Par Edner Fils Décime
P-au-P, 20 août 2013 [AlterPresse] --- Une enquête de la plateforme des organisations haïtiennes des droits humains (Pohdh), sur le processus d’expropriation des résidentes et résidents du centre-ville de la capitale Port-au-Prince (mis en œuvre par l’État haïtien) met à jour certaines violations du droit à l’information par l’actuelle administration.
« Rapport sur la situation des locataires et des propriétaires de maison sous menace d’expropriation au centre-ville de Port-au-Prince » : tel est le titre du document, parvenu à l’agence en ligne AlterPresse.
L’analyse des données - recueillies par les enquêteuses et enquêteurs de la Podh auprès « de locataires, de propriétaires résidents, de gérants de propriétés » ainsi que de « différents responsables d’institutions impliquées dans le processus d’expropriation » - montre combien « le droit à l’information des premiers concernés dans le cadre de l’expropriation n’est pas respecté ».
Certains résidents n’auraient été informés des nouvelles mesures que par voie de presse ou des rumeurs.
« Il n’y a pas eu de rencontres entre les autorités étatiques et les habitants qui vont être expropriés pour cause d’utilité publique », déplore la Pohdh.
Même si les trois catégories de personnes, concernées par la disposition gouvernementale, exigent globalement de meilleurs traitements et de bonnes conditions de relocalisation, les propriétaires ne passent pas sous silence « l’arbitraire », présent dans la gestion de ce dossier.
Sachant que des familles vivent dans cette zone, depuis au moins une vingtaine d’années, la Pohdh se demande comment un gouvernement responsable peut-il « décider, du jour au lendemain, de les déplacer et de les exproprier, sans créer un cadre social leur permettant d’exercer leurs activités quotidiennes sans être dépendantes de l’État ? »
La reconstruction : une question haïtienne
Mal abordée par l’État haïtien au lendemain du tremblement de terre du 12 janvier 2010, la reconstruction a été une opportunité pour « certains opportunistes étrangers et haïtiens de faire leur capital politique et économique », souligne le Podh.
De surcroît, « les différents secteurs de la société haïtienne organisée » ont été écartés du processus, au même titre que des institutions étatiques, telles le parlement et les mairies. Ainsi, le plan national de reconstruction a-t-il été élaboré par des étrangers, constate la Pohdh.
Aujourd’hui encore, la population haïtienne ne dispose d’aucun « bilan et/ou rapport » de la commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (Cirh), dont le mandat a été stoppé par le gouvernement haïtien après 20 mois d’apparent fonctionnement, indique l’enquête de la Pohdh.
Le Cadre de coopération de l’aide externe au développement (Caed) - qui remplace officiellement la Cirh, depuis le 26 novembre 2012 - est, en essence, le même processus, puisque « cet organe, qui a pour mission d’assurer le leadership de l’aide Internationale, a un volume important de places réservées à des acteurs internationaux, notamment des organisations non gouvernementales (Ong) et des bailleurs de fonds », critique-t-elle.
Le Caed aboutira à de résultats probants s’il intègre, dans ses actions, « l’établissement d’un plan de réaménagement du territoire, la déconcentration des services publics, la définition d’une politique de logements sociaux comme services publics, la résolution du problème de cadastre, le respect des patrimoines culturels et architecturaux, et l’implication des citoyens », suggère la Pohdh.
Recommandations de la Pohdh
Tout en considérant que « l’expropriation, pour cause d’utilité publique, est vraiment nécessaire », la Pohdh informe que, dans l’état actuel des choses, la « situation [est] alarmante » et qu’elle « peut prendre une ampleur assez considérable, si les instances concernées ne respectent pas les droits de ces personnes ».
Dans le cas où ce dossier n’est pas abordé avec « finesse », il peut avoir des « conséquences néfastes » sur la société, notamment en renforçant et en augmentant les bidonvilles dans le pays, prévient le rapport de l’organisme de défense des droits humains.
Recenser le nombre de personnes concernées par la mesure, identifier les propriétaires et locataires, prendre des mesures pour « reconstituer ailleurs ce petit coin économique » figurent parmi les recommandations majeures de la Pohdh.
La plateforme des organisations de droits humains préconise d’harmoniser les actions par des rencontres de travail entre actrices / acteurs, d’impliquer les personnes concernées et autorités des collectivités territoriales et de respecter le patrimoine culturel du centre-ville de Port-au-Prince.
Le 25 mai 2012, le président Joseph Michel Martelly a abrogé un arrêté, en date du 2 septembre 2010, déclarant d’utilité publique la zone du centre-ville de Port-au-Prince.
Il a circonscrit ce dernier dans une autre aire que celle délimitée « au Nord par la rue des Césars, au Sud par la rue Saint-Honoré, à l’Est par la rue Capois et à l’Ouest par le rivage de la mer ». [efd emb rc apr 20/08/2013 15:20]