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Next Beat Haïti sort des talents de l’ombre

Par Jean Widler Pierresaint

Le jeudi 20 juin 2013, la Fondation Haïti jazz et Ayiti Mizik, coorganisateurs du concert de clôture du concours « Next Beat Haïti », avaient donné rendez-vous au grand public au Villate. Au terme d’une soirée riche en rebondissements, des artistes de différentes tendances musicales sont sortis de l’ombre pour entrer dans la lumière.

P-au-P., 26 juin 2013 [AlterPresse] --- A « Next Beat Haïti » 2013, dix groupes étaient en lice. Après une saison d’audition relativement longue menée par un corps de jury constitué de connaisseurs et de professionnels de la musique (Carl-Fréderic Behrmann, Belo, Myria Charles, Fred Lizaire, Ralph Millet, Gary Lubin, Erol Josué, Père David César), six (6) se détachent du lot. Portrait de ces groupes qui auront le privilège d’entrer bientôt au studio.

La note jazzy de Johancy

Les premières notes du groupe de Daniel Johancy Michel, lauréat de la catégorie jazz, s’annonçaient à peine que l’odeur de l’alcool et la fumée des cigarettes envahissaient l’espace du Villate. Le public a répondu avec enthousiasme à la clôture de la première édition. Le jazz coule à flot ; un flot qui mugit d’abord sur « Tune up », un standard de Miles Davis. Le groupe est constitué d’un bassiste, d’un claviériste, d’un flûtiste et du chanteur qui pratiquent une sorte de fusion jazz.

Après l’interprétation des standards, ils se sont illustrés dans l’interprétation de « peze kafe », un chant du vaste répertoire de la chanson traditionnelle haïtienne. Ce morceau au zeste très jazzy fait le bonheur du public. Déjà habitué aux performances du groupe, ce dernier l’accompagne sur le morceau « Caonabo » avec des solos de piano du maestro. Le flûtiste nous charme de ses inflexions qui swinguent avec constance. Une réussite extraordinaire qui déchaine la passion du public.

La tradition chez Nixon et Jah Pazon

Le MC et organisatrice Milena Sandler Widmaïer annonce le groupe suivant. « Nixon et Jah Pazon » fait son entrée dans la catégorie musique traditionnelle. Le groupe joue du roots et de la méringue contredanse. Il est emmené par un bassiste. Le groupe démarre sur une interprétation qui fait référence aux traditions qui se perdent, et dénonce la dictature de la culture contemporaine, par rapport à des pratiques qui sont l’expression de notre identité culturelle. Quoique le roots domine, le groupe joue aussi un congo paillette et du reggae.

Chez « Nixon et Jah Pazon » les influences de Belo se ressentent fortement. Le groupe fustige l’exode rural et le déclin de la production nationale. Le paysan qui quitte la campagne pour s’improviser vendeur de minutes téléphoniques et de sachets d’eau en plastique participe à l’effondrement de la culture vivrière. Des salves d’applaudissement saluent la prestation de Nixon et Jah Pazon. Par contre, la chanson « Soup joumou » est une paraphrase de la chanson « Alèkile » de BIC. Mais cela n’enlève rien de la prestation du groupe aux yeux du public.

Dans l’urbanité de « Desire »

Dans cette catégorie musique urbaine, c’est le groupe « Desire » qui a remporté le concours. Un groupe qui joue une musique qui colle avec sa génération, avec des textes construits sous forme de slam abordant des thématiques variées dont l’amour et les illusions existentielles. Ce jeune groupe bourré d’énergie nous propose une poésie populaire, une poésie vendable comme tout autre produit de consommation de masse. Nous avons trouvé dans sa musique des accords qui reviennent en boucle. Sa performance a eu très peu d’effets sur les spectateurs.

L’Evangile selon « Alive for God »

Le groupe évangélique « Alive for God » jouant du gospel est l’un des groupes les plus attendus du public. A l’annonce de sa montée sur scène, des cris et des applaudissements se sont mêlés à tout rompre pour l’accueillir. C’est un quatuor au sein duquel nous retrouvons un baryton, un alto et deux ténors. Ils débutent leur prestation par une chanson en anglais. Leurs voix à elles seules se sont muées en instrument pour compléter l’orchestration de leur claviériste et de leur bassiste.

Leur deuxième interprétation « Glory to Dad for ever » prouve leur maturité et leur grand talent de vocalistes. « Alive for God » a été le groupe le plus populaire de la soirée en fonction de l’accueil qui lui a été fait. La présentation vestimentaire assez soignée des chanteurs en veste et cravate n’est pas passée inaperçue.

Wilkinson tout en chanson

Cette catégorie a été dignement représentée par Wilkinson Célestin Jean Luc. C’est un chanteur au traditionnel chapeau de paille et maracas qu’il saccade au moment d’interpréter son premier morceau « Ti zwazo kote ou prale », cette très populaire chanson de notre folklore. Il s’est fait accompagné de Marc-Li Chéry à la guitare et d’un autre guitariste dans ce morceau qui, malheureusement, n’a pas eu beaucoup d’effet sur le public. Le talent de chanteur et de compositeur de ce gagnant est incontestable.

« Kreyòl mwen » est le titre du deuxième morceau, actuellement en phase de mixage, grâce auquel il a été sacré champion de sa catégorie. Le texte parle de la notion de diglossie très actuelle de nos jours et dénonce les préjugés auxquels la majeure partie de la société fait face. Il clame tout son attachement à la langue créole et toute la richesse qui y est contenue, tant au niveau sémantique qu’au niveau culturel.

Le chanteur mérite de faire appel à un parolier, car le texte, par moment, est un peu décousu au niveau du fond. A ses cotés, sur ce morceau, un pianiste passé de présentation : Josué Alexis. C’est un morceau qui fait sentir l’influence de Beethovas Obas qui affectionne la bossa nova, un genre que Wilkinson et son groupe revendiquent fièrement.

« Enèji » entre dans la danse

Il commence à se faire tard. Le public s’apprête à partir. Le MC annonce le groupe « Enèji » de la catégorie konpa qui a dû, dans un premier temps, se décommander en raison de l’indisponibilité de deux membres du groupe. Le problème est résolu. Les artistes montent sur scène soigneusement vêtus. Leurs premiers accords de guitare montrent qu’il n’y a pas trop de différence entre les groupes très cotés dans le secteur du Konpa en Haïti.

« Nap fè yo sezi », leur premier morceau est une interprétation du groupe « Dola » mené par le très talentueux chanteur Amstrong Jeune ; une musique qui prend son envol sur des suites d’accords simples qui rappellent sans trop d’effort leur appartenance au groupe de la nouvelle génération.

Les musiciens ont interprété ensuite une très populaire chanson de Djakout #1 qui prouve leur affection pour ce groupe. Mais l’interprétation n’a pas trop convaincu Le Villatte. Pour clore le chapitre « Next Beat Haïti », ils ont revisité « All the way » extrait du deuxième disque « Let’s go » d’Harmonick.

Les considérations sur la soirée

Le concours « Next Beat Haïti » prouve qu’il y a des talents à mettre en lumière. Les jeunes, pour la plupart, ont du talent ; mais il faudrait leur apprendre à se professionnaliser, à mieux se présenter sur scène. Les organisateurs et les initiateurs du projet ont gagné le pari. Cap sur la deuxième édition. [jwp pj gp apr 25/06/2013 13:40]

Ce compte-rendu est produit dans le cadre du programme de production et diffusion d’informations multimédia pour une meilleure appréciation des activités culturelles en Haïti, programme mis en place par le Groupe Medialternatif et Caracoli, institutions impliquées dans la communication sociale et la promotion culturelle, avec le soutien de la Fondation de France et de la Fondation Culture Création à travers le programme FIL Culture.

Depuis octobre 2012, AlterPresse (agence en ligne du Groupe Médialternatif) et Caracoli éditent un agenda culturel hebdomadaire. Agenda et compte rendu sont adaptés pour alimenter une chronique radio qui est diffusée sur cinq stations : Radio Kiskeya (Ouest), Radio Express et Radio Jacmel Inter (Sud-est), Radio Paillant Inter et Radio PSG (Nippes).