P-au-P, 23 août 2013 [AlterPresse] --- Le 222e anniversaire du soulèvement général des captifs de Saint-Domingue (nom colonial de la République d’Haïti) a été commémoré à Port-au-Prince, le jeudi 22 août 2013, par une série d’activités, dont une conférence-débat sur le thème « 22 août 1791- les captifs se sont soulevés pour la liberté. 22 août 2013, soulevons nous pour construire une société égalitaire dans un pays souverain ».
Le groupe de recherche et d’études « Assumer Ayiti » est l’initiateur de ce mouvement, qu’il place dans le contexte actuel, marqué « par le comportement des autorités étatiques contre la mémoire du pays, comme moyen de gommer les luttes populaires ainsi que leur vocation historique ».
L’anthropologue Rachel Beauvoir Dominique , le politologue Jean-Léon Ambroise et l’historien Dodard Ménné Jacques ont été les principaux intervenants, devant un public constitué majoritairement d’étudiantes et d’étudiants de l’Université d’État d’Haïti (Ueh).
Se rebeller : un droit
Soulignant une certaine « permanence » des conditions de révolte, dans les formes de sociabilité coloniale et servo-capitaliste haïtienne actuelle, Rachel Beauvoir Dominique exhorte à briser « l’interdit ».
Elle fustige la forme de vision du développement et la réduction de l’économie haïtienne à des slogans, tels « Haiti is open for business », ainsi que l’établissement des bagnes-zones franches industrielles.
La nécessité du passage de la révolte à la rébellion, pour aboutir peut-être à la révolution, exige une dialectique de l’individuel et du collectif.
« La révolte est un devoir. Elle est manifestation d’humanité. Cependant, comment « assumer Ayiti » et comment les militantes et militants, en général, peuvent aider les révoltés à se rebeller ? », lance l’auteure de « Savalou E » à l’assistance, en se démarquant d’apporter une réponse « remède ».
Une historiographie anti-bossale
Le politologue Jean-Léon Ambroise se questionne sur lu traitement d’Haïti dans l’historiographie mondiale, en général, mais française, en particulier, avant d’aborder le « silencement », le « pe djòl » (mot créole, le silence ou la sourdine mise) de la mémoire des bossales dans le pays.
Ambroise s’indigne de la commémoration de la fête religieuse catholique romaine du 15 août, alors que ni le 14 août 1791 - congrès politique du Bois-Caïman- ni le 22 août 1791 – soulèvement général des esclavisés- ne bénéficient de cette dévotion.
« Aucune rue ne porte le nom d’un bossale. Des gens trouvent corrects d’appeler leur enfant Emmanuel, Romario ou Neymar, mais ils ne le prénommeront jamais Erzulie ou Agoué », déplore le politologue.
Avec Michel Rolph Trouillot, Ambroise croit qu’à « chaque fois qu’on met Haïti dans l’historiographie mondiale, elle l’explose. A chaque fois qu’on met les bossales dans l’historiographie dominante (dès fois coloriste) haïtienne, ils l’explosent également ».
A l’instar des captifs, qui, il y a 222 ans, ont questionné leurs conditions de vie, aujourd’hui, chacune / chacun doit, de même, se demander si « cette vie mérite d’être vécue ».
Un pays en commun ?
S’appuyant notamment sur la spécificité radicale des revendications des captifs de Saint-Domingue, l’historien Menné Jacques situe son intervention dans le cadre d’un rappel des conditions historiques du 22 août 1791.
Menné Jacques appelle à une « mise en commun » des énergies haïtiennes, en vue de construire cette société égalitaire dans un pays souverain, qu’il estime que les Haïtiennes et Haïtiens « possèdent en commun ».
En tout cas, une autre lecture suggère que les Haïtiennes et Haïtiens « ont un pays commun », sans en disposer véritablement en commun, dans le sens de la convivialité ou d’un vivre ensemble serein. [efd kft rc apr 23/08/2013 10:30]