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Regard (Chronique hebdo)

Haïti : Le bal des Assassins !

Par Roody Edmé *

Spécial pour AlterPresse

Treize ans depuis ce matin triste d’avril, qui vit un tueur abattre sur la cour même de sa station, Jean Léopold Dominique, la voix la plus célèbre d’Haïti dans le monde de la radiodiffusion, et le gardien de la maison de la Radio, Jean Claude Louissaint, son compagnon d’infortune. Celui qui fut à la fois notre « Jacques Chancel » et notre « Chamorro » fut sacrifié sur l’Autel de nos luttes fratricides et, ce fut un nouvel épisode sanglant de notre histoire épileptique d’assassinats de journalistes qui devait continuer avec Brignol Lindor ou plus récemment Georges Honorat.

Des situations certes différentes, mais avec une constante, l’impunité crasse et rampante qui plombe nos velléités de mettre en place dans ce pays un Etat de droit.

Un appareil judiciaire fragile fonctionnant de bric et de broc, dévoré par ses démons internes, le cas du CSPJ en est la plus récente illustration, a du mal à rendre justice. Faut-il signaler les récents efforts de convocation de puissants justiciables ? Oui, mais il reste beaucoup de chemin à parcourir, pour aller au fond des choses, dépasser la mise en scène pour enfin traiter le fond des différents dossiers. Il y a tellement de squelettes dans les placards de nos enquêteurs qu’ils n’arrivent plus à se fermer.

Dans le cas des victimes du 3 Avril 2000, l’opinion publique sait qu’un des complices du double meurtre est mort sur une table d’opération, au moment où on lui extrayait une balle…des fesses. L’autre, réputé être le tireur, « Ti Lou », ainsi connu, un tueur à gages dont le nom résonne lugubrement dans les chaumières de la périphérie de Martissant, serait en cavale aux Etats-Unis, après une évasion spectaculaire du Pénitencier National.

Celui qui sans ciller a loger sept balles dans le corps de Dominique, puis s’est retourné imperturbable pour abattre jean Claude Louissaint, personne ne peut être sûr de cette séquence dantesque. Le tueur a accompli un travail « d’artiste » de l’enfer, de professionnel de la mort en s’acharnant sur l’une des meilleures réussites d’une terre pauvre en ressources.

Mais il y a pire que lui, le ou les auteurs intellectuels qui ont armé le bras vindicatif du tueur ricanent encore dans l’ombre de leur toute puissance. Ils font peser sur la ville et le pays tout entier le mal qui répand la terreur. Ce sont eux commanditaires et ou complices qui veulent que l’Etat reste faible et impuissant devant les coups d’un destin historique funeste dont ils sont depuis longtemps en contrôle, et ce quelque soit les clients passagers du Pouvoir.

La disparition de Jean et dans la foulée le « turbulent silence » de la station pose aussi le problème du devoir mémoriel. Le rapport des peuples à la mémoire est un des fondamentaux de l’Histoire. Pendant longtemps, la guerre d’Algérie a été traitée sous un mode masqué dans l’opinion française, on parlait à l’époque de l’ORTF, l’Office de Radiodiffusion de Télévision française, non pas de guerre d’Algérie, mais des « événements » d’Algérie ou d’opérations de pacification. Jusqu’à ce que des journalistes audacieux levèrent le voile sur un conflit colonial qu’on refusait de nommer.

Mais les archives sont là pour témoigner, les journaux d’époque peuvent être consultés. Au contraire, on les met actuellement sous support digitalisé. Qu’en est-il des archives de Radio Haïti ? Qui doivent renfermer des décennies de témoignages de nos luttes pour la démocratie, des « kilomètres » de bandes magnétiques capturant des rencontres inoubliables avec le Docteur Jean Price Mars, Léopold Sedhar Senghor, André Malraux visitant Saint Soleil, ou plus récemment Jean Ziegler…sans oublier une interview de Michèle Montas avec Violetta Chamorro, pendant qu’on pouvait percevoir au loin le souffle encore chaud de la Révolution sandiniste.

Il y a bien sûr, l’œuvre impérissable d’un cinéaste…américain, Jonathan Demme et quelques CD gravant pour l’Histoire, certains éditoriaux. Cependant, nous parlons du travail de dizaines de reporters et de journalistes sur plusieurs décennies. Certaines de ces voix chères sont heureusement encore en vie, mais que reste-t-il de leur labeur passé ?
Qu’allons-nous laisser à la jeune génération de journalistes ? Ceux qui font leur maîtrise en journalisme à l’Université Quiqueya devraient être aussi au fait, en plus des stages, bienvenus, à Paris, de ce qui se faisait de meilleur chez eux.

A quand donc un Institut National des archives sonores sur le modèle de l’INA de France ?

* Éducateur, éditorialiste