P-au-P, 5 juil. 2013 [AlterPresse] --- Les tourmentes judiciaires dans lesquelles se trouvent actuellement des proches du président Michel Martelly, dont son ami Jojo Lorquet, son chauffeur personnel Patrick Maître sont vues par le réseau national de défense des droits humains (Rnddh) comme une comédie stratégique pour se débarrasser de colis devenus trop encombrants.
« Si la justice poursuit ces gens c’est parce que l’exécutif a besoin de se débarrasser d’eux – cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas véritablement coupables des faits qui leurs sont reprochés. Les juges sont choisis d’avance avec instruction claire sur les personnes à toucher et à ne pas toucher », explique, assuré, Pierre Esperance, directeur exécutif du Rnddh.
Lorquet, Moloskòt...des « bandits légaux » ?
En fait, Lorquet et Maître seraient complices de l’ancien journaliste Ernst Laventure Edouard dit Konpè Mòlòskòt dans une série de combines mafieuses constituant en livraison de permis de port d’armes, d’utilisation de gyrophares et de sirènes, de vitres teintées et l’accès à des privilèges douaniers.
Edouard s’est autoproclamé « coordonnateur des douanes » pour la présidence. Un poste qui n’existe pas dans l’organigramme de l’administration générale des douanes (Agd), souligne à la presse un responsable de l’Agd.
Molòskòt a été directeur général et animateur à la radio privée Nouvelle Génération. Il a été aussi ancien candidat aux élections de 2009 au poste de sénateur de l’Ouest sous la bannière du parti Ayiti An Aksyon (Aaa) dirigé par l’actuel conseiller du président Martelly, l’ex-Senateur Youri Latortue.
Poursuivi par la justice haïtienne sous les chefs d’accusation d’usage de faux, d’usurpation de titre, d’escroquerie et d’association de malfaiteurs, l’ancien journaliste proche de Martelly serait en cavale.
A un certain moment après son élection en 2011 à la présidence d’Haïti, Martelly s’est brouillé avec son promoteur du temps qu’il était artiste, Jojo Lorquet.
Selon le journal Haïti Liberté, Lorquet - également présentateur d’un programme de télévision câblé « Exit Entertainment » aux Etats-Unis- aurait publiquement traité Martelly de « premier judas », c’est-à-dire un traitre.
Une justice sur mesure
« Ce dossier est extrêmement délicat et compliqué. Il y a tellement de personnes importantes impliquées dans ce scandale. Malheureusement, nous sommes en face d’un pouvoir autoritaire basé sur l’impunité qui entre toujours dans des combines cosmétiques », regrette Rnddh.
Des informations font état d’une centaine d’ordres d’interdictions de départ prises contre des proches de Martelly et d’un grand manitou du secteur des affaires.
Toute ce « bruit » qui se fait autour de ce dossier ne dit rien qui vaille à Pierre Esperance. C’est « la grande stratégie de l’Exécutif » dit-il.
« On ne peut croire dans ce théâtre juridique. Il faut se rappeler que les magistrats qui instruisent ces dossiers sont récemment nommés dans le système, c’est-à-dire entre mai et juin 2012, avant l’installation du Cspj. Ils sont contrôlés par l’exécutif », argue Esperance, mâchant un goût amer d’un certain juge Merlan Belabre ayant rendu une ordonnance en faveur du haut fonctionnaire Josué Pierre-Louis.
Ancien président du conseil électoral, Josué Pierre-Louis, très puissant et très écouté collaborateur de Martelly était accusé de crime de viol sur la personne de sa subordonnée Marie Danielle Bernadin en novembre 2012.
Esperance évoque également le cas du juge Fermo Jude Paul qui serait nommé spécialement pour libérer le conseiller politique de Martelly, Calixte Mercidieu Valentin, ayant, selon les témoignages, assassiné un jeune commerçant, Octanol Derissaint, à Fonds Parisien.
Le Rnddh continue de s’interroger sur le fait que « le palais est bondé d’attachés, de civils armés n’appartenant à aucune unité de la police et se déclarant agents de sécurité du président ».
« Tant que ce problème ne sera pas résolu on ne pourra dire que le pouvoir combat la corruption et l’impunité et se positionne en faveur de l’Etat de droit », estime Esperance.
Joseph Lambert, Edo Zenny chefs de gang ?
Dans le cadre de l’instruction du juge Maximin Pierre sur le conseiller du chef de l’Etat, Joseph Lambert, accusé de complot d’assassinat sur les députés Levaillant Louis-Jeune et Sorel Jacinthe, un nommé Sherlson Sanon aurait révélé l’existence d’un puissant gang spécialisé dans le trafic de la drogue, l’enlèvement, le kidnaping et l’assassinat dans le Sud-Est.
L’ancien sénateur Lambert, le sénateur proche du pouvoir, Edo Zenny, le commissaire du gouvernement de la Croix-des-Bouquets, Leny Thelisma, Joël et Jacky Khawly seraient de grandes figures de la bande.
Par peur d’être assassiné à tout moment, Sanon est allé témoigner au Rnddh, le 23 avril 2013. Le notaire Jean Beaubrun L. Rony a authentifié sa signature.
Joseph Lambert « a passé aux autres membres du gang KAKOS, des instructions claires et précises pour que je sois exécuté. Je m’attends donc à mourir à n’importe quel moment », lit-on dans une copie de son témoignage.
Arrêté le 1er juillet 2013 sur ordre du juge d’instruction Pierre, Sherlson Sanon, 25 ans, est actuellement écroué à la prison civile de Port-au-Prince.
Il a été entendu au cabinet d’instruction le 3 juillet 2013 en présence de ses avocats Mario Beauvoir et Alex Joseph.
L’avocat de Sanon, Mario Beauvoir, a fait part à AlterPresse des ses préoccupations quand à la protection de la vie de son client.
« Nous sommes au courant, qu’on cherche à l’assassiner dans sa cellule même. Aussi nous demandons aux autorités judiciaires de tout mettre en œuvre pour protéger notre client », recommande Beauvoir.
Se basant sur le secret de l’instruction et du sens de l’éthique de l’avocat, Beauvoir ne veut pas donner des détails sur les nouvelles révélations faites par Sanon le 3 juillet au cabinet du juge Pierre.
Des sources journalistiques dignes de confiance dans le Sud-Est, ont confirmé l’existence de la base Kakos et affirment que Sanon serait originaire de Peredo, une localité de la commune de Marigot.
Le gang Kakos semble être lié à celui de Clifford Brandt. Edner Come, membre de Kakos et connu encore sous le nom de Jackson Traveuno, est actuellement recherché par la police dans le cadre de l’enquête judiciaire relative au démantèlement du gang dirigé par Clifford Brandt.
Lambert et Zenny dénoncent « une machination politique » et disent ne connaître aucunement Sanon.
Contacté à ce sujet à plusieurs reprises par AlterPresse, le commissaire du gouvernement de Port-au-Prince, Lucmane Delille, a laissé entendre qu’il ne pouvait donner d’entrevue et qu’il était « au four et au moulin ». [apr 5/07/2013 13 :15]