par Jean Élie Paul
P-au-P, 04 juil. 2013 [AlterPresse] --- Secteur stratégique, mais secteur en crise, l’agriculture haïtienne a fait l’objet d’un second atelier de travail [1], à Port-au-Prince le mardi 2 juillet 2013, à l’initiative de l’organisme d’appui technique et promotionnel, dénommé Promotion pour le développement / centre technique agricole (Promodev / Cta) [2], a observé l’agence en ligne AlterPresse.
L’objectif des échanges du 2 juillet était de voir comment une valorisation des produits (agricoles) locaux pourrait constituer une alternative pour la sécurité alimentaire en Haïti.
Plus d’une cinquantaine de délégués, productrices et producteurs ainsi que fonctionnaires de l’État, ont particulièrement débattu du programme triennal de relance agricole (2013-2016), mis en place par le ministère de l’agriculture, des ressources naturelles et du développement rural (Marndr).
La somme d’environ 63 millions de gourdes (US $ 1.00 = 44.00 gourdes ; 1 euro = 60.00 gourdes), envisagée pour financer ce dit programme triennal, n’est pas encore disponible.
La non disponibilité de ce montant ne suffit toutefois pas à freiner les ambitions, avance le secrétaire d’État à la relance agricole, Vernet Joseph.
L’une de ces ambitions serait de faire passer le pays d’une offre alimentaire de 45% à environ 60 - 70 %.
Quels mécanismes seront mis en place pour aboutir à ce résultat d’ici l’année 2016, dans un contexte où l’actuelle administration politique continue de pratiquer l’ouverture extensive du marché national, notamment à l’importation de produits agricoles, comme le riz dénommé 10/10 ?
Un secteur stratégique à l’agonie
Contribuant pour seulement 25% du produit intérieur brut (Pib), l’agriculture demeure, en Haïti, un secteur stratégique, susceptible non seulement d’améliorer la sécurité alimentaire, mais aussi d’augmenter la croissance économique, aux yeux de Promodev.
En dépit de ces potentialités, le secteur affiche des faiblesses inquiétantes, qui, de façon dangereuse, favorisent l’importation.
Entre 2010 et 2011, l’importation en Haïti est passée de 44% à 46% des besoins alimentaire, souligne Promodev.
88 % des personnes vivant en milieu rural restent encore en-dessous du seuil de la pauvreté, alors que l’agriculture est la principale source de revenus chez les paysannes et paysans.
« Sous l’effet de pratiques agricoles inappropriées et des mécanismes de survie dangereux, la dégradation de l’environnement s’accélère et se traduit par une augmentation des risques sur les vies et les biens : moins de 2 % du territoire national peut être considéré comme forêt dense, tandis que 85% des bassins versants sont fortement dégradés ou en voie de dégradation accélérée », relate Promodev citant des statistiques officielles.
De multiples défis à surmonter
Les trois facteurs essentiels de l’agriculture en Haïti - l’agricultrice / l’agriculteur, la terre et la ferme - « sont menacés dans leur intégrité propre », relève l’ingénieur-agronome Jean André Victor, qui soulève un ensemble de questions.
« L’agricultrice / l’agriculteur n’a ni statut, ni police d’assurances en cas de catastrophes naturelles, ni indemnités de stabilisation des prix, ni salaire minimum garanti. De son côté, la sécurité foncière n’est pas pour demain. Il n’existe pas de cadastre généralisé, ni de parcelles standardisées, ni, non plus, de titres de propriété inattaquables », signale Victor.
La recherche agricole, un des déterminants du développement du secteur, est de plus en plus négligée. De même, les institutions de crédit agricoles sont de l’histoire ancienne, elles n’existent plus, ce qui tend à décourager les productrices et producteurs.
Jean André Victor met également le doigt sur un défi capital : celui de pousser les dirigeants haïtiens à tourner le dos à une approche figée vers l’aide internationale.
« Nos dirigeants mettent tous les œufs de la république dans les paniers de l’humanitaire, de la subvention à fonds perdus, des donations sans contrepartie et de la charité internationale. On ne peut pas valoriser les facteurs de développement agricole par les subventions, les programmes food for work ou encore les cessions gratuites de houe et de machettes », critique-t-il.
Ainsi, valoriser l’agriculture haïtienne implique-t-il, non seulement de telles réflexions, mais aussi tout un ensemble d’actions touchant notamment les méthodes et techniques de commercialisation, à savoir les marchés agricoles, qui ne sont guère attrayants, selon l’ingénieur-agronome.
Pour une valorisation urgente des produits agricoles
Compte tenu des richesses et potentialités dans ce domaine, et des superficies cultivables dont dispose chacun des départements du pays, il y a une véritable nécessité d’investir dans l’agriculture, largement exprimée à l’occasion des récentes réflexions à l’échelle nationale, reconnaît le secrétaire d’État à la relance agricole, Vernet Joseph.
« L’agrobusiness ne demande qu’à être valorisé et développé. Il s’agira d’une perspective, qui devrait, toutefois, privilégier l’approche gagnant-gagnant, articulée autour d’une stratégie nationale cohérente, pour ne parler que du cadre réglementaire et du foncier », suggère-t-il.
Les agricultrices et agriculteurs haïtiens utilisent très peu de fertilisants chimiques et pesticides, ce qui augmente l’attraction des produits fournis sur le marché national.
Le développement de produits agricoles typiques en Haïti représente une autre alternative prometteuse pour un développement local, viable et axé sur la création d’emplois durables dans les communautés, fait valoir Vernet Joseph.
Haïti ne manque pas de produits, aussi riches que variés, à l’image des mangues de l’Artibonite et du Plateau central, du café de la Grande Anse (Sud-Ouest) et du Sud-Est, ou encore du cacao du Nord.
Les mangues, le café et le cacao figurent d’ailleurs parmi les 5 principaux produits d’exportation du pays, avec la canne-à-sucre et le sisal. [jep kft rc apr 04/07/2013 12:25]
[1] « La résilience agricole face aux crises et aux chocs » était le thème principal d’un premier forum, ayant réuni plus de 200 participantes et participants, le 27 février 2013 à Port-au-Prince.
[2] Déclarant rechercher une alternative pour la sécurité alimentaire, Promodev, qui a été créée en l’année 2000, est une organisation à but non lucratif qui œuvre avec environ 12 mille 500 planteurs de 41 organisations communautaires de base dans les dix départements du pays. Elle a un accord avec le Centre technique de coopération agricole et rurale des pays Afrique, Caraïbes Pacifique (Acp) et de l’Union européenne (Ue), afin de répliquer des briefings réalisés préalablement en Europe.