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Coopération : L’aide internationale au développement d’Haïti, un échec lié aux stratégies néolibérales, selon Cerfas

De nombreux accords commerciaux favorisent la dépendance alimentaire et limitent la capacité productive d’Haïti

Par Edner Fils Décime

P-au-P, 18 avril 2013 [AlterPresse] --- L’aide internationale à Haïti est un échec. Elle constitue, très souvent, une stratégie d’imposition et d’application des politiques néo-libérales par des pays donateurs, et répond, dans certains cas, aux besoins du capital transnational.

C’est la lecture de la direction exécutive du Centre de recherche, de réflexion, de formation et d’action sociale (Cerfas) [1], faite lors d’une conférence de presse, le 17 avril 2013, à laquelle a assisté l’agence en ligne AlterPresse.

« De façon globale, on peut parler d’un échec de l’aide au développement en Haïti », lance le père jésuite François, pour qui les milliards et les millions de dollars d’aide augmentent, autant que les statistiques sociales de la vie de la population diminuent.

De 1989 à 2009, l’aide publique au développement en Haïti est passée d’environ 200 millions de dollars étasuniens à plus d’1 milliard (US $ 1.00 = 44.00 gourdes ; 1 euro = 60.00 gourdes aujourd’hui), selon des statistiques de l’Organisation de coopération et de développement économique (Ocde).

Ces données ont été reprises dans le dernier bulletin scientifique de l’observatoire des politiques publiques et de la coopération internationale (Oppci) du Cerfas.

Pourtant, à observer certains des indicateurs liés au développement (le produit intérieur brut/ Pib par habitant, par exemple), il apparait « clairement que l’usage des sommes décaissées, en tant qu’aide au développement pour Haïti, n’a pas su engendrer une amélioration significative des conditions de vie pour la majorité de la population ».

L’aide au développement et les stratégies de lutte contre la pauvreté commencent à affluer réellement dans les années 1970, lit-on dans ce troisième bulletin du Cerfas intitulé « un aperçu général de l’aide au développement pour Haïti ».

Cerfas trouve une explication dans le fait que « les objectifs, poursuivis par l’aide au développement et les politiques commerciales des pays donateurs, ont souvent été contradictoires. Car, de nombreux accords commerciaux favorisent la dépendance alimentaire et limitent la capacité productive d’Haïti ».

L’actuel chargé d’affaires de la France en Haïti, Dominique Delpuech, a reconnu, le 15 avril 2013, les méfaits des politiques néolibérales, souvent imposées par la communauté internationale, sur l’agriculture nationale haïtienne.

Des mouvements sociaux ont sévèrement critiqué les Accords de partenariat économique (Ape) entre l’Union européenne (Ue) et divers pays de l’Afrique, du Pacifique et des Caraïbes, dont Haïti.

Haïti a signé ces accords en décembre 2009.

Radiographie de l’aide au développement à la suite du séisme du 12 janvier 2010

Pour comprendre le « faible impact » de l’aide internationale sur le développement d’Haïti, le Cerfas s’interroge sur l’utilisation qui a été faite des montants d’argent décaissé pour Haïti.

Plus de 80% des dons, décaissés pour la reconstruction depuis 2010, ont été administrés en dehors des systèmes nationaux de gestion des finances publiques, selon un graphique « attribution des dons publics pour la reconstruction jusqu’en décembre 2012 ».

Décaissés à travers les systèmes nationaux, les prêts ne représentent que 4%. En termes d’appui budgétaire, transmis au gouvernement haïtien, le pourcentage n’est que de 7%.

« Une grande partie des fonds retourne à des entreprises, issues des pays donateurs », découvre le Cerfas à partir de l’analyse des données de « l’aide publique promise pour le développement à long terme ».

« Une analyse des contrats de la Commission européenne - qui sont rapportés sur la page web d’EuropeAid - montre que 76.7% de la valeur des contrats alloués, pour un total de 32 millions d’euros en 2010 et 2011, a été attribuée à des entreprises européennes ».

Seulement 7,48 millions d’euros, donc moins de 10 millions de $US (1€ =1,3$US), sont allés à des firmes haïtiennes », avance le Cerfas.

Dans le cas des dons de l’Agence des États-Unis d’Amérique pour le développement international (Usaid), le ridicule pourcentage de « 1.3% de la valeur contractuelle, soit 5,7 millions de $US » a été alloué à des entreprises haïtiennes.

« Les fonds ont rarement été investis dans des programmes structurels, élaborés selon les priorités du peuple haïtien et administrés par son gouvernement », regrette la coordonnatrice de l’Oppci, Esther Schneider.

Plaidoyer du Cerfas pour une articulation d’une vision cohérente de développement

Tout développement national ne saurait faire l’économie du renforcement des institutions étatiques ni de l’élaboration d’une vision commune de toutes les forces du pays, préconise le Cerfas.

Le développement « durable » devrait donc limiter « graduellement la dépendance de l’aide internationale ».

Pour soutenir ses propositions de réunir la multiplicité des acteurs étrangers sous la coordination et la régularisation de l’État, le Cerfas se réfère à la déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide au développement.

« Les donneurs font reposer l’ensemble de leur soutien sur les stratégies nationales de développement, les institutions et les procédures des pays partenaires », stipule le principe d’alignement de cette déclaration.

Ce document a été adopté, le 2 mars 2005 à Paris (France) par des ministres de pays développés et de pays en développement, chargés de la promotion du développement, et des responsables d’organismes bilatéraux et multilatéraux d’aide au développement.

La mise en œuvre du cadre de coordination de l’aide externe (Caed) devrait « fournir plus de résultats que par le passé » et « les donateurs » devraient « arriver à aligner leurs interventions sur les stratégies et politiques maîtrisées par l’État haïtien », espère le Cerfas.

Lancé, le 26 novembre 2012 à Port-au-Prince par le gouvernement haïtien, le Caed vise à remplacer officiellement la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (Cirh).

A l’époque, plusieurs organisations de défense des droits humains avaient souhaité une révision de la composition de la structure du Caed.

Elles avaient exprimé leurs inquiétudes par rapport aux secteurs proposés pour intégrer cette structure, notant qu’encore une fois, des acteurs clés de la société, tels les paysannes et paysans, ont été laissés de côté. [efd emb rc apr 18/04/2013 11:04]


[1La direction exécutive du Cerfas est conduite par le père jésuite catholique romain Kawas François.