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Haïti-Slam : Soirée ’Splash’ à The Backyard

Plaidoyer pour les couche-tôt

Par Tessa Mars

P-au-P., 12 aout 2013 [AlterPresse]--- Tous les jeudis soir au Backyard, rue panaméricaine PV, à lieu une soirée ’Splash’ ou le groupe compas Toxic, accompagné d’un invité à chaque fois différent, fait son show. Jeudi 1er aout s’annonçait soirée Slam avec le Collectif Hors-Jeu, affiche intrigante puisque le Slam n’est pas encore très répandu en Haïti. Les amateurs se sont donc pourléché les babines, espérant pouvoir apprécier des textes puissants et sincères, plein de poésie et de rythme. En effet, ils ont été servis. Ce fut pourtant comme boire une gorgée d’eau après la traversée du désert. Permettez que je m’indigne un peu… beaucoup !

Plaidoyer pour les couches-tôt.

« Si m te konnen toujou dèyè », « Hindsight is 20/20 ». S’il y a une question à se poser au sortir de cette soirée, c’est bien celle-ci : où prend fin la naïveté, l’optimisme têtu, et quand commence réellement une soirée slam/compas annoncée publiquement pour 8 heures ? On annonce 8 heures et à 8 heures pile, cette amateure-ci était fidèlement aux portes du Backyard. Première fois sur les lieux et première impression : c’est mort. Une serveuse nous attrape à l’entrée et nous demande ce que nous cherchons, réponse : « Suis ici pour le Splash ». « Tiens, il est déjà huit heures ?! » demande-t-elle toute étonnée. Après un moment de considération, elle nous conduit à une table et nous apporte le menu.

Ce qui suit a été deux longues heures terribles d’ennui, de spéculations, d’auto-flagellation et d’un mauvais cocktail. Pourquoi être venu aussi tôt ? Pourquoi être restés à attendre jusqu’au bout ? Pourquoi ne pas s’être déplacé pour revenir après ? Pourquoi…Pourquoi… Pourquoi ? Et c’est là qu’intervient l’optimisme mentionné plus haut car, finalement, nous sommes restés dans l’espérance à chaque fois que les quinze prochaines minutes seraient les bonnes. On a donc eu l’ample opportunité d’observer le personnel du bar dans ses préparatifs, les différents tests son (ce fameux ’test 1-2’), les lumières stroboscopiques sur la piste. Les différents spectateurs qui sont d’abord arrivés au compte goutte puis avec un grand mouvement de foule vers 10 heures. Le début de la soirée à 10h15 précises. Quel soulagement de voir monter en scène Le collectif Hors Jeux d’abord. Mais on est déjà fatigués et demain vendredi, faut se lever tôt. On se propose d’assister à 30 minutes de show avant de s’en aller.

A croire qu’il avait entendu nos prières car 30 minutes plus tard le Collectif Hors-jeu quittait la scène pour faire place à Toxic. Quant à nous, nous étions déjà aux portes de notre voiture. Toxic, ce sera pour une prochaine fois.

Les raisons de s’être déplacés si tôt ? Ne rien rater de la soirée, se lever de bonne heure le lendemain, trouver une place ou se garer etc., etc. Rien ne fait le poids devant le retard national. Même pas son imprévisibilité. Les habitués sont clairement venus à 10 heures, le bon geste aurait donc été de demander à un habitué des informations sur l’espace au lieu de se pointer à l’heure dite. Mais pourquoi mettre le tort du côté de celui qui regarde l’affiche et qui prend déjà la peine de confirmer que la soirée aura bien lieu ? Les groupes concernés attendaient-ils le gros du public avant de commencer ? Il suffirait dans tous les cas de mettre l’heure réelle de la performance en évidence et à ce moment-là, les couche-tôt ne seraient pas venus.

Le Slam dans tout ça !

« Le Slam, c’est de la poésie » annonce l’un des membres du collectif Hors-jeu en ouverture de session. Mais plus que la poésie, le slam c’est la liberté d’expression. Des textes que l’on écrit la plupart du temps soi-même, qui sont dits, lus et scandés dans la liberté la plus totale. Historiquement et plus proche de sa forme actuelle, il a été créé dans une perspective de redynamisation de la poésie, un lieu de partage entre poètes de tous styles et de tous milieux. Il y a très peu de règles absolues dans l’art du slam, sinon que souvent dans une soirée, quiconque peut s’inscrire pour dire son texte. Il y a une limite de temps mais pas d’accompagnement sonore, pas de décorations et pas d’accessoires. Parfois ce sont des soirées compétition où un jury est constitué au hasard avec les membres de l’assistance. Chaque culture ou chaque regroupement de slammeurs adapte les traditions du Slam à sa façon.

Le collectif Hors jeu est une association culturelle qui fait du Slam sa principale activité. Il compte trois slammeurs : Rolaphton Mercure, Rome, Jean Samuel André, Jasmuel, tout deux membres fondateurs du Collectif et Pinas Alcera, P-Nash. Ils sont tous comédiens de la Fondation Haïti Spectacle. Ils sont accompagnés sur scène de deux chanteurs, un accordéoniste, un batteur, un bassiste, un guitariste et un keyboardiste. L’association a à son actif plusieurs représentations, entre autres à la Fokal. Elle a aussi tenu en septembre dernier un atelier Slam pour le public à l’Institut Français d’Haïti.

Le show débute par une interprétation du célèbre « Redemption song » de Bob Marley, comme pour dire l’importance de la place de la parole pour le collectif (All I ever had, redemption song). Après la chanson, un texte mitraillé par Rome avec une grande maîtrise, puis s’enchaînent textes et chants. Puis texte sur fond sonore. Les textes sont des réflexions sociales et politiques, autour de phénomène culturel marquant, d’amour et de conte. Un « Choucoune » à l’accordéon accompagne un texte sur l’amour. Une interprétation de « Tezen » accompagne une relecture du conte du même nom. Les textes sont en créole, on soulignera au passage un accent français (de France) très prononcé voir gênant chez l’un des slammeurs. Chacun son style, son rythme sur la scène et ses préoccupations, mais les textes sont tous percutants.

On salue cette initiative du Collectif Hors-jeu ; le potentiel du Slam dans un pays comme Haïti où les jeunes ont soif de s’exprimer est énorme. Certains éléments du show doivent être mieux contrôlés, comme la place de l’accompagnement instrumental, la batterie couvre parfois la voix du slammeur, et surtout le rapport avec l’espace où a lieu la performance.

Les raisons du retard resteront à jamais un mystère, mais pour un moment de Slam plus que tout autre, moment de libre expression et de partage de la pensée et des tripes, le professionnalisme devrait être plus qu’une notion diffuse. C’est une question de respect, c’est un pré-requis. [tm pj gp apr 12/08/2013 11 :00]