shelton : « Les Haïtiens sont des gens bien qui méritent qu’on leur donne leur chance. » Clinton souligne qu’Aristide a été souvent le « pire ennemi » des Haïtiens. Mais il ne s’arrête pas à ces mots. « L’opposition n’a jamais vraiment cherché à coopérer avec [Aristide] », poursuit Clinton.
Haïti a besoin de l’aide des Etats-Unis
Dans son ouvrage, Clinton fait état du refus du Congrès, à majorité républicaine, en 1995, « d’accorder au gouvernement haïtien l’aide financière qui aurait pu faire la différence ». Pourtant, estime-t-il, « Haïti ne pourra jamais devenir une démocratie stable sans une aide supplémentaire de la part des Etats-Unis. »
Avant ces affirmations clintoniennes, plusieurs analystes haïtiens avaient mis en doute l’efficacité de l’intervention des marines pour rétablir Aristide au palais national. Le bilan dressé de ce qui est considéré comme « la deuxième occupation américaine d’Haïti » n’est pas exhaustif.
On n’est pas passé de la pauvreté à la misère comme promis à l’époque. Le développement économique et la sécurité prévus n’ont pas été au rendez-vous. Et l’expérience démocratique s’est arrêtée dès le 15 octobre 1994. Clinton en sait quelque chose. Il a, sans nul doute, eu bruit de l’inefficacité de l’opération « retour à la démocratie ».
Dans son autobiographie, l’ancien président des Etats-Unis se défend : « Notre intervention à l’époque a toutefois permis de sauver des vies et de donner aux Haïtiens une première expérience de la démocratie pour laquelle ils avaient voté. Même avec les problèmes que pose Aristide, les Haïtiens auraient connu bien pire sous Cédras. »
Pas une fois Clinton n’a remis en doute sa décision de ramener Aristide au pouvoir. C’était sa politique. Et aujourd’hui il l’assume. « Je suis heureux, écrit-il, que nous ayons donné une chance au peuple haïtien. » [wa apr 18/07/2004 00:30]