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Haïti-Reconstruction : La construction des bâtiments publics, coincée par la paperasse ?

Par Emmanuel Marino Bruno

P-au-P, 08 juil. 2013 [AlterPresse] --- « Ferme ton truc ! »

C’est l’accueil, sans autre forme de procès, d’un vigile à l’entrée du site de construction du ministère de l’intérieur. L’homme désigne, l’air méfiant, le magnétophone d’AlterPresse.

Il était visiblement effrayé de la présence d’un journaliste, en train d’interviewer l’un des travailleurs sur place.

« Vous ne pouvez pas réaliser d’interviews sur le chantier, sans une autorisation écrite de mes supérieurs hiérarchiques », affirme-t-il, nous invitant à sortir.

La reconstruction des bâtiments publics, détruits il y a trois ans lors du tremblement de terre du 12 janvier 2010, se déroule ainsi dans cette atmosphère de secret.

Les travaux ont brusquement cessé il y a plus d’un mois (mai 2013).

Alors que des travailleurs et des propriétaires de terrain parlent d’un manque de fonds, l’unité de construction de logements et de bâtiments publics (Uclbp) se veut rassurante.

« Il y a un ralentissement très sensible que nous avons provoqué » pour évaluer les structures relatives, notamment, à la fondation des bâtiments en construction en vue d’anticiper « quelques petits problèmes », explique le directeur de l’Uclbp, Michel Présumé, dans une interview accordée à AlterPresse.

Cette évaluation est faite, sur les chantiers, autour de petits détails techniques qui n’affectent, en rien, la structure fondamentale des bâtiments en construction, dit-il.

Présumé précise avoir conduit une évaluation, à la fois technique et financière, pour déterminer les coûts correspondants aux premiers travaux.

Le budget 2013, disponible pour la construction des bâtiments publics, est évalué à 128 millions de dollars américains (US $ 1.00 = 44.00 gourdes ; 1 euro = 61.00 gourdes aujourd’hui), dont 10 millions pour les études et environs 7,5 millions pour la supervision.

La construction est, en grande partie, réalisée avec le trésor public, et les fonds de PétroCaribe, fait-il remarquer, déplorant l’absence de soutien des grands donateurs internationaux.

La pause de la reconstruction

Un manque de fonds serait à la base de l’arrêt des travaux de construction du ministère de l’intérieur et des collectivités territoriales (Mict), situé à la rue Paul VI à l’emplacement de l’ancien immeuble de la direction générale des impôts (Dgi, immeuble effondré dans le tremblement de terre, avec plusieurs fonctionnaires) croient plusieurs employés en maçonnerie, interviewés, sur le chantier, par AlterPresse, lors d’une visite le mercredi 03 juillet 2013.

« Ils nous ont informés, le lundi 1er juillet 2013, que les travaux recommenceront », rapporte un maçon, attendant, comme beaucoup d’autres, d’être réembauché.

Quelques poutres et poteaux sont déjà installés sur le terrain réservé à la construction du Mict, a constaté AlterPresse sur le chantier, où s’affairaient, seuls, cinq travailleurs.

L’un d’être eux s’occupait à scier une planche.

Un ensemble de constructions sont déjà en cours, notamment au ministère du commerce et de l’industrie (Mci), dont l’état d’avancement des travaux est évalué à 30%, selon Présumé.

Le ministère de l’intérieur et des collectivités territoriales (Mict) est à 28 % de sa construction, tandis que celui des affaires étrangères est à 10%.

Le budget des Mci et Mict est évalué au total à 17 millions de dollars américains. Hadom Constructora est la firme responsable de la construction de ces deux bâtiments publics.

Des travaux sont en train d’être effectués au niveau des fondations du Mict, rapporte Présumé, anticipant une mise en place de tous les poutres et poteaux dans les plus brefs délais.

Les problèmes de livraison des matériaux et de circulation (automobile), dans la capitale, entrainent des problèmes de retard dans l’exécution des travaux, accuse-t-il.

Par ailleurs, le directeur de l’Uclbp fait état de la poursuite du processus d’expropriation des immeubles, situés dans l’aire choisie pour installer la cité administrative.

Un comité permanent est en charge du processus d’expropriation, qui « avance très bien ».

La démolition, un sérieux casse-tête ?

Plusieurs blocs, situés notamment dans les rues du Centre, du Champ de Mars et de l’Enterrement, sont déjà touchés par ce processus d’expropriation. Beaucoup de dossiers sont déjà déposés devant les ministères des finances et des travaux publics.

L’Uclbp attend l’autorisation des autorités concernées pour entamer le processus d’indemnisation, après évaluation des dossiers et discussions entamées avec les personnes propriétaires.

Au début les propriétaires étaient sceptiques par rapport à ce projet, pensant que « ce sont que des paroles en l’air », révélait le premier feed-back.

Maintenant, convaincus du sérieux de l’affaire , les gens commencent à collaborer avec l’État, en s’y impliquant, annonce Présumé.

« Si votre êtes sur un terrain appartenant à l’État, même si vous y habitez depuis 2 mille ans, l’État peut le reprendre à n’importe quel moment. Il n’existe pas de prescription à ce niveau », avertit Présumé.

Les biens de l’État sont tellement mal gérés que beaucoup de gens se retrouvent sur des domaines publics, relève-t-il.

En ce qui concerne les personnes possédant un bâti et non un terrain, elles seront indemnisées uniquement pour la maison construite et non pour le terrain.

Interviewé par AlterPresse, le propriétaire d’un immeuble, démoli à la rue Paul VI, s’est plaint du retard mis par les autorités pour le dédommager.

« Jusqu’à date, je n’arrive pas à trouver mon indemnisation, à cause des nombreuses formalités exigées par les autorités. Pourtant, je possède la maison (démolie) depuis plus de dix ans », critique un propriétaire, Brant Lalanne, qui ne cache pas son scepticisme face à ce processus d’expropriation.

Ce scepticisme se retrouve aussi dans les discours de nombreuses familles de la Rue de la Réunion, où plusieurs de leurs maisons sont marquées au rouge, depuis plusieurs mois.

« Nous connaissons nos droits, nous faisons nos devoirs pour que nos droits soient respectés », affirme un propriétaire d’immeuble, qui a tenu à garder l’anonymat.

Il souhaite la mise en œuvre d’un processus d’indemnisation, ordonné et équitable, en vue d’éviter de créer des frustrations chez les personnes ciblées.

« La démolition ne sera jamais en notre faveur. J’habite la zone depuis mon enfance, j’ai maintenant 60 ans. La maison a plus d’un siècle », exprime une mère de famille, Marie Michelle Marise Pasquet, qui dit être obligée d’accepter cette réalité.

Rattachée au bureau du premier ministre, l’Uclbp travaille sur la reconstruction des bâtiments de l’État et de logements pour la population.

Le président Joseph Michel Martelly a procédé à l’installation de cette unité, en novembre 2011, au bureau du chef du gouvernement, en présence du premier ministre d’alors Garry Conille, des membres du cabinet ministériel ainsi que de partenaires impliqués dans la reconstruction. [emb kft rc apr 08/07/2013 1:50]